La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Octobre 2014

Rachat par une société de ses propres titres : éclaircie juridique et brouillard fiscal

Publié le 10 octobre 2014 à 11h24    Mis à jour le 10 octobre 2014 à 15h36

Arnaud Hugot, Martine Ebrard-Grellety, Laurent Hepp

Alors que le droit des sociétés offre de nouvelles perspectives à la technique juridique des rachats de titres, une récente décision du Conseil constitutionnel censurant la différence de traitement fiscal des sommes reçues par les associés personnes physiques à l’occasion d’un tel rachat, fait aujourd’hui peser une hypothèque sur la portée pratique de ces évolutions.

Par Arnaud Hugot, avocat associé en corporate-M&A. Il assiste des industriels, des fonds d’investissement et des managers dans le cadre de tous types d’opérations de fusion-acquisition et de private equity, tant nationales qu’internationales. Martine Ebrard-Grellety, avocat associé spécialisé en fiscalité. Elle intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans tous les secteurs d’activité, et notamment auprès de fonds d’investissement. Laurent Hepp, avocat associé, spécialisé en fiscalité, intervenant tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity.

Depuis quelques années, le régime juridique du rachat d’actions a été à plusieurs reprises modifié, ajoutant ainsi de nouvelles opportunités au droit commun, prévu aux articles L. 255-207 à L. 225-217 du Code de commerce.

L’une des plus marquantes a été ouverte par la loi du 14 mars 2012 dans le cadre du rachat d’actions de sociétés non cotées. En effet, l’article L. 225-209-2 du Code de commerce prévoit trois possibilités de rachat d’actions qui s’ajoutent au régime classique et notamment au rachat d’actions suivi d’une réduction de capital non motivée par des pertes. La première, couvrant les mêmes hypothèses que l’article L. 225-208, concerne le rachat d’actions en vue de leur attribution aux salariés. Les autres cas sont, eux, nouveaux dans le paysage du rachat d’actions.

Tout d’abord, le rachat d’actions peut désormais être réalisé en vue du paiement ou de l’échange d’actifs acquis par la société (lors d’opérations de croissance externe).

Le rachat d’actions peut également intervenir, dans certaines limites, pour leur revente à des actionnaires de la société dans le cadre d’une procédure organisée dans les trois mois suivant chaque assemblée générale ordinaire annuelle. Ce texte était en attente depuis 2012 d’un décret d’application : c’est chose faite avec le décret n° 2014-543 du 26 mai 2014 qui rend l’article L. 225-209-2 opérationnel et apporte dans le même temps quelques précisions sur les modalités de désignation de l’expert tenu d’établir un rapport sur le rachat des actions de sociétés non cotées, le contenu de ce rapport et sa communication.

Ce dispositif juridique devrait notamment permettre à une société non cotée (en particulier dans les groupes familiaux ayant un actionnariat éclaté) d’assurer elle-même la «liquidité» d’une partie de son capital en rachetant les titres d’actionnaires sortants pour les revendre à d’autres actionnaires en place.

Autre nouveauté : les incertitudes relatives au rachat d’actions de préférence et au sort des actions rachetées viennent d’être éclaircies. En effet, l’ordonnance du 31 juillet 2014 prise en application de la loi de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises n° 2014-1 du 2 janvier 2014 modifie l’article L. 228-12 du Code de commerce pour rattacher le régime du rachat des actions de préférence à celui du droit commun du rachat d’actions ordinaires, et créer un régime spécifique aux actions de préférence stipulées rachetables dès l’origine. Le Code de commerce prévoit désormais également dans un nouvel article L. 228-12-1 la possibilité de conserver, céder ou annuler les actions rachetées.

Face au développement constant du recours aux actions de préférence, notamment dans les structures d’acquisition, ces dispositions devraient offrir à la pratique un moyen juridique simple et sécurisé d’assurer la sortie de certaines catégories d’actionnaires.

Mais encore faut-il s’assurer que ces nouvelles voies de rachat ne se heurtent pas à un traitement fiscal dissuasif…

Epais brouillard (fiscal) en voie de dissipation

Le régime fiscal des sommes attribuées à un associé personne physique à l’occasion du rachat par une société de ses propres titres est l’un des plus complexes qui soient. Schématiquement, la loi prévoit une distinction selon le cadre juridique de l’opération de rachat :

– imposition «hybride» des rachats effectués en vue d’une réduction de capital non motivée par des pertes (C. com., article L. 225-207), suivant le régime des distributions, mais avec une partie pouvant relever du régime des plus-values,

– et, par dérogation prévue à l’article 112-6° du Code général des impôts (CGI), imposition selon le seul régime, en général plus favorable, des plus-values «lorsque ce rachat est effectué dans les conditions prévues aux articles L. 225-208 ou L. 225-209 à L. 225-212 du Code de commerce» : il s’agit des rachats réalisés en vue d’une attribution aux salariés ou dans le cadre d’un plan de rachat d’actions par une société cotée, mais aussi de ceux désormais ouverts aux sociétés non cotées par l’article 225-209-2 précité.

