La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Mars 2020

Propriété intellectuelle et opérations de fusion-acquisition : préférez une revue «sur-mesure»

Publié le 20 mars 2020 à 14h41

Jean-Baptiste Thiénot

«Un acquéreur potentiel peut choisir de concentrer ses efforts sur l’évaluation en profondeur de certains actifs clefs plutôt que de mener une revue systématique de l’ensemble du portefeuille.»

Par Jean-Baptiste Thiénot, avocat counsel en droit de la propriété intellectuelle. Il accompagne les entreprises dans la protection et la valorisation de leurs innovations (brevets, secret d’affaires, savoir-faire) tant en conseil qu’en contentieux.  jean-baptiste.thienot@cms-fl.com

Les droits de propriété intellectuelle d’une entreprise font souvent partie des éléments décisifs pour celui qui souhaite en prendre le contrôle. On pense d’abord au nom de l’entreprise et à ses marques mais de nombreux autres actifs immatériels peuvent aussi être essentiels, notamment les inventions, les créations, les designs, le know-how, les logiciels, etc. 

Ainsi, dans le cadre de la reprise d’une activité ou d’une entreprise, il faut s’assurer que les droits sont effectivement transférés et pourront être exploités dans les mêmes conditions qu’avant l’opération. C’est particulièrement vrai dans le cas des start-up, dont la valeur réside essentiellement dans la propriété intellectuelle.

Il faut aussi évaluer les risques que comporte l’activité en cause : l’entreprise a-t-elle bien obtenu de ses salariés et de ses prestataires les droits de propriété intellectuelle nécessaires à son activité ? Son activité et ses produits sont-ils susceptibles de porter atteinte aux droits de tiers ? L’acquéreur potentiel doit avoir une réponse à ces questions.

Sans prétendre à l’exhaustivité, ce bref article tente de rassembler quelques réflexions autour des différentes approches qui peuvent être adoptées pour appréhender au mieux la propriété intellectuelle dans le cadre de fusions-acquisitions.

Les différentes stratégies d’audit d’un portefeuille de droits de propriété intellectuelle et des contrats associés

La stratégie doit être différente selon la nature de l’activité de la cible : il est évident qu’une activité de haute couture n’appelle pas les mêmes vérifications que celle d’un laboratoire pharmaceutique. La définition du champ de l’audit (le type de droits faisant l’objet de la revue, les territoires et le degré de détail) est donc la première décision stratégique pour l’acquéreur potentiel. 

De façon classique, on vérifie si les droits (marques, brevets, dessins et modèles, noms de domaine) sont bien enregistrés au nom de la cible, si les paiements et renouvellements sont à jour et qu’il n’y a pas de nantissements. Ces premières vérifications sont indispensables : il n’est pas rare que des droits aient été enregistrés au nom d’autres sociétés du groupe ou au nom des dirigeants pour des raisons diverses. Dans cette hypothèse, le vendeur devra régulariser la situation, c’est-à-dire regrouper les droits dans la société cible, avant la réalisation de l’opération.

Ces premières vérifications permettent d’avoir une certaine visibilité des droits qui existent dans le patrimoine de la cible. Cela étant, si un actif est stratégique, il peut être pertinent d’aller plus loin dans l’analyse et d’évaluer la «robustesse» des droits concernés : 

– par exemple, pour un brevet stratégique, revoir dans le détail la procédure de délivrance, l’identité et le statut des inventeurs, la chaîne de priorité, les éléments de l’art antérieur, etc. ;

– pour les marques, compte tenu des évolutions récentes, il devient de plus en plus important de vérifier si chaque marque fait l’objet d’une exploitation sérieuse pour les produits et services désignés. A défaut, elle pourrait être frappée de déchéance. 

Ainsi, un acquéreur potentiel peut choisir de concentrer ses efforts sur l’évaluation en profondeur de certains actifs clefs plutôt que de mener une revue systématique de l’ensemble du portefeuille. Un audit «sur-mesure» n’est pas nécessairement plus coûteux.

