La lettre gestion du patrimoine

Mai 2015

Actualité des successions et donations

Publié le 22 mai 2015 à 14h39

Philippe Laval, PwC Société d’Avocats

La jurisprudence en matière de droit des successions et des libéralités a été assez fournie ces dernières années, apportant des précisions importantes, notamment sur la pratique des donations-partages et des avantages en nature consentis à un enfant.

Par Philippe Laval, avocat, PwC Société d’Avocats

L’objectif de cette chronique est de mettre en avant certaines des décisions qui nous ont semblé les plus significatives dans ce domaine.

Le logement gratuit d’un enfant par ses parents est-il une libéralité rapportable ?

Jusqu’à une époque récente, la jurisprudence considérait que le fait pour des parents de mettre gratuitement à la disposition d’un de leurs enfants un logement (indépendant de leur propre habitation) constituait dans tous les cas un avantage indirect rapportable par son bénéficiaire à la succession de ses parents.

Le rapport dû est alors fixé par la jurisprudence à la somme des loyers économisés par l’enfant bénéficiaire pendant toute la durée de l’occupation gratuite de l’immeuble, ce qui, sur une durée de plusieurs années, peut représenter un montant très important.

L’enjeu de la question n’est donc pas anecdotique, d’autant qu’il s’agit là d’une revendication assez fréquente des frères et sœurs du bénéficiaire lors du règlement de la succession des parents…

Sur ce point précisément, la Cour de cassation a opéré un important revirement par quatre arrêts de janvier 2012, dans l’intention semble-t-il de mettre un coup de frein à ce type de contentieux successoraux, puisqu’elle en revient à une position plus orthodoxe en exigeant que cet avantage de logement gratuit constitue une véritable libéralité, supposant donc comme telle «un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier».

Autrement dit, il ne suffira plus désormais aux cohéritiers s’estimant lésés d’établir que leur frère ou sœur a été logé gratuitement dans un logement mis à sa disposition par leurs parents pendant un temps plus ou moins long pour obtenir le rapport de cet avantage en nature dans le partage successoral : il faudra aussi démontrer que les parents ont consenti cet avantage à un de leurs enfants dans une intention libérale, ce qui ne sera pas aussi simple…

En effet, dans la plupart des cas, cet avantage n’aura pas été formalisé par les parents dans un acte ou un testament, et il faudra rechercher la preuve de l’intention libérale dans les circonstances de fait : durée prolongée de la mise à disposition du logement pendant plusieurs années, enfant ayant un emploi et des revenus suffisants pour assurer ses dépenses de logement, absence de contrepartie de la part de l’enfant logé…

Ainsi, lorsque les parents auront hébergé leur enfant chez eux, ou encore l’auront gratuitement logé dans un appartement indépendant, au titre de leur obligation d’entretien ou alimentaire, pendant ses études ou alors qu’il était dans le besoin, il ne s’agira pas d’une donation rapportable à la succession.

Bref, si les parents veulent éviter toute ambiguïté sur la nature de la mise à disposition gratuite du logement à leur enfant, et ainsi supprimer toutes discussions entre leurs héritiers lors du règlement ultérieur de leur succession, ils ont tout intérêt à formaliser la chose par un écrit (qui pourra prendre la forme, selon les cas, de testament, de donation d’usufruit, de prêt…).

Pas de donation-partage sans partage des biens

Cette assertion semble à première vue relever de l’évidence. Il était pourtant de pratique relativement courante que, par des actes qualifiés de donation-partage, des parents fassent donation à leurs enfants de quotes-parts indivises d’un ou plusieurs biens familiaux, notamment d’immeubles non aisément partageables.

Cela aboutissait donc à créer une indivision entre les enfants codonataires, chacun se voyant attribuer dans l’acte des droits indivis sur un bien, et non pas un lot bien individualisé à titre privatif.

C’est à cette pratique, déjà critiquée par quelques éminents auteurs, que la Cour de cassation a marqué un vigoureux coup d’arrêt, par deux arrêts de principe du 6 mars 2013 et du 20 novembre 2013.

Dans ces deux affaires en effet, la Cour de cassation a refusé la qualification de donation-partage à des actes qui attribuaient aux enfants donataires, ou à certains d’entre eux, des quotités indivises, en rappelant fermement qu’«il n’y a de donation-partage que dans la mesure où l’ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants».

