La lettre gestion du patrimoine

Mars 2016

Gestion du patrimoine et abus de droit fiscal : du mieux en vue ?

Publié le 11 mars 2016 à 16h53

Georges Morisson-Couderc, PwC Société d’Avocats

La procédure de l’abus de droit peut coûter très cher au contribuable puisque l’impôt redressé est majoré de 80 %1.

Par Georges Morisson-Couderc, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Cette procédure s’applique aux manœuvres ayant pour objet d’éluder tout impôt ou taxe en utilisant des constructions juridiques qui, bien qu’apparemment régulières, ne traduisent pas le véritable caractère des opérations réalisées, soit du fait de leur caractère fictif, soit parce qu’elles ont un but exclusivement fiscal.

L’actualité sur le sujet reste dense, à l’image de la volonté d’optimisation des contribuables et de la résistance de l’administration fiscale. Elle a ainsi souhaité prévenir les contribuables et a publié une liste des schémas qui pourraient être considérés comme abusifs.

Une information préventive

La Direction générale des finances publiques a mis en ligne en 2015 une carte des pratiques et montages abusifs qui complètent la procédure de rescrit fiscal.

En effet, une procédure fiscale particulière, le rescrit abus de droit, permet d’éviter la procédure d’abus de droit en soumettant préalablement l’opération à l’administration fiscale. Si cette procédure, certes lourde et longue, n’est pas toujours compatible avec la rapidité des affaires, elle permet néanmoins d’éviter la requalification et de prévenir certaines opérations litigieuses.

L’examen de la carte des pratiques abusives publiées par l’administration fiscale permet, comme les derniers avis du Comité de l’abus de droit et la jurisprudence, de dresser une carte des zones à risques. La liste des différents schémas est consultable en ligne (http://www.economie.gouv.fr/dgfip/carte-des-pratiques-et-montages-abusifs). En ce qui concerne les particuliers et les dirigeants, les principaux schémas, à côté du PEA, qui attirent l’attention de l’administration fiscale sont plus particulièrement centrés autour des «management packages», de la perception non déclarée de salaires à l’étranger, de la délocalisation déguisée de personnel à l’étranger, ou encore la souscription de contrats d’assurance-vie avec un emprunt in fine destiné à rapatrier des avoirs étrangers non déclarés.

Ce sont actuellement près de 20 schémas qui font l’objet d’un descriptif, d’une indication des rehaussements encourus avec une recommandation de régularisation. Si cette initiative est louable pour prévenir les abus, elle ne doit pas permettre, en revanche, de requalifier automatiquement des situations dans lesquelles l’objectif fiscal n’est pas le seul motif de l’opération.

Les transactions patrimoniales toujours sous haute surveillance

Les opérations d’apport-cession de titres et de donation-cession de titres restent très exposées. Ces dernières opérations ont pu recevoir d’utiles précisions en présence de quasi-usufruit.

Ce sont les situations particulières dans lesquelles l’usufruitier a des droits étendus sur des biens qui se consomment au premier usage (somme d’argent, parts sociales par assimilation…). Il peut ainsi disposer de la chose sans l’accord du nu-propriétaire, à charge de restituer un bien de même qualité et quantité ou de même valeur.

Il y aura abus de droit lorsqu’un quasi-usufruit sur le prix de vente des titres est conclu postérieurement à la cession des titres et, sans respect des dispositions de la clause de remploi obligatoire du produit de la cession dans d’autres titres, eux-mêmes démembrés, prévues dans l’acte de donation2.

Le donateur dans cette situation sera en effet considéré comme ayant récupéré le prix de cession dans le cadre du quasi-usufruit.

La cour administrative d’appel de Lyon3 considère que lorsqu’un quasi-usufruit est prévu à l’origine dans un acte de donation et porte sur une partie du prix de cession des titres et que l’autre partie est remployée dans l’acquisition d’autres titres eux-mêmes démembrés, il n’est pas de nature à emporter la requalification des opérations.

Pour sa part, la cour administrative d’appel de Douai4 a considéré qu’il n’y a pas abus de droit dès lors que la donation est assortie d’une clause de remploi avec un support de remploi libre et un report du démembrement sur les biens concernés, le quasi-usufruit résulte de la nature des biens acquis en remploi, en l’espèce des contrats de capitalisation. Le défaut de sûreté pour garantir la créance de restitution à la charge du quasi-usufruitier n’est pas en soi un élément défavorable.

