La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Décembre 2019

Opérations de fusion-acquisition : les pièges de la période intercalaire

Publié le 6 décembre 2019 à 16h25

Virginie Coursière-Pluntz et Thomas Hains

Dans les opérations de fusions-acquisition, la gestion de la période intercalaire oblige à concilier deux impératifs d’égale importance : la nécessaire protection des intérêts de l’acquéreur et de la cible, et l’interdiction, faite par le droit de la concurrence, de tout immixtion de l’acquéreur dans la gestion courante de la cible tant que l’opération n’a pas abouti.

Par Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel en droit de la concurrence. Elle intervient plus particulièrement en accompagnement de dossiers transactionnels et/ou internationaux.

virginie.coursiere-pluntz@cms-fl.com et Thomas Hains, avocat counsel en corporate/fusions & acquisitions. Il assiste des industriels, des fonds d’investissement et des managers dans le cadre de tous types d’opérations de fusion-acquisition, de joint-venture et de private equity, tant nationales

qu’internationales. thomas.hains@cms-fl.com

Une protection légitime de l’intérêt de l’acquéreur et de la cible…

Lorsque la réalisation d’une opération de cession d’actions est soumise à l’accomplissement préalable de certaines conditions suspensives, il est d’usage que les parties stipulent une clause de gestion de la période intercalaire. Ce type de clause est communément admis et permet à l’acquéreur d’avoir de la visibilité – et très souvent des droits de véto – sur la gestion du périmètre cible.

En pratique, ce type de clause oblige le cédant à faire le nécessaire afin qu’entre la date du contrat et la date de réalisation, les activités de la cible soient conduites exclusivement dans le cours normal des affaires, de manière raisonnable et cohérente de façon à en assurer la continuité, conformément aux pratiques passées. Ce premier engagement, dont l’étendue est assez générale, est habituellement complété d’une liste limitative d’opérations et décisions – relatives, le plus souvent aux cessions et acquisitions d’actifs et aux investissement significatifs, aux opérations sur capital, aux distributions, etc. – qui ne peuvent être prises et/ou mises en œuvre sans l’accord préalable et écrit de l’acquéreur.

Dans un arrêt de la chambre commerciale en date du 5 juin 2019, la Cour de cassation a rappelé l’importance de ce type de clauses. Dans cette affaire, les vendeurs s’étaient engagés à ne pas opérer de changement substantiel dans la gestion, à gérer les sociétés en «bon père de famille» et à soumettre à l’agrément préalable de l’acquéreur tout investissement supérieur à 10 000 euros. La haute juridiction a validé la position selon laquelle il appartenait aux cédants, sur le fondement de la bonne foi et de la loyauté contractuelle et au titre de cette clause de gestion, d’informer les candidats à l’acquisition des opérations concernées et, qu’en manquant à cette obligation, les cédants «ont délibérément caché aux cessionnaires ces opérations, par des manœuvres dolosives».

La sanction du non-respect de cette clause par les vendeurs ne se limite donc pas à l’octroi de dommages-intérêts et un manquement à ses stipulations peut donc permettre à l’acquéreur, en fonction des circonstances, d’invoquer le dol et donc d’obtenir l’annulation de la vente.

On relèvera néanmoins que les faits de l’espèce mentionnaient un seuil de matérialité très faible de 10 000 euros pour déterminer les investissements devant recueillir l’accord préalable de l’acquéreur. Tout comme les autres décisions soumises à autorisation, ce seuil doit évidemment être apprécié au regard de la taille du groupe cible et du niveau habituel de ses investissements.

Il convient en effet d’éviter qu’en ayant la possibilité de bloquer un éventail trop large d’opérations et de décisions parfois non significatives, l’acquéreur potentiel, qui n’est pas encore propriétaire ni dirigeant, puisse être qualifié de dirigeant de fait et soit donc soumis au régime de responsabilité corrélatif, notamment sur le plan extracontractuel.

… susceptible de se heurter aux conséquences d’une prise de contrôle anticipée : gare au «gun jumping» !

La qualification de dirigeant de fait n’est pas le seuil écueil à éviter : les autorités de concurrence sont en effet très attentives à tout ce qui pourrait s’apparenter à du gun jumping.

Un effet suspensif (obligation de «stand still») est en effet attaché à la procédure de contrôle des opérations de fusion-acquisition (contrôle des concentrations). C’est cette obligation de stand still que les autorités cherchent à protéger par une politique de sanction de plus en plus sévère du gun jumping. Cette notion emprunte au sport l’image du coureur qui s’élance alors que le coup de feu de l’arbitre n’a pas encore annoncé le début de la course et qui encourt de ce fait la disqualification.

La rigueur des autorités de concurrence s’explique par une position de principe, indépendante dans une large mesure des circonstances particulières de l’opération : la mise en œuvre anticipée d’une opération pourrait modifier de manière irréversible les conditions de marché, alors même que sa réalisation est susceptible d’être retardée, soumise à condition, interdite ou même abandonnée par les parties.

Pour les autorités de concurrence, la stipulation de clauses de gestion «dans le cours normal des affaires» ou de gestion «raisonnable», ou l’interdiction de réaliser des investissements au-delà d’un certain montant, sont habituelles et légitimes pour autant qu’elles ne permettent pas à l’acquéreur d’exercer une influence déterminante sur la cible et d’en prendre ainsi le contrôle de fait.

Afin de départir ce qui relève de la protection légitime des intérêts financiers de l’acquéreur et ce qui relève d’une immixtion anticoncurrentielle dans la gestion de la cible, les autorités examinent non seulement la lettre des clauses de gestion de la période transitoire mais également la portée qui leur est donnée dans les faits par les parties.

En pratique, les acquéreurs sont invités à être particulièrement vigilants :

– aux clauses susceptibles de leur conférer un droit d’ingérence dans l’adoption des décisions stratégiques de la cible (notamment le budget, le plan d’affaires, les investissements courants et la gestion des équipes de direction) ou dans sa gestion courante. Le risque est particulièrement présent dans le cas d’une opération avec mécanisme de locked-box, car alors seul un cadre contractuel robuste permet de protéger la valeur de la cible pendant la période intercalaire ;

– à la nomination anticipée des dirigeants de la future entité : l’acquéreur peut annoncer une nomination à venir mais en aucun cas attribuer des fonctions effectives sur la cible avant la fin de la période intercalaire ;

– aux conditions de la préparation de l’intégration de la cible : les échanges d’informations doivent être strictement nécessaires à cette intégration et sécurisés dans leurs modalités par le recours à des mécanismes de clean team effectifs ;

– à la conclusion d’accords commerciaux qui n’aurait pas été conclus, ou pas dans les mêmes conditions, en l’absence de l’opération.

Ce serait une erreur que de croire que le risque se limite aux seules opérations qui doivent être autorisées au titre du contrôle des concentrations. En effet, si seul ce type d’opérations peut donner lieu à une amende au titre d’un gun jumping (équivalent à 5 à 10 % du chiffre d’affaires consolidé du groupe auquel appartient la société à laquelle incombait l’obligation d’obtenir une autorisation préalable à leur mise en œuvre), une mise en œuvre anticipée d’une opération non notifiable est susceptible de donner lieu à une amende au titre de l’échange d’informations commercialement sensibles entre entreprises (encore) indépendantes. Dans ce cas, ce sont les deux «parties» à l’échange qui encourent une amende pouvant se monter à 10 % du chiffre d’affaires consolidé des groupes auxquels elles appartiennent.


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

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