Or, par une décision du 20 juin 2014 (n° 2014-404 QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré cette différence de traitement contraire au principe d’égalité devant l’impôt et a dès lors abrogé le régime dérogatoire prévu à l’article 112-6° du CGI à compter du 1er janvier 2015.

Bonne nouvelle : afin de préserver l’effet utile de sa décision, le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d’interprétation permettant l’application du régime fiscal le plus avantageux pour la période antérieure à l’abrogation. Ainsi, les associés personnes physiques ayant bénéficié avant le 1er janvier 2014 de rachats de titre en vue d’une réduction de capital non motivée par des pertes peuvent déposer une réclamation (sous réserve que le délai légal de réclamation soit encore ouvert) lorsque l’application exclusive du régime des plus-values se serait avérée plus avantageuse. A cet égard, si la comparaison est délicate pour les années 2011 et 2012, elle est relativement aisée pour un rachat opéré depuis 2013, année d’entrée des plus-values dans le barème progressif de l’impôt sur le revenu : le régime des plus-values est désormais plus favorable en cas d’exonération ou d’application de l’abattement pour durée de détention (commençant à 50 % pour une détention d’au moins deux ans – voire un an dans certains cas – et pouvant atteindre 65 % – voire 85 %, au-delà de huit ans de détention). A défaut (en cas de détention inférieure à deux ans – ou un an selon le cas), le régime des dividendes est en principe plus favorable du fait de son abattement fixe de 40 % applicable sans durée de détention.

Mais cette opportunité se présente au prix d’un grand saut dans l’inconnu s’agissant des rachats intervenus ou à intervenir après le 1er janvier 2014, puisque, à l’heure où ces lignes sont écrites, leur régime fiscal est totalement indéterminé !

Concrètement, deux hypothèses existent en réponse à la décision du Conseil constitutionnel :

– soit le législateur n’intervient pas avant le 1er janvier 2015 et dans ce cas, le profit constaté par le contribuable sera imposable selon le régime des plus-values, du fait de la réserve d’interprétation énoncée par le Conseil constitutionnel, pour les rachats ayant eu lieu au cours de l’année 2014, et selon le régime fiscal hybride de droit commun, pour les rachats postérieurs au 1er janvier 2015 ;

– soit le législateur intervient avant la fin de l’année et ce sont alors les nouvelles règles qu’il énoncera qui s’appliqueront aux rachats intervenus à compter du 1er janvier 2014.

Les prochaines semaines seront donc décisives... Toutefois, au vu, d’une part, des exigences constitutionnelles, et d’autre part, de la difficulté pratique d’appliquer le traitement fiscal hybride à tous les types de rachats (notamment ceux opérés sur le marché boursier), il est permis de penser qu’une mesure législative généralisant le régime favorable des plus-values à toutes les opérations de rachat constituerait une réponse appropriée : et peut-être porterait-elle aussi en elle le «choc de simplification» qui permettrait de donner toute leur ampleur aux aménagements si patiemment introduits dans le Code de commerce.


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Les critères de la «substance» posés par le CAD sont-ils toujours pertinents ?

Thierry Granier et Benoît Foucher

Depuis que Pierre Collin, dans ses conclusions sous l’arrêt Sagal, a consacré la substance comme critère discriminant en matière d’abus de droit, plusieurs avis du Comité de l’abus de droit fiscal (CAD) sont venus préciser les contours de cette notion. Récemment, le CAD a rappelé que, lorsqu’une société est interposée au sein d’une chaîne de détention, celle-ci doit pleinement jouer son rôle et que l’interposition de sociétés, souvent «étrangères», sans substance peut être sanctionnée sur le fondement de l’abus de droit fiscal. Si l’on écarte l’hypothèse caricaturale de la boîte aux lettres immatriculée sur Internet1, on peut parfois s’interroger sur la pertinence de certains des éléments retenus par le CAD pour caractériser le défaut de substance de sociétés.

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