La lettre gestion du patrimoine

Décembre 2013

Le report d’imposition à l’épreuve du futur régime d’imposition des plus-values de cession de titres par les particuliers entrepreneurs

Publié le 4 décembre 2013 à 11h14    Mis à jour le 12 mars 2014 à 9h54

Philippe Durand et Bernard Liger

Afin de mieux encadrer les opérations d’apport-cession de titres de société, l’article 18 de la 3e loi de finances rectificative pour 2012 (loi 2012-1510 du 29 décembre 2012) a réintroduit un mécanisme de report d’imposition (automatique) à ce jour régi par l’article 150-0 B ter du CGI. Ce dispositif s’adresse aux personnes qui contrôlent la société bénéficiaire de l’apport des titres.

Par Philippe Durand et Bernard Liger, avocats associés, Landwell & Associés.

Rappelons tout d’abord que, dans la sémantique de l’administration, le report se distingue du sursis en ce que le contribuable constate bien la plus ou moins-value réalisée lors de l’opération mais que le paiement de l’impôt est seul retardé jusqu’à la survenance d’un autre événement,notamment la cession des titres reçus en rémunération de l’apport ; au contraire, le sursis consiste à considérer que l’opération en cause est purement intercalaire : il n’y a pas de fait générateur d’impôt et la plus ou moins-value unique réalisée lors de la vente des titres reçus en échange sera déterminée comme si l’apport ou l’échange intermédiaire n’avait pas eu lieu.

Le fait d’avoir deux événements taxables(report), voire plusieurs en cas d’apports successifs,complique considérablement la détermination de l’impôt par rapport à la situation dans laquelle il est considéré qu’il n’y a qu’un seul fait générateur (sursis), surtout avec la mise en place d’un mécanisme d’abattement pour durée de détention, chaque plus ou moins-value étant déterminée en considération de durées de détention différentes. Cela contribue sans doute à expliquer pourquoi les modalités d’application de ce dispositif n’ont pas encore été précisées par l’administration.

Avant d’analyser ses effets sur l’imposition que supportera un chef d’entreprise sur la plus-value de cession des titres de sa société par application du nouveau régime d’imposition des plus values de cession de valeurs mobilières à ce jour soumis au législateur, il convient de relever un certain nombre d’interrogations pour lesquelles il serait utile d’avoir des éclaircissements, ainsi :

– l’éventuelle moins-value réalisée lors de la cession des titres reçus en échange peut-elle s’imputer sur la plus-value d’apport des titres échangés, bénéficiant du report d’imposition ?

On peut supposer qu’elle devrait l’être1 notamment au vu des modifications qu’entend apporter le gouvernement à l’article 167 bis du CGI, régissant l’exit tax, à travers l’article 20 du projet de loi de finances rectificative pour 2013. Mais il serait heureux d’en avoir confirmation de la part de l’administration fiscale ;

– si la plus-value en report d’imposition est déterminée par différence entre la valeur d’apport et sa valeur d’acquisition initiale ou de souscription des titres, devrait-elle être minorée de l’abattement pour durée de détention appréciée au jour de l’apport selon le dispositif prévu par l’article11 du projet de la loi de finances pour 2014. Ce serait, nous semble-t-il, la solution logique,bien que plus fréquemment défavorable encas de plus-value, à moins que notre report ne retrouve un parfum de sursis2 ;

– dès lors comment calculer, quelques années après, la plus-value de cession des titres reçus en échange ?

La durée de détention des titres reçus en échange devrait se calculer de la date d’apport à celle de la cession des titres reçus en échange. L’abattement dont bénéficierait la plus-value de cession serait fonction de la durée de cette seconde période de détention. Si un tel raisonnement est retenu, il conviendraitd’admettre qu’en cas de moins-value de cession des titres reçus en échange, celle-ci supporteégalement l’abattement pour durée de détention. Dernière remarque, il serait logique que l’imposition globalement mise à la charge du contribuable ayant réalisé un tel échange de titres (soumis donc au report d’imposition) soit comparableà celle résultant d’une même opération mais placée sous le régime du sursis d’imposition. Les exemples ci-dessous montreront que cette logique risque de ne pas être respectée dès lors qu’on fractionnerait l’abattement pour durée de détention.

Appliquons la mécanique du report d’imposition telle qu’analysée ci-dessus, en supposant qu’elle soit retenue par l’administration, à travers quelques exemples.

