La lettre gestion du patrimoine

Mai 2015

Le rachat de ses propres titres par une société : une nouvelle donne fiscale

Publié le 22 mai 2015 à 14h38

Par Louis-Pascal Brabant, avocat, Philippine Parini, Bruno Thomas, avocat associé et Ji-Soo Kim, PwC Société d’Avocats

Régime antérieur : de l’hybride…

Il existe schématiquement deux grands cas de réductions de capital : celles motivées par des pertes et celles non motivées par des pertes.

Dans le second cas, la réduction de capital peut prendre la forme d’un rachat de titres entraînant alors pour l’associé ou l’actionnaire une imposition du gain de rachat à la fois dans la catégorie des plus-values sur valeurs mobilières et dans la catégorie des revenus distribués, éligible à l’abattement de 40 %.

Il existait cependant un cas où les sommes attribuées aux associés étaient traitées de manière uniforme et imposées sous le régime des plus-values mobilières, qui était celui des rachats de titres en vue d’une attribution aux salariés.

La décision QPC Machillot rendue par le Conseil constitutionnel après renvoi par le Conseil d’Etat, le 20 juin 2014, a initié une profonde modification du régime fiscal applicable en matière de rachat de titres dans le cadre d’une opération de réduction de capital.

Le législateur a consacré la vision des Sages dans l’article 88 de la loi de finances rectificative pour 2014 du 29 décembre 2014.

En modifiant l’article 112, 6° du Code général des impôts, les Sages puis le législateur ont mis fin au régime mixte qui régissait jusqu’alors la fiscalité des réductions de capital par rachats de titres.

Régime actuel : … à l’uniforme

Le nouveau régime est entré en vigueur à compter du 1er janvier 2015 et joue indifféremment, que les associés et actionnaires soient domiciliés ou non en France.

Cependant, une précision doit être apportée quant aux rachats de titres réalisés sur les titres détenus par les actionnaires et associés personnes physiques en 2014, pour lesquels le régime des plus-values est applicable selon la loi de finances rectificative.

Le traitement fiscal des rachats de titres est désormais uniformisé sous le régime des plus-values, que le cédant soit soumis à une imposition à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés. La qualification de revenus distribués est donc désormais écartée.

Dans le cas où l’associé bénéficiaire serait imposable à l’impôt sur le revenu, le régime des plus-values privées ou professionnelles trouvera à s’appliquer.

De manière plus détaillée, si l’associé est une personne physique, le rachat sera traité au regard des dispositions de l’article 150-0 A du Code général des impôts avec application des abattements pour durée de détention de droit commun et majoré de celui de l’article 150-0 D du même Code, et cela, dès l’imposition des revenus 2014 (50 % d’abattement dès l’instant où les titres ont été détenus depuis plus de deux ans et 65 % d’abattement lorsque la durée de détention est supérieure à huit ans). Cependant, l’application de l’abattement forfaitaire supplémentaire pour dirigeants partant à la retraite n’est pas tranchée.

Si l’associé cédant est une entreprise soumise à l’impôt sur le revenu, cela entraînera l’application du régime des plus-values professionnelles de l’article 39 duodecies du Code général des impôts.

Lorsque le rachat de titres met en jeu une société cédante soumise à l’impôt sur les sociétés, le régime applicable sera alors celui des plus-values sur portefeuille-titres de l’article 209, I du Code général des impôts, ce qui a notamment pour conséquence d’exclure les sommes retirées de l’opération de rachat de titres du champ des produits de filiales pouvant bénéficier du régime des sociétés mères-filles des articles 145 et 216 du même Code.

Les non-résidents sont eux aussi impactés par ce changement de régime, dès l’instant où la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du Code général des impôts n’est plus applicable. Doivent alors s’appliquer les dispositions de l’article 244 bis B dudit Code, sous réserve de l’application de conventions fiscales internationales en vue d’éliminer les doubles impositions.

Cette nouvelle donne fiscale appelle quelques commentaires.

L’uniformisation du régime des rachats de titres semble être plus avantageuse pour les bénéficiaires personnes physiques dès lors que le jeu des abattements pour durée de détention fait considérablement diminuer le taux marginal d’imposition en cas de détention de titres supérieure à deux ans.

Certaines opérations sont désormais facilitées, comme les réductions de capital de sociétés holdings disposant de liquidités ou encore la sortie d’actionnaires ou associés minoritaires.

L’Administration a confirmé que, pour les titres non cotés détenus dans un PEA, le plafonnement de l’exonération de 10 % ne trouve pas à s’appliquer en cas de rachat de titres. Cela est souvent apprécié dans un contexte de sortie de LBO.

Les suites de ce changement de régime fiscal sont également importantes dans le sens où les personnes lésées par l’imposition suivant le régime des revenus mobiliers, les personnes non résidentes fiscales françaises lésées par la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du Code général des impôts, seraient recevables à présenter une réclamation au titre des rachats antérieurs au 1er janvier 2015. En revanche, les associés ou actionnaires soumis à l’impôt sur les sociétés se voient appliquer une quote-part taxable de 12 % sous le régime des titres de participation, contre 5 % dans le cadre du régime mères-filles.