Il en résulte que de tels actes ne peuvent pas opérer de partage et seront donc requalifiés en donations ordinaires.

Or, cette disqualification n’est pas neutre car elle entraîne la perte des avantages décisifs que présente la donation-partage sur le plan civil, et qui en font un précieux instrument de stabilisation et de sécurisation des transmissions familiales, à savoir la dispense de rapport des biens reçus à la succession des parents donateurs et la non-réévaluation de ces biens au jour du décès des donateurs pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible.

Il existe cependant une «session de rattrapage» dans la mesure où l’article 1076 alinéa 2 du Code civil permet que la donation et le partage soient faits par actes séparés. Le partage des biens donnés indivisément aux enfants pourra donc intervenir dans un acte ultérieur, mais seulement à la condition que les parents donateurs interviennent aux deux actes, ce qui suppose que le partage puisse se faire de leur vivant.

Sur le plan fiscal par ailleurs, la réalisation du partage par un acte postérieur à la donation a l’inconvénient de rendre exigible le droit de partage de 2,50 %.

Une autre possibilité de régularisation a posteriori d’une «donation-partage» comportant des quotités indivises serait de la réincorporer dans une nouvelle donation-partage faite par les parents à leurs enfants et, le cas échéant, leurs petits-enfants (donation-partage transgénérationnelle), ainsi que le permet le Code civil (article 1078-1).

On peut ainsi à cet égard relever que, dans un arrêt récent du 15 janvier 2014, la Cour de cassation a validé l’incorporation dans une donation-partage d’un bien antérieurement donné indivisément à plusieurs des enfants, et son attribution à l’un des codonataires.

Mais, là encore, il y aura un coût supplémentaire en termes de droit de partage…

Quid des constructions faites par les parents sur un terrain qu’ils ont donné en nue-propriété à un enfant ?

Il s’agit là du schéma relativement classique de la donation de la nue-propriété d’un terrain à l’un des enfants, suivie de la construction d’une maison ou de bâtiments par le ou les parents donateurs ayant conservé l’usufruit viager du bien donné.

Dans ce cas de figure, tant les cohéritiers de l’enfant nu-propriétaire que l’administration fiscale peuvent être tentés de voir dans cette opération un avantage indirect conséquent consenti par les parents usufruitiers à titre gratuit à leur enfant.

La valeur du terrain donné à l’enfant va en effet, par hypothèse, se trouver sensiblement augmentée par ces constructions financées par les parents.

Ainsi, dans une affaire récente, l’administration fiscale prétendait qualifier de donation indirecte la construction par un père d’immeubles de rapport sur des terrains donnés à sa fille en nue-propriété et dont il s’était réservé l’usufruit, et soumettre de ce fait aux droits de mutation à titre gratuit la valeur des travaux effectués.

La cour d’appel de Lyon, approuvée par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 septembre 2012, a rejeté cette prétention, posant le principe que, à défaut d’accession immédiate des constructions pour la fille nue-propriétaire, celle-ci n’entrerait en possession de ces constructions qu’à la fin de l’usufruit du père et donc qu’il n’en résultait pour elle aucun enrichissement immédiat.

Il n’y a donc, selon la Cour de cassation, pas de donation indirecte en l’espèce par le père à sa fille.

A l’appui de cette position favorable, qui accroît encore les bienfaits de l’optimisation patrimoniale du démembrement de propriété, on invoque aussi les dispositions de l’article 599 alinéa 2 du Code civil, aux termes duquel «l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée».

Selon le Code civil, il est donc clair que les améliorations faites par l’usufruitier doivent in fine faire le profit du seul nu-propriétaire.

Pour autant, certaines circonstances de fait pourraient contribuer à démontrer que l’opération dissimule bien une donation indirecte, qui pourrait alors être invoquée par les cohéritiers pour demander le rapport successoral ou par l’administration fiscale pour demander des droits de donation, à condition cependant là encore pour ces derniers de pouvoir prouver l’intention libérale du parent usufruitier.

Or, cette preuve sera d’autant plus difficile à apporter que l’usufruitier aura eu la jouissance du bien pendant une longue période et aura ainsi personnellement profité des immeubles construits par lui ou des revenus procurés par leur location.


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