La lettre gestion du patrimoine

Mars 2015

L’accord de répartition des coûts et l’approche nexus proposée par l’OCDE pour les régimes de «patent box»

Publié le 20 mars 2015 à 16h54

Xavier Sotillos-Jaime et Fabien Fontaine, PwC Société d’Avocats

De longue date, les groupes internationaux reconnaissent que la localisation de leurs fonctions de R&D soulève des enjeux fiscaux notables, dans la mesure où les actifs en résultant se voient souvent allouer des revenus très significatifs ou génèrent des plus-values de cession conséquentes. Symétriquement, de nombreux Etats ont pris acte de ce levier de gestion fiscale et de la forte mobilité de ces fonctions et actifs, qu’ils souhaitent attirer sur leur territoire en offrant un traitement fiscal favorable, couramment désigné sous le terme de «patent box».

Par Xavier Sotillos-Jaime, associé, PwC Société d’Avocats et Fabien Fontaine, avocat, PwC Société d’Avocats.

Ces régimes portent néanmoins en germe des pratiques fiscales dites «dommageables» dès lors qu