La lettre gestion du patrimoine

Janvier 2017

Les aides d’Etat fiscales : un intérêt accru de la Commission pour cette matière complexe

Publié le 13 janvier 2017 à 16h04

Emmanuel Raingeard de la Blétière, PwC Société d’Avocats

Longtemps demeurées discrètes en fiscalité, les aides d’Etat ne cessent aujourd’hui de faire l’actualité. En dépit de plus d’un demi-siècle d’existence, le contenu et la portée exacts de l’interdiction des aides d’Etat demeurent, encore à ce jour, imprécis (1), en particulier en droit fiscal. Si son application à la matière fut confirmée dès 1974 par la Cour de justice de l’Union européenne, la vigilance de la Commission portait jusqu’à présent, essentiellement, sur les régimes fiscaux d’aide d’Etat, c’est-à-dire les dispositions fiscales de portée générale mais néanmoins sélectives au sens du droit des aides d’Etat. La Commission européenne s’intéresse désormais aux rescrits en ce qu’ils seraient, selon elle, des vecteurs potentiels d’aide individuelle (2).

Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, avocat associé, PwC Société d’Avocats

1. L’aide d’Etat : une notion aux contours (encore) incertains

La caractérisation d’une aide d’Etat par la Commission suppose la réunion de quatre critères : (i) la mesure doit être imputable à l’Etat et financée par ses ressources, (ii) elle doit être susceptible d’affecter les échanges entre les Etats membres, (iii) elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence, (iv) elle doit accorder un avantage économique et ce (v) de manière «sélective».

En règle générale, dans le cadre de mesures fiscales, la Commission éprouve peu de difficultés à démontrer l’existence des trois premiers critères. En effet, que l’aide trouve son siège dans la loi, un règlement, une circulaire ou encore un rescrit, ces actes sont chacun édictés par des organes de l’Etat et de ce fait, imputables à celui-ci. En outre, l’utilisation de ressources étatiques est entendue largement par la jurisprudence puisqu’elle recouvre aussi bien les transferts directs de fonds que les renonciations à recettes, notamment fiscales. Quant à l’effet sur la concurrence et les échanges entre Etats membres, il est, dans les faits, présumé puisqu’il suffit que le bénéficiaire de l’aide exerce une activité économique qui fait l’objet d’échanges entre Etats membres.

S’agissant de la démonstration de l’existence d’un avantage et de sa sélectivité, ces deux critères en matière fiscale sont souvent confondus. L’avantage suppose la preuve d’un simple allégement de la charge fiscale qui grève normalement le budget de l’entreprise, quelle que soit sa forme (par exemple : exonération, réduction ou rééchelonnement d’impôt).

Quant à la sélectivité, critère essentiel mais encore flou, il nécessite d’apporter la preuve que l’aide ne favorise que «certaines entreprises ou certaines productions». A cette fin, suivant l’analyse dite en trois étapes élaborée par la Cour de justice, il doit être établi que la mesure fiscale en cause déroge au système fiscal de droit commun en introduisant des différenciations entre opérateurs économiques se trouvant, au regard de l’objectif du système, dans une situation factuelle et juridique comparable, sans que cette dérogation ne soit justifiée par la nature ou l’économie générale dudit système.

Cependant, cette grille d’analyse a fait l’objet de dissensions au sein de la Cour de justice : pour certains, elle suffisait à établir la sélectivité d’une mesure, pour d’autres, elle devrait être complétée par l’identification d’une catégorie d’entreprises privilégiée présentant des caractéristiques propres.

La CJUE, en grande chambre, a  refusé une telle exigence supplémentaire (CJUE, 21 décembre 2015, C-20/15 P et C-21/15 P, World Duty Free Group SA, ex-Autogrill). Elle a ajouté que sa méthode traditionnelle d’identification de la sélectivité « consiste essentiellement à rechercher si l’exclusion de certains opérateurs du bénéfice d’un avantage fiscal découlant d’une mesure dérogeant à un régime commun fiscal constitue un traitement discriminatoire à leur égard» (pt. 71).

2. Les rescrits fiscaux : une priorité du mandat de la Commission Juncker

En juin 2013, la Commission a commencé à enquêter sur les pratiques de sept Etats membres en matière de rescrits fiscaux, elle étendit, dès décembre 2014, ses investigations à l’ensemble des Etats membres de l’UE. A cet effet, elle a collecté de nombreuses informations – générales mais aussi nominatives – sur les décisions fiscales anticipatives émises entre 2010 à 2013 par leurs autorités. C’est sur cette base qu’elle demanda par la suite la communication de certaines d’entre elles.

Elle examine aujourd’hui plus de 1 000 rescrits fiscaux examinés. Si, pour le moment, la Commission n’a clos que quatre enquêtes par des décisions ordonnant la récupération d’aide d’Etat fiscales (à l’encontre d’Apple, de Starbucks, de Fiat et de plusieurs sociétés bénéficiaires du régime sur les bénéfices excédentaires belges) elle en a ouvert d’autres récemment. Rappelons que la dite récupération se fait auprès de l’entreprise ayant bénéficié des aides d’Etat – illégales – et ce au cours des dix dernières années.

A ce stade, deux remarques peuvent être formulées. En premier lieu, il apparaît que la Commission, recherche non seulement les rescrits fiscaux qui, selon elle, dérogent aux règles fiscales généralement applicables, mais aussi ceux qui caractérisent des régimes d’aides d’Etat (par exemple le régime des bénéfices excédentaires belge, le régime des rescrits à Gibraltar…). En deuxième lieu, la Commission semble s’intéresser essentiellement à la validation d’une part, de prix de transfert ou de méthode de répartition de bénéfices non conformes à la réalité économique (uniquement, d’après la DG Concurrence, dans les cas de «violation manifeste» du principe de pleine de concurrence) et d’autre part, d’applications «incohérentes» de la législation nationale entraînant une double non-imposition.

A notre avis, les entreprises devraient s’atteler à l’identification des risques afférents au droit des aides d’Etat, c’est-à-dire à identifier les rulings mais aussi les régimes préférentiels – fussent-ils légaux – dont elles bénéficient ou ont pu bénéficier et ce afin, d’une part, de ne pas être prises au dépourvu en cas d’action de la Commission et, d’autre part, de trouver une solution de sortie.


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