Les rémunérations et régimes fiscaux de faveur

Si les «management packages» font l’objet d’une fiche préventive spécifique qui reprend dans les grandes lignes les précisions antérieures effectuées au Bofip, différents avis et jurisprudences s’avèrent néanmoins favorables aux contribuables. Le comité de l’abus de droit a ainsi précisé sa doctrine sur les opérations réalisées par les dirigeants et actionnaires.

• Intéressement des cadres et usufruit temporaire5

Une affaire illustre l’absence d’intérêt uniquement fiscal lié à une opération particulière d’intéressement au capital des cadres d’une entreprise non cotée. En effet, l’actionnaire principal avait mis en place différentes structures sociétaires pour honorer son engagement et assurer la liquidité des titres. Il avait ainsi créé une société civile à laquelle avait été apporté l’usufruit temporaire des titres de la holding de tête.

Cet usufruit temporaire avait été immédiatement vendu à la structure historique de détention des cadres du groupe. Un emprunt, dont les échéances étaient couvertes par les dividendes de la société mère, permettait d’assurer le financement de l’opération.

L’administration fiscale a considéré que l’opération d’apport n’avait pas eu pour autre motif que de permettre à l’actionnaire principal de placer abusivement la plus-value réalisée lors de l’opération d’apport dans le champ d’application du sursis d’imposition.

Le Comité de l’abus de droit a considéré que cette opération n’était pas fictive et n’avait pas poursuivi un but exclusivement fiscal. Face à des difficultés économiques et l’impossibilité de faire face à l’engagement de liquidité par des ressources propres, le comité a estimé que la création de la société civile et l’apport de l’usufruit temporaire s’inscrivaient dans un contexte particulier qui permettait de garantir l’engagement de liquidité.

• Le PEA, encore et toujours

Ce véhicule, compte tenu de son régime fiscal favorable, se retrouve au centre de nombre d’affaires, notamment dans le cadre de sujets liés au «management package» ou d’opérations patrimoniales. Ainsi, la porte s’est légalement refermée en interdisant l’insertion de certains actifs sur le compte titre du PEA.

Un arrêt du Conseil d’Etat du 14 octobre 20156 apporte une nouvelle possibilité d’utilisation peu envisagée jusqu’à présent du PEA, et sur laquelle l’administration fiscale avait opposé la procédure de l’abus de droit. Au cas particulier, un contribuable avait acquis des titres qui lui appartenaient déjà au travers de son PEA, après avoir alimenté son compte espèces. Le Conseil d’Etat a considéré que l’administration ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, en considérant que l’opération est fictive et n’a pour seul objet que de tirer parti des avantages fiscaux.

Le Conseil d’Etat considère que l’épargnant, qui effectue des versements en numéraire sur son PEA pour acheter des titres qui lui appartiennent déjà, réalise une opération susceptible de dégager une plus-value imposable au titre de l’année de cession, qui ne peut être assimilée à un simple transfert de titres. Cette opération est conforme à l’objectif de la loi qui était d’encourager les contribuables à constituer une épargne longue et d’orienter cette épargne vers l’entreprise.

Au cas particulier, différents faits de l’affaire auraient pu permettre à l’administration d’obtenir gain de cause sur le terrain de l’abus de droit (sous-valorisation des titres à l’entrée dans le plan, revente rapide de ces derniers), mais une absence de réponse aux observations du contribuable l’a empêché de faire prévaloir sa position.

On retiendra que cette vente à soi-même est acceptable lorsqu’elle concerne le PEA. Il conviendra de rester très prudent sur le contexte de l’opération, la valorisation retenue en présence de valeurs mobilières non cotées et la durée de passage des titres sur le PEA.

Le Conseil d’Etat ouvre cependant une porte supplémentaire sur les opérations avec soi-même toujours regardées par l’administration fiscale comme sulfureuses.

1. Article L 64 du Livre des procédures fiscales.

2. CE 14 octobre 2015 n° 374440

3. CAA Lyon 16-12-2014 n° 13LY02119

4. CAA Douai 23 octobre 2015, n° 13DA02138

5. CADF/AC n° 06/2015 – Affaire n° 2015-13


La lettre gestion du patrimoine

Anticipation des risques liés aux accidents de la vie pouvant affecter les dirigeants de sociétés 

Anne-Christine Warnet, PwC Société d’Avocats

En cas d’empêchement d’un dirigeant de société résultant d’un «accident de la vie» (maladie, incapacité, accident ou décès), l’activité de l’entreprise peut rapidement se trouver menacée, au risque d’aboutir à une paralysie des opérations quotidiennes et, plus généralement, de la gestion de l’entreprise.

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