1er exemple

Monsieur X apporte les titres (A) qu’il détient dans la société A à une structure holding (B) qu’il contrôle.Les titres A ont été souscrits 100 à la création de la société A et apportés trois années plus tard pour une valeur de 600 à la holding B que nous considérerons animatrice. Cinq années plus tard, Monsieur X cède ses titres B pour un prix de 1 500.

Imposition de Monsieur X considérant le régime incitatif applicable :

– plus-value de cession des titres B :1 500 – 600 :           900

– abattement pour durée de détention 65 % :                  (585)

Plus-value nette de cession :                                            315

– plus-value en report devenue imposable : 600 – 100 :   500

– abattement pour durée de détention 50 % :                  (250)

Plus-value nette en report devenue imposable :               250

__________________________________________________

Gain net imposable au barème de l’IRPP :                   565

Il y a lieu d’observer que le bénéfice d’un sursis d’imposition aurait conduit ce même contribuable à être imposé sur un gain net de cession de :

– plus-value de cession : 1 500 – 100 :                          1 400

– abattement pour durée de détention 85 % :               (1 190)

 

__________________________________________________

Gain net imposable au barème de l’IRPP :                  210

La logique de neutralité par rapport au mécanisme de sursis n’est donc pas respectée, ici dans un sens défavorable au contribuable ; mais on peut imaginer des cas où le dispositif jouerait en sa faveur.

2e exemple

Nous reprendrons les données de l’exemple1 mais en imaginant une cession des titres B pourun montant de 300,

Monsieur X sera imposé sur :

– moins-value de cession : 300 – 600 :                         (300)

– abattement pour durée de détention 65 % :                 195

Moins-value nette de cession :                                  (105)

– plus-value nette en report devenu imposable :              250

___________________________________________________

Gain net imposable au barème de l’IRPP :                  145

Le bénéfice du sursis aurait conduit Monsieur X à être imposé sur un gain net de cession de :

– plus-value de cession : 300 – 100 :                             200

– abattement pour durée de détention 85 % :               (170)

___________________________________________________

Gain net imposable à l’IRPP :                                       30

3e exemple

Monsieur X apporte ses titres A à la holding B pour 1 500 après huit années de détention et vend 2 années après ses titres B pour un prix de 1 000.

Monsieur X réalisera une moins-value de cession de 500 (1 000 – 1 500) diminué d’un abattement de 50 % soit 250, moins-value qui s’imputera sur une plus-value en report net d’un abattement pour durée de détention de 85 % soit :

(1 500 – 100) × 15 % = 210, le rendant non imposable.

Soumis au régime du sursis, il aurait été redevable d’une imposition calculée sur un gain de : 1 000 – 100 = 900 diminué d’un abattement de85 % soit : 135.

On relèvera un paradoxe dans le fait qu’alors que le report d’imposition a été présenté comme le moyen de prévenir des opérations abusives, il pourrait devenir un vecteur d’optimisation fiscale.

Ces trois exemples montrent la difficile conciliation du mécanisme du report d’imposition avec les abattements pour durée de détention quele législateur entend appliquer depuis quelquesannées aux plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers.

Plus préoccupante est son incertaine compatibilité avec la directive 2009/133/2E du 19 octobre 2009 (issue de la directive90/424/CEE du 23 juillet 1990, ci-après la Directive).

En conclusion, il ne semble pas évident que la réintroduction d’un mécanisme de report était nécessaire pour mieux combattre les risques d’abus en matière d’apport cession. Sans doute était-il nécessaire d’améliorer les obligations déclaratives ; sans doute était-il utile de légiférer pour introduire des conditions quant au maintien du bénéfice de ce régime. Mais le fait d’empiler les faits générateurs n’était pas indispensable, d’autant que, survenant au moment où le législateur a fait le choix d’abattement pour durée de détention, on se trouve confronté à la difficulté de compenser des plus ou moins-values déterminées de manière différente.

Autrement dit, l’objectif premier de ces mécanismes de report ou de sursis, à savoir la recherche de la neutralité, se révèle singulièrement difficile à mettre en oeuvre à partir du moment où l’on segmenteles plus ou moins-values. Mais attendons les commentaires de l’administration pour savoir comment elle entend surmonter cette quadrature du cercle.


La lettre gestion du patrimoine

De la réforme du régime d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux par les chefs d’entreprise

Philippe Durand et Bernard Liger

Quinze modifications des textes régissant l’imposition des gains de cession de valeurs mobilières par des chefs d’entreprises depuis 2005 ; non comprise celle en discussion au Parlement dans le cadre du débat sur le projet de loi de finances pour 2014, laquelle n’affecte pas moins de 127 dispositions du Code général des impôts.

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