La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Décembre 2019

Actions préalables aux fusions-acquisitions : le temps des autorisations 

Publié le 6 décembre 2019 à 16h25

Jean-Robert Bousquet ; Denis Redon et Louis-Nicolas Ricard

Les régimes de contrôle des concentrations et des investissements directs étrangers (IDE) peuvent coexister dans certaines hypothèses avec des calendriers propres.

Par Jean-Robert Bousquet, avocat associé en corporate/fusions & acquisitions. Il traite des opérations de fusion-acquisition, particulièrement de nature internationale et/ou impliquant des opérateurs de private equity jean-robert.bousquet@cms-fl.com ; Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence. Il est notamment en charge des questions relatives au droit des concentrations (notification d’opérations, analyse concurrentielle des dossiers, etc.) et au droit anti-trust denis.redon@cms-fl.com et Louis-Nicolas Ricard, Professional Support Lawyer en corporate/fusions & acquisitions louis-nicolas.ricard@cms-fl.com 

Calendrier des concentrations

Le droit français des concentrations emporte des effets sur le déroulement chronologique d’une opération de transmission d’entreprise contrôlable, c’est-à-dire, de manière générale, remplissant les trois conditions suivantes :

– le chiffre d’affaires total mondial HT de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration excède 150 millions d’euros ;

– le chiffre d’affaires total HT réalisé individuellement en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernées est supérieur à 150 millions d’euros ;

– l’opération ne relève pas du champ de compétence de la Commission au titre du contrôle des concentrations1.

Dans cette hypothèse, non seulement, la notification de l’opération à l’Autorité de la concurrence (ADLC) doit être préalable à son autorisation, mais encore, sa réalisation effective ne peut, sauf dérogation dûment motivée2, intervenir avant l’accord de l’ADLC ou du ministre de l’Economie lorsqu’il a évoqué l’affaire.

Pour ce qui a trait à l’obligation de notification d’une opération de concentration au sein de l’Union européenne, il conviendra en outre pour les parties concernées de s’assurer du caractère notifiable ou non de l’opération dans chacun des pays concernés ou, le cas échéant, au niveau de la Commission européenne en tenant compte des possibilités de renvoi entre les Etats membres et la Commission européenne, facilités par les échanges au sein du réseau des autorités de concurrence. Un rétroplanning, le cas échéant multi-pays, sera à cet égard le bienvenu pour les parties.

Si l’on s’intéresse à la France, au-delà d’un premier temps de collecte des informations nécessaires, il convient pour les opérateurs de préparer un dossier de pré-notification auprès de l’ADLC. Cette phase, non obligatoire mais très recommandée, consiste à présenter un dossier déjà suffisamment étoffé pour permettre de lever, avec l’équipe en charge du dossier au sein de l’ADLC, les questions que pose l’opération (notion de contrôle, définition des marchés, etc.) et de les anticiper.

Cette étape passée, les parties doivent notifier officiellement leur opération. A supposer le dossier de notification complet, l’ADLC dispose, en phase 1, de 25 jours ouvrés sauf extensions pour autoriser l’opération tacitement ou non, l’autoriser avec engagements ou ouvrir une phase 2. Cependant, pour les opérations pouvant bénéficier de procédures simplifiées au sens des lignes directrices de

l’ADLC (qui font actuellement l’objet d’une révision) et éligibles à la procédure dématérialisée (voir communiqué ADLC du 18 octobre 2019), ce délai est en principe raccourci à 3 semaines environ.

Si l’opération est autorisée en phase 1, le ministre de l’Economie dispose à son tour de 5 jours ouvrés pour demander, le cas échéant, l’ouverture d’une phase 2.

En phase 2, sauf cas d’extension, le délai est de 65 jours ouvrés pour autoriser l’opération avec ou sans engagements, injonctions ou prescriptions, ou l’interdire. Dans les 25 jours ouvrés, le Ministre peut évoquer l’affaire et statuer sur l’opération pour des motifs autres que la concurrence3.

Parmi les extensions possibles, figurent la négociation d’engagements ou la suspension des délais à l’initiative des parties, voire de l’ADLC, dans le cas de certains manquements.

