La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Juin 2019

Au-delà des garanties de passif, le dol

Publié le 21 juin 2019 à 16h56

Benoît Gomel

Dans la pratique du M&A, le dol permet à un acquéreur mécontent de solliciter l’annulation d’une transaction et/ou d’obtenir une indemnisation du préjudice subi. Loin de se substituer aux conventions de garanties, le dol en constitue le complément, en prenant le relai de conventions inefficaces du fait notamment des limitations contractuellement prévues pour permettre une indemnisation sur le fondement délictuel. S’il constitue la protection ultime de l’acquéreur malheureux, le dol semble toutefois devoir rester le recours exceptionnel des situations d’une particulière gravité.

Par Benoît Gomel, avocat en corporate/fusions & acquisitions.

Il intervient dans le cadre d’opérations de fusion-acquisition de sociétés, de capital-investissement, de restructurations et de private equity. benoit.gomel@cms-fl.com

Dol en matière de M&A

Le dol constitue le principal vice du consentement applicable en matière de M&A. Il répond en effet à l’un des principaux enjeux de ces opérations qui est l’asymétrie d’information entre les parties, le vendeur disposant généralement d’un niveau d’information supérieur à celui de l’acquéreur. Ceci n’est cependant pas toujours exact et il peut arriver que l’acquéreur dispose, postérieurement à ses audits, d’une information supérieure à celle du vendeur sur un certain nombre de sujets.

L’article 1130 du Code civil définit les vices du consentement. «L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.»

L’article 1137 du Code civil définit le dol comme «le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges». Il précise par ailleurs que «constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie» mais que «néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation».

Il s’en déduit qu’en substance le dol est constitué par des manœuvres ou mensonges d’une partie, ses représentants, gérants d’affaires, préposés ou porte-fort ayant conduit l’autre partie à :

– conclure un contrat qu’elle n’aurait pas autrement signé ; ou

­– conclure un contrat à des conditions qu’elle n’aurait pas autrement acceptées.  

A noter que le dol peut porter sur la valeur mais que le simple fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur des titres ne constitue pas en soi un dol.

La pratique consistant à conclure des conventions de garantie dans le cadre des opérations de M&A interroge toutefois sur la place alors laissée au dol. Est-il possible d’écarter le dol pour assurer que l’indemnisation de l’acquéreur se concentre dans un instrumentum unique qui serait la convention de garantie ? Les conventions de garantie se substituent-elles au dol ? Inversement, le dol peut-il se substituer aux conventions de garantie ? 

Dol et garantie

La jurisprudence considère, d’une part, que l’existence d’une convention de garantie n’exclut pas le dol1, quand bien même la convention de garantie contiendrait une clause d’exclusion des garanties légales2, qui ne produit ainsi pas d’effet même si les parties l’ont prévue. La solution est logique. En effet, le dol étant un vice du consentement et la garantie une stipulation contractuelle, cette dernière doit nécessairement s’effacer si le contrat est remis en cause.

D’autre part, vices du consentement et conventions de garantie n’ont pas le même objet, les premiers visant avant tout à anéantir le contrat alors que les secondes visent à fournir une indemnisation à l’acquéreur. 

L’article 1178 du Code civil prévoit néanmoins que «indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle».

Il en résulte que la partie victime d’un dol a le choix entre demander la nullité du contrat, la réparation du préjudice subi du fait des pratiques dolosives ou les deux. En ce que le dol peut conduire à obtenir une indemnisation sans remettre en cause la validité du contrat, il produit des effets largement similaires à une convention de garantie. Cependant, l’indemnisation sur le fondement de la responsabilité civile n’est pas assortie des limitations usuellement prévues par les conventions de garantie (seuils, franchises, plafonds, durées, etc.), ni des contraintes qui y sont généralement prévues (délais de notification, modalités de calcul, etc.).

Dans ce contexte, le fondement du dol présente un intérêt non négligeable pour l’acquéreur, car cette action délictuelle est de nature à lui permettre de s’extraire des contraintes et limites contractuellement convenues, dont au premier chef les seuils/franchises, plafonds et durées.

Les risques de l’action sur le fondement du dol

Fort de ce constat, on pourrait se demander si le dol pourrait se substituer aux conventions de garantie. La réponse à cette question réside à la fois dans la gravité du préjudice sanctionné et dans l’efficacité de l’action.

Une indemnisation sur le fondement du dol, c’est-à-dire sur un fondement délictuel, suppose la triple démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux. Or, la démonstration des manœuvres dolosives n’est pas nécessairement aisée, surtout lorsque l’acquéreur a procédé à des audits et s’est fait assister de conseils professionnels. Compte tenu de la difficulté de cette preuve, il est peu probable que l’action sur le fondement du dol soit réellement considérée par un acquéreur sauf en présence d’un préjudice très significatif. 

Une action sur le fondement d’une convention de garantie bien négociée présente en revanche un niveau d’efficacité normalement assez élevé. L’écueil de la démonstration de la faute est largement facilité par la mécanique déclaratoire, qui substitue à la démonstration d’une faute la simple preuve qu’une déclaration est fausse. Or, il est nettement plus aisé en pratique de démontrer qu’une déclaration est erronée que l’existence de manœuvres dolosives. Le principal enjeu reste ainsi la démonstration du préjudice et du lien de causalité. La mécanique contractuelle est par ailleurs normalement suffisamment encadrée pour permettre une indemnisation effective et rapide. Ainsi, sous réserve des seuils et/ou franchises convenus, la convention de garantie permet normalement l’indemnisation de préjudices d’une gravité qui n’aurait peut-être pas poussé l’acquéreur à se confronter aux difficultés d’une action sur le fondement de la pure responsabilité délictuelle.

Il en résulte que l’action sur le fondement du dol est probablement plus complexe et risquée à mettre en œuvre que la demande d’indemnisation au titre d’une convention de garantie. Le recours à une action sur ce fondement, qui reste toujours possible, ne devrait donc présenter d’intérêt que dans des situations extrêmes dans lesquelles la convention de garantie ne permet pas l’indemnisation satisfaisante d’un préjudice dont le montant est élevé, par exemple du fait d’un plafond ou de délais encadrant l’utilisation de la garantie.

En conclusion, il semble que le dol constitue la protection ultime de l’acquéreur malheureux. Il lui permet en effet de dépasser les limites d’une convention de garantie inefficace ou à l’efficacité trop faible, mais reste une mesure dont l’application devrait rester exceptionnelle.

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Au sommaire de la lettre


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