La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Octobre 2016

Restructuration et participation : de la nécessaire transparence de l’employeur

Publié le 30 septembre 2016 à 16h27

Pierre Bonneau et Florence Habrial

Dans le cadre d’une réorganisation intra-groupe intervenue en juin 2007, la société Wolters Kluwer France (WKF) avait acquis les actions de quatre sociétés du groupe (parmi lesquelles les sociétés Lamy et Groupe Liaisons) avant de procéder, à son profit – et après avis favorable des instances représentatives du personnel – à une transmission universelle de leur patrimoine (TUP).

Par Pierre Bonneau, avocat associé en droit social. pierre.bonneau@cms-bfl.comet Florence Habrial, avocat en droit social. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux dans tous les domaines du droit du travail et en particulier sur les opérations de restructuration.florence.habrial@cms-bfl.com

Pour acheter ces actions, la société WKF avait souscrit en juillet 2007, soit postérieurement aux opérations d’information-consultation et à une période où aucun CE n’avait été constitué, un emprunt de 445 millions d’euros auprès de sa société mère hollandaise HWKF. Cet endettement avait eu pour effet d’empêcher tout versement de participation aux salariés.

En 2012, plusieurs syndicats ont assigné les sociétés WKF et HWKF afin de voir déclarer l’opération de restructuration inopposable aux salariés et d’obtenir la condamnation des deux sociétés à reconstituer une réserve spéciale de participation (RSP) pour les exercices 2007 à 2022.

Accueillant favorablement leur demande, tout en la limitant aux années 2007 à 2010, la cour d’appel de Versailles a considéré que «l’opération de restructuration est constitutive d’une manœuvre frauduleuse de la part de la direction des sociétés WKF» et l’a, par conséquent, déclarée «inopposable dans ses effets sur le montant de la RSP pour les années 2007 à 2010, à l’égard des salariés de la société WKF, bénéficiaires du régime obligatoire de participation».

Pour justifier la qualification de «fraude», la Cour relève notamment que les membres de la direction avaient sciemment et à plusieurs reprises dissimulé au CE l’impact de la réorganisation sur le montant de la RSP.

Ainsi, la souscription de l’emprunt n’avait pas été mentionnée dans le cadre de la procédure d’information-consultation. A l’inverse, certains représentants de la direction avaient indiqué que la restructuration envisagée n’aurait «aucune conséquence sociale ni en particulier sur les salaires», tandis que d’autres, s’abritant derrière le caractère complexe de l’opération, n’avaient pas répondu à la question du CE sur l’impact de celle-ci sur le montant de la RSP.

En outre, la Cour relève que les informations économiques et financières sollicitées par le CE après 2007 ne lui ont jamais été fournies et considère comme «aggravante» la circonstance que l’employeur ait pour activité l’édition et la diffusion d’ouvrages de droit du travail «de sorte qu’il était particulièrement bien placé pour avoir connaissance des dispositions légales à respecter».

Bien qu’il ne soit pas définitif, cet arrêt met tout d’abord en exergue l’impérieuse nécessité pour les employeurs de faire preuve de transparence dans le cadre de la consultation des instances sur un projet de réorganisation et ce, particulièrement à l’occasion des opérations complexes.

Il est en effet vraisemblable que, si l’employeur avait expressément fait état des impacts de l’opération sur la participation, la fraude n’aurait pas été considérée comme caractérisée.

Cet arrêt illustre ensuite les effets puissants de la fraude ainsi retenue : ceux-ci ouvrent ainsi la voie à une remise en cause du montant de la participation alors même que, selon l’article L. 3326-1 du Code du travail, «le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation du commissaire aux comptes» et qu’ils «ne peuvent être remis en cause à l’occasion des litiges nés de la participation».

La cour d’appel de Versailles considère pour sa part que ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’une opération de restructuration soit déclarée inopposable aux salariés avec pour conséquence la réintroduction dans le bénéfice net des sommes soustraites abusivement de ce bénéfice (du fait des charges de l’emprunt litigieux) afin de reconstituer la réserve spéciale de participation.

Les praticiens des opérations de réorganisation juridique des groupes seront donc particulièrement attentifs au sort que la Cour de cassation réservera à cette singulière décision, laquelle incite en tout état de cause à la plus grande vigilance dans le traitement des conséquences sociales de ces opérations.

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