En tout état de cause, si comme le dit le dicton «le temps, c’est de l’argent», celui-ci ne peut en aucune manière occulter le fait que la non notification d’une opération contrôlable est passible d’une lourde sanction financière pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires HT réalisé en France par l’entreprise acheteuse et la partie acquise, sans compter l’injonction de notifier l’opération sous astreinte, sauf à revenir à l’état antérieur à l’opération.

Ce contexte explique que les opérations contrôlables sont donc naturellement réalisées sous la condition suspensive d’obtention des autorisations requises par le droit de la concurrence.

Enfin, on rappellera que même après une décision de l’ADLC, la mise en œuvre d’une opération de concentration pourra encore être contestée et suspendue dans le cadre de recours en référé (référé suspension ou référé conservatoire).

Calendrier du contrôle des IDE

Le régime français de contrôle des IDE peut nécessiter, dans le cadre de la cession de certaines entreprises, de mettre en condition suspensive l’obtention d’une autorisation gouvernementale préalablement à la réalisation de l’opération. Si la chronologie d’obtention d’une telle autorisation est encadrée dans son principe par les textes, en pratique la durée d’obtention peut varier en fonction de la complexité de la transaction, de la nature de l’activité de la cible et du nombre d’intervenants au sein du Gouvernement.

Avant l’opération, quel encadrement ?

Tout investissement au sens des dispositions de l’article L.151-3 du Code monétaire et financier (CMF), doit, préalablement à sa réalisation et ce, notamment sous peine de sanctions civiles et pénales, faire l’objet d’une autorisation de la direction générale du trésor (DGT).

Si le délai de réponse ne peut en principe excéder deux mois, sa computation peut, en revanche, demeurer incertaine. Ce délai ne commence en effet à courir qu’à compter du moment où la DGT considère que le dossier déposé est complet, le plus souvent à sa discrétion et dans un délai qui, lui, n’est pas encadré.

Aussi louable soit-elle, la possibilité ouverte aux investisseurs et à la cible (v. décret n° 2018-1057) de solliciter un avis préalablement à la réalisation de la transaction s’avère limitée. Ce rescrit doit en effet être impérativement lié à un investissement et le silence de la DGT n’emporte pas dispense d’autorisation, contrairement à la demande classique.

Aussi, pour pallier ces écueils, la DGT a annoncé la refonte, initialement prévue pour le 1er octobre 2019, de l’arrêté du 7 mars 2003 portant fixation de certaines modalités d’application du décret n° 2003-196 réglementant les relations financières avec l’étranger. L’objectif affiché est notamment de «clarifier les obligations pesant sur les parties prenantes» et, par ailleurs, «d’accélérer la mise en œuvre de la procédure».

Autre aspect temporel à appréhender, l’entrée en vigueur en octobre 2020 du règlement européen (UE) 2019/452 du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des IDE dans l’Union. Afin de se conformer à l’obligation faite aux Etats membres de notifier à la Commission toutes les procédures individuelles de contrôle, la procédure française devra sans doute être adaptée. Ce texte instaure un mécanisme de coopération entre les Etats membres et la Commission européenne pour les investissements en provenance de pays tiers à l’Union et organise à cet effet une procédure d’avis, motivé à l’initiative des Etats membres ou de la Commission, encadrée dans un délai de 35 jours.

Après l’opération, quels aménagements ?

Le Ministre peut suspendre l’autorisation à un certain nombre de conditions faisant l’objet d’engagements par l’investisseur. A ce jour, il n’existe aucune procédure commune aux demandes de révision des engagements. La loi PACTE (plan d’action relatif à la croissance et à la transformation des entreprises) a introduit la possibilité d’une révision des engagements à l’article L.151-3, II du CMF qui doit cependant être précisée dans un décret à paraître. Les acteurs des opérations de fusion-acquisition espèrent voir résulter des évolutions imminentes en la matière une meilleure prévisibilité s’agissant du calendrier du processus de contrôle des IDE.

1. Il existe, dans le droit français, d’autres seuils plus spécifiques pour les entreprises actives dans le commerce de détail ou dans les départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer (DROM-COM).

2. Par exemple, en cas d’offres de reprise portant sur des entreprises en liquidation ou redressement judiciaire.

3. Un seul cas d’intervention à ce jour du Ministre depuis que les opérations sont notifiables à l’ADLC : décision du 19 juillet 2018.


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Opérations de fusion-acquisition et gestion du temps : «Time is of the Essence»

Alexandra Rohmert et Jean-Charles Benois

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