Vers un retrait plus souple de l’actionnaire

L’actionnaire qui souhaite se retirer d’une société a le choix entre céder ses actions aux autres associés de la société et se faire racheter ses titres par la société elle-même. Le régime fiscal qui s’attachait à ces deux hypothèses différait, puisque la première option s’accompagnait d’une imposition sous le régime des plus-values tandis que la seconde option entraînait une imposition sous le régime des revenus distribués, largement défavorable. La loi de finances rectificative pour 2014, en alignant les deux hypothèses sous le même régime des plus-values, entraîne un regain d’intérêt pour le rachat d’actions par la société, dont la mise en œuvre pratique s’avère plus facile.

Ainsi, le régime fiscal de faveur entré en vigueur le 1er janvier 2015 a pour effet de rendre plus utiles et avantageux des outils préexistants permettant à un associé de se faire racheter ses parts par la société.

Il en va ainsi du rachat par la société d’actions de préférence, c’est-à-dire, en vertu de l’article L. 228-11 du Code de commerce, d’actions qui peuvent être créées, lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, avec ou sans droit de vote, et qui sont assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent.

L’actionnaire qui souhaite se retirer de la société peut ainsi se faire racheter ses actions de préférence par la société en bénéficiant du régime fiscal de faveur et sans que la société ne puisse s’y opposer dans le cadre des actions de préférence «stipulées rachetables» dans les statuts dès leur émission1.

Cependant, l’actionnaire se voit désormais refuser l’initiative du rachat de ses actions par la société2, sauf pour les actions rachetables émises avant le 3 août 20143, ce qui est une solution restrictive si l’on compare avec l’ancienne jurisprudence relative au dispositif. Cette limite se révèle problématique en pratique puisque le retrait de l’actionnaire ne peut être décidé que par la société elle-même.

En outre, l’ordonnance du 31 juillet 20144 dote le rachat d’actions de préférence d’un régime complexe, en multipliant les conditions de réalisation. Ainsi, la détention d’actions de préférence doit remplir non seulement les conditions prévues aux articles L. 225-210 à L. 225-212 du Code de commerce (relatives au montant de la réserve indisponible, au nombre d’actions de préférence, etc.), mais aussi des obligations formelles (obligation de déclaration de l’opération de rachat à l’AMF, indication dans le rapport du conseil d’administration ou du directoire, tenue d’un registre des actions rachetées).

Par ailleurs, la distinction entre le rachat d’actions de préférence «non stipulées rachetables dans les statuts» et celui d’actions de préférence «stipulées rachetables dans les statuts» a pour effet de complexifier davantage le régime du rachat d’actions de préférence. Le rachat d’actions de préférence «stipulées rachetables» doit ainsi remplir des conditions spécifiques, relatives notamment au montant de réserves autres que la réserve légale ou au paiement d’une prime en sus de la valeur nominale.

Le régime fiscal de faveur se voit donc contrecarré par la complexité du régime attaché au rachat des actions de préférence et le refus d’accorder l’initiative du rachat à l’actionnaire. Le mécanisme s’avère en revanche véritablement intéressant dans l’hypothèse du rachat d’actions dans les sociétés à capital variable.

Une société à capital variable a en effet pour caractéristique de disposer d’un capital susceptible d’augmenter ou de diminuer sans formalité par l’effet soit de nouveaux versements effectués par les associés, soit de reprises d’apport consécutives à des retraits d’associés. Aux termes de l’article L. 231-6 du Code de commerce, les statuts des sociétés à capital variable peuvent ainsi donner à l’assemblée générale le droit de décider, à la majorité requise pour la modification des statuts, le retrait d’un ou plusieurs associés. Les conditions financières du retrait sont déterminées dans les statuts et peuvent, par exemple, résulter d’une évaluation de la société effectuée chaque année. Concrètement, ce type de société permet donc l’entrée et la sortie d’associés de manière extrêmement souple et pratiquement sans aucune formalité.

Cette caractéristique est particulièrement intéressante dans un groupement qui, par définition, a vocation à accueillir et associer régulièrement de nouveaux membres.

L’inconvénient de ces sociétés à capital variable était le régime fiscal attaché à la sortie des associés. Ainsi, les sommes attribuées aux actionnaires au titre du rachat de leurs actions étaient auparavant considérées comme des revenus distribués. En les traitant désormais comme des plus-values, avec le régime de faveur qui en découle, les sociétés à capital variable s’avèrent constituer un mécanisme intéressant, de par la souplesse dont bénéficient les sorties d’associés et le régime fiscal favorable qui y est désormais attaché.

L’actionnaire qui souhaite se retirer d’une société à capital variable peut donc le faire dans les conditions déterminées par les statuts, sans que la société ne puisse s’y opposer, tout en bénéficiant du régime fiscal de faveur.

1. Distinction opérée par la directive « Capital social » entre les actions de préférence « non stipulées rachetables dans les statuts» et les actions de préférence « stipulées rachetables dans les statuts » et reprise par l’Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés, prise en application de l’article 3 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises2 Article 22 de l’Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 précitée3 CA Nancy, 1re civ., 16 juin 20144 Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 précitée

2. Article 22 de l’Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 précitée

3. CA Nancy, 1re civ., 16 juin 2014

4. Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 précitée


La lettre gestion du patrimoine

La holding animatrice : un sésame fiscal encore capricieux

Georges Morisson-Couderc et Nathalie Delmarès, PwC Société d'Avocats

Conscient du rôle moteur des entreprises familiales dans l’économie, le législateur ne cesse de créer, depuis quelques années, des dispositifs destinés à favoriser leur création, leur détention et leur transmission.

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...