La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Mars 2020

Droit de la concurrence : le contrôle de fait par l’influence déterminante

Publié le 20 mars 2020 à 14h23

Virginie Coursière-Pluntz

«L’enjeu de l’identification d’un contrôle durable […] est de déterminer s’il est nécessaire d’obtenir une autorisation préalable avant la réalisation de l’opération.»

Par Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel en droit de la concurrence. Elle intervient plus particulièrement en accompagnement de dossiers transactionnels et/ou internationaux. virginie.coursiere-pluntz@cms-fl.com

L’immatériel dans les opérations de fusion-acquisition peut s’entendre également de tout ce qui est susceptible de créer des obligations sans prendre une forme juridique établie. Sur le terrain du droit de la concurrence, la prise en compte de l’immatériel consistera ainsi à identifier les situations de contrôle de fait, potentiellement notifiables au titre du contrôle des concentrations.

Le droit de la concurrence reconnaît, à côté du contrôle de droit, des hypothèses de contrôle de fait par des actionnaires minoritaires ou des têtes de réseaux de distribution, par exemple. 

En droit de la concurrence, une entreprise en contrôle une autre dès lors qu’elle est en capacité d’exercer sur elle une influence déterminante, quand bien même cette influence déterminante n’est pas – ou n’a pas vocation à être – effectivement exercée.

Sauf cas particulier de décorrélation entre les droits au capital et les droits de vote ou de règles de majorité spéciale, l’actionnaire majoritaire (entendre «en capital») exerce en principe une influence déterminante par la possibilité qu’il a de déterminer les décisions stratégiques de l’entreprise (1). Inversement, le minoritaire qui obtient le pouvoir de bloquer l’adoption des décisions stratégiques doit être considéré comme contrôlant au sens du droit de la concurrence.

Il est à noter qu’un contrôle de fait est également susceptible d’être retenu sans aucune participation au capital. Cela peut notamment être le cas d’une tête de réseau (2) ou d’un financeur (3).

L’enjeu de l’identification d’un contrôle durable sur l’entreprise cible à la suite d’une prise de participation minoritaire est de déterminer s’il est nécessaire d’obtenir une autorisation préalable avant la réalisation de l’opération. La réalisation d’une opération soumise à autorisation préalable avant qu’elle ne soit autorisée (et a fortiori avant qu’elle n’ait été notifiée) peut coûter jusqu’à 5 % à 10 % du chiffre d’affaires annuel consolidé selon que l’opération relève du contrôle de l’Autorité de la concurrence (ADLC) ou de la Commission européenne.

La question du contrôle de fait est abordée par l’ADLC dans ses lignes directrices relatives au contrôle des concentrations, dont une nouvelle version est en préparation. Le contrôle est susceptible d’être établi par d’autres éléments que les seuls droits sur les décisions stratégiques, tels que des relations contractuelles ou des relations financières, ajoutés aux droits conférés au minoritaire. Ces éléments peuvent ne pas être individuellement indicateurs d’une influence déterminante, mais constituer ensemble un faisceau d’indices suffisant pour établir un contrôle.

La détermination de l’existence d’un contrôle de fait dépend des circonstances de droit et de fait propres à la cible :

– quasi-certitude du minoritaire de disposer d’une majorité stable à l’issue de l’opération (affaire Electrabel) (4). L’impact réel de la participation d’un actionnaire minoritaire peut ainsi être renforcé par l’éparpillement de l’actionnariat ou par l’absence régulière de représentation de certains autres minoritaires lors des votes en assemblée générale ;

– qualité de seul actionnaire industriel permettant de jouer un rôle central dans la gestion opérationnelle de la société (affaire Electrabel) ;

– représentation au sein de comités stratégiques permettant un accès à une information détaillée et qualifiée (5) ;

– existence d’intérêts communs suffisamment puissants pour conduire certains actionnaires à ne pas s’opposer les uns aux autres dans l’exercice des droits de vote (6) ;

– existence de liens contractuels permettant un contrôle de la gestion et des ressources équivalent à celui qui serait obtenu par l’acquisition d’actions ou d’éléments d’actifs. Cela peut être le cas d’une location gérance, sous réserve de la durabilité de l’accord conclu avec le propriétaire du fonds (7) ;

– existence de relations commerciales très privilégiées, tels que des contrats commerciaux exclusifs ou des contrats conférant des droits d’usage ou de partage de marques ou de brevets (8). 

1. Cf. article «Droit de véto et contrôle d’une société : un couple indissociable», par Jean-Charles Benois et Arnaud Hugot, paru dans la Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity le 25 mars 2019.

2. Par exemple, réseau Leclerc, décision ADLC, n° 29-DCC-250,

16 déc. 2019.

3. Par exemple, réseau Leclerc, décision ADLC, n° 15-DCC-140,

23 oct. 2015.

4. Cf. article «Contrôle des concentrations : gare à l’acquisition d’un contrôle de fait !», par Virginie Coursière-Pluntz, paru dans la revue Option Finance le 18 mars 2013.

5. Voir, dans le secteur du logement : décision ADLC, n° 19-DCC-32,

25 fév. 2019.

6. Voir, dans le secteur coopératif : décision ADLC, n° 10-DCC-06,

21 janv. 2010

7. Voir, dans le secteur de la grande distribution alimentaire : décision ADLC, n° 18-DCC-65, 27 avr. 2018.

8. Voir, a contrario, dans le secteur de l’alimentation animale : décision ADLC, n° 13-DCC-37, 26 mars 2013.

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