Pour ce qui est des actifs qui ne font pas l’objet d’enregistrements auprès d’organismes publics, tels que les droits d’auteurs ou les secrets des affaires, la méthode est différente : l’acquéreur pourra vérifier que les dispositions adaptées ont été prévues dans les contrats avec les salariés ou les prestataires concernés. Là encore, il faut tenir compte de la nature de l’activité et cette revue doit être limitée aux seuls salariés qui ont une activité inventive ou créative. 

Une attention particulière doit aussi être portée aux droits de propriété intellectuelle détenus en copropriété avec d’autres entreprises ou des organismes de recherche. En effet, si les copropriétaires disposent d’un droit de préemption pouvant être activé par l’opération d’acquisition, il faudra le «purger» en amont. 

Dans un même ordre d’idée, dans l’hypothèse où certains droits de propriété intellectuelle sont exploités par la cible au titre d’un contrat de licence, il est indispensable que ce contrat soit revu de façon détaillée afin d’anticiper le risque de perdre les droits par le simple effet de l’opération. En effet, il est admis que les contrats de licence présentent un fort intuitus personae ; il est donc recommandé de s’assurer de l’accord du donneur de licence avant toute chose.

L’acquéreur potentiel a ainsi tout intérêt à orienter l’audit en fonction des caractéristiques de l’activité reprise, de son environnement technologique et concurrentiel mais aussi des éventuelles garanties qu’il pourra obtenir.

Anticiper les risques 

La reprise d’une activité implique d’évaluer les risques qui y sont liés. 

Un risque notable, notamment lorsqu’il s’agit de produits en cours de développement, est de savoir si les produits en cause sont susceptibles d’empiéter sur des droits détenus par des tiers. Dit autrement, il s’agit d’évaluer le risque qu’un tiers puisse engager une action en contrefaçon :

– pour ce qui est de la marque sous laquelle le produit sera commercialisé, il est recommandé de procéder à une recherche d’antériorités qui permettra d’identifier les droits des tiers qui pourraient faire obstacle et, le cas échéant, d’adapter sa stratégie ;

– pour déterminer si le produit dépend de technologies protégées par des brevets détenus par des tiers, il convient de faire une «étude de liberté d’exploitation». A ce titre, rappelons que le fait que le produit soit innovant ou même breveté n’écarte nullement le risque de dépendre de droits de tiers : une invention peut être brevetable tout en empruntant à une technologie brevetée par un tiers. 

Or, cette question est trop souvent négligée au stade des due diligences. Concrètement, cela signifie que l’activité reprise pourrait être menacée par des droits détenus par des tiers, sans que l’acquéreur en ait conscience. Ajoutons qu’il est rare que ce risque soit couvert de façon satisfaisante par les garanties offertes par le vendeur. En cas de doute, l’acquéreur a donc tout intérêt à mener les études préalables mentionnées ci-dessus avant l’opération. Il peut aussi être pertinent d’obtenir du vendeur un engagement d’assistance dans le cadre d’une future procédure. En effet, si une procédure est lancée, les informations sur l’environnement technique et les conditions dans lesquelles le produit a été mis au point seront déterminantes.

Dans un autre «registre», dans les cas de scission, il peut arriver que les deux entreprises résultants de l’opération exploitent en commun certains droits de propriété intellectuelle. C’est le cas notamment quand les deux entreprises vont opérer sous le même nom de marque, chacune dans leurs secteurs. Il arrive aussi qu’une technologie doive être utilisée par les deux entreprises. Dans ces cas, il convient de mettre en place un carve out, c’est-à-dire de délimiter les champs d’activité actuels et futurs de chaque entreprise. De nombreux schémas contractuels différents peuvent être envisagés, notamment la copropriété, les licences croisées, les accords de coexistence, etc. Cette situation ayant généralement vocation à durer, il est essentiel que les contrats traduisant le carve out soient le plus précis possible. 

La liste n’est évidemment pas exhaustive et d’autres vérifications peuvent aussi être pertinentes. On pense notamment à la question des rémunérations dues aux inventeurs salariés si l’acquéreur vient aux droits de l’employeur. En tout état de cause, un acquéreur potentiel doit avoir conscience de ses options pour choisir la stratégie la plus adaptée à ses besoins. 

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Au sommaire de la lettre


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

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David Mantienne

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