La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Juin 2019

Détermination par un tiers du prix de cession de droits sociaux : l’art de l’expertise

Publié le 21 juin 2019 à 16h56

David Mantienne et Louis-Nicolas Ricard

Nombre d’opérations de private equity reposent sur des mécanismes de cession de droit sociaux, notamment des promesses d’achat et/ou de vente.

Par David Mantienne, avocat counsel en corporate/fusions & acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupes de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers.

david.mantienne@cms-fl.com et Louis-Nicolas Ricard, Professional Support Lawyer en corporate/fusions & acquisitions. louis-nicolas.ricard@cms-fl.com

L’indétermination du prix de cession des titres est susceptible de compromettre le dénouement de ces opérations, faute pour la vente de pouvoir être juridiquement formée. Face à ce risque, particulièrement accru dans un contexte conflictuel, les parties sécurisent fréquemment ces opérations par le recours à un tiers qu’elles se substituent pour déterminer le prix de cession.

La possibilité d’un choix

Deux mécanismes concurrents sont prévus à cet égard par le Code civil. Issu du droit commun de la vente, l’article 1592 dispose que le prix de cession peut «être laissé à l’estimation d’un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente». L’article 1843-4 permet pour sa part aux parties de s’en remettre - en cas de contestation seulement - à un expert pour la détermination de la valeur des titres, lequel est, à défaut d’accord entre elles, désigné par le juge sans recours possible.

Les parties sont donc libres, sauf dans les cas où l’article 1843-4 trouve à s’appliquer de plein droit1, de se placer volontairement sous l’un ou l’autre de ces dispositifs, par exemple au travers d’un pacte extrastatutaire. L’expert agit alors comme mandataire commun des parties en charge de déterminer le prix de cession et, ce faisant, d’appliquer les directives d’évaluation le cas échéant prévues par les parties. En l’absence de telles indications, le tiers dispose d’une complète liberté dans le choix de la méthode d’évaluation.

En s’en remettant à l’estimation d’un tiers pour déterminer la valeur des droit sociaux, les parties font de la décision de celui-ci leur loi. Seuls l’erreur grossière de l’expert dans l’accomplissement de sa mission ou le dépassement par ce dernier de son mandat - hypothèses rares en pratique - sont de nature à remettre en cause le caractère définitif de la détermination du prix. Tel serait toutefois le cas si le tiers estimateur venait à s’affranchir, lorsqu’elles existent, des modalités de détermination de la valeur des titres conventionnellement définies.

Les critères du choix

L’option pour l’un ou l’autre des deux régimes susvisés n’est pas sans incidence. L’expert désigné en vertu de l’article 1843-4 étant tenu de procéder à l’évaluation sans pouvoir se dérober à sa mission, le recours à cet article permettra toujours de déterminer un prix, et donc de parfaire la vente. Le tiers de l’article 1592 peut en revanche refuser la mission qui lui est confiée, ou ne pas la mener à son terme si celle-ci s’avère impossible : dans ce cas, il n’y a point de vente. Cette différence notable impacte la date de formation de la vente : si celle-ci correspond à la date de désignation de l’expert dans le cas de l’article 1843-4, compte tenu de la certitude de voir un prix déterminé, elle est repoussée à la date de réalisation effective de sa mission par le tiers en cas d’expertise sur le fondement de l’article 1592.

En outre, si l’article 1843-4 s’en remet au juge pour désigner l’expert en cas de désaccord entre les parties, un tel désaccord peut, sous le régime de l’article 1592, aboutir à l’impossibilité de désigner l’expert - en cas notamment d’imprécision de la clause prévue à cet effet ou de défaillance du tiers désigné - et emporter en conséquence nullité de la vente pour indétermination du prix. La prudence invite donc les parties à «externaliser» cette désignation, par exemple en la confiant au juge, dans le cas où leurs accords échoueraient à y parvenir. A noter que cet article devrait être prochainement modifié afin d’atténuer cet écueil, en prévoyant expressément la faculté pour les parties de désigner un tiers suppléant à même de pallier la défaillance du premier expert désigné2.

1. A savoir lorsque la loi renvoie à l’article 1843-4 du Code civil pour fixer le prix de cession de droits sociaux, ou lorsque les statuts prévoient une telle cession sans que la valeur de ces droits ne soit déterminée ou déterminable.

2. Cf. article 58 de la proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés n° 759 du 8 mars 2018.

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Au sommaire de la lettre


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Contentieux en droit social dans les opérations de fusion-acquisition : anticiper c’est sécuriser !

Titrite Baamouche et Maïté Ollivier

Par définition les opérations de cession de titres ou d’activité ne sont pas subordonnées à l’accord des représentants du personnel. Toutefois, certaines actions des représentants du personnel peuvent retarder voire empêcher la réalisation de l’opération à moyen terme. Après la réalisation de l’opération, les salariés ou leurs représentants peuvent également contester les conséquences sociales de l’opération, fragilisant l’intérêt de l’opération.

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