La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Décembre 2014

Obligation de déclaration des schémas d’optimisation fiscale : le législateur toujours à l’ouvrage

Publié le 5 décembre 2014 à 11h38    Mis à jour le 5 décembre 2014 à 18h25

Michel Collet et Johann Roc’h

Au rang des nombreuses mesures censurées en décembre 2013 par le Conseil constitutionnel figurait notamment la tentative d’instauration d’une obligation de déclaration des schémas ayant pour objet principal de réduire l’imposition d’un contribuable, d’en reporter l’exigibilité ou le paiement ou encore d’obtenir le remboursement d’impôts.

Par Michel Collet, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale, intervenant tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés, notamment dans le cadre de structurations fiscales, qu’en private equity s’agissant de la fiscalité des fonds, fonds de fonds, et des différents intervenants à un investissement. Il conseille également les managers sur leur fiscalité personnelle et patrimoniale (michel.collet@cms-bfl.com) et Johann Roc’h, avocat, spécialisé en fiscalité internationale. Il intervient en matière de private equity dans les opérations de financement et d’acquisitions dans un contexte international. Il intervient également en matière de fiscalité des entreprises, pour une clientèle de groupes internationaux (johann.roch@cms-bfl.com).

Cette obligation avait vocation à peser sur les personnes commercialisant les schémas en cause ou sur les personnes élaborant et mettant en œuvre de tels schémas (étaient en premier lieu visés les conseils d’entreprises). La sanction prévue s’établissait à 5 % des revenus perçus au titre de la commercialisation des schémas en cause et à 5 % de l’avantage fiscal obtenu s’agissant de la mise en œuvre de tels schémas. Cette mesure a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel (déc. 2013-685) qui s’est fondé sur le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

Le Conseil a en effet jugé que la notion de «schéma d’optimisation fiscale» présentait un caractère par trop général et imprécis, qui, allié à une forte gravité des sanctions, apportait des restrictions à la liberté d’entreprendre.

Les parlementaires à l’origine de cette proposition ne comptaient cependant pas rester sur un tel échec.

Dans le rapport sur l’exil des forces vives de France (AN, 8 octobre 2014) tout d’abord, avec la recommandation de revenir sur une obligation préalable de déclaration des schémas d’optimisation fiscale (proposition n° 19). Cette recommandation suivait celles faites dans le cadre de précédents rapports (Migaud 2009, Bocquet 2011, Muet 2013), rapportant l’exemple des législations américaines et britanniques.

Puis, plus récemment, des membres de la commission des finances ont, dans le cadre de la préparation du rapport relatif à l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2015, à nouveau tenté de porter ce projet de déclaration préalable (AN, séance du 5 novembre 2014), au travers de deux amendements (II-CF273 et II-CF274). L’objectif de ces propositions demeure d’aider l’Administration à identifier et combattre plus rapidement des montages complexes sujets à critique et d’anticiper les développements internationaux en matière de lutte contre l’évasion fiscale (travaux OCDE «BEPS»).

Le premier amendement prévoyait l’instauration d’une déclaration des prestations de conseil au profit d’entreprises exploitées en France dont la mise en œuvre aurait impliqué, d’une part, des entités établies dans un Etat ou territoire non coopératif ou une entité bénéficiant d’un régime fiscal privilégié qui auraient eu pour effet de créer ou de modifier certains flux (redevances de concession de la propriété industrielle, produits de participation et intérêts) et qui pouvaient enfin laisser espérer aux contribuables une économie fiscale d’au moins 1 million d’euros. Cette mesure aurait été mise en œuvre à titre expérimental à compter de 2016, avec déclaration des conseils sans nommer les clients. Aucune sanction n’était prévue.

Le second amendement instaurait un mécanisme dont le champ d’application est à la fois comparable et différent. Les opérations à déclarer étaient visées comme les opérations permettant une accélération de l’utilisation des déficits, le transfert de fonctions ou de risques à une entreprise liée (art. 39, 12 du Code général des impôts), ou se rapportant à des redevances de concession des produits de la propriété industrielle, ou générant des intérêts non déductibles au regard de l’article 212, I-b du CGI ou faisant encore bénéficier l’auteur ou un tiers de crédits d’impôt conventionnels. En outre, le mécanisme avait vocation à s’appliquer dès lors que l’entité impliquée aurait bénéficié d’un régime fiscal privilégié ou que l’économie fiscale attendue s’élevait à 1 million d’euros au moins. Le défaut de déclaration devait être sanctionné par une amende de 25 000 euros. Les entreprises auraient quant à elles dû, sous la même sanction, notifier la mise en œuvre des opérations susvisées dans la mesure où elles n’auraient eu recours à aucun conseil ou dès lors qu’elles auraient eu recours à un conseil étranger.

Il ressort toutefois du compte-rendu de séance que, échaudée par la censure sévère du Conseil constitutionnel et préférant par ailleurs arbitrer politiquement en faveur d’une sanction des conseils liés aux abus de droit, la commission des finances a préféré reporter à une réunion ultérieure l’examen de ces amendements. Constatant l’état plus que préliminaire du projet examiné, à l’heure où certains textes doivent être interprétés à l’aune de leur effet utile (à défaut de quoi ils perdraient toute portée !), nous ne pouvons que louer une telle décision de rejet, même si elle ne présente qu’un caractère temporaire. Dans la mesure où ce projet pourra être réexaminé sous peu, il reste à espérer que les parlementaires réaliseront effectivement une analyse juridique préalable plus poussée. A cet égard, il est légitimement possible de douter du fait que l’énumération envisagée suffise à résoudre les problématiques de définition juridique identifiées par le passé. La consultation juridique récemment lancée par les autorités fiscales britanniques (HMRC, DOTAS ; 31 juillet 2014) démontre d’ailleurs que, malgré des instructions fiscales d’une centaine de pages, le mécanisme anglais n’a toujours pas réussi à appréhender toutes les opérations à l’origine visées par le texte (étant rappelé que ce mécanisme vise les seuls produits fiscaux «standardisés»).

Nous pouvons également peut-être espérer que les parlementaires se rappelleront que ce type d’initiative devrait à tout le moins faire l’objet de démarches coordonnées au niveau européen, sinon international, tout en ayant à cœur de concrétiser les vœux pieux émis en matière de mise en place d’une véritable relation de confiance entre l’administration fiscale et les entreprises. Sur ce point, il conviendrait sans doute de se concentrer avant tout sur les méthodes permettant d’avoir un système efficace de rescrit pour une plus grande sécurité fiscale plutôt que d’échafauder de manière précaire un empilement de nouvelles mesures plus porteuses d’incertitudes fiscales que véritablement efficaces en matière de lutte contre l’évasion fiscale.

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Au sommaire de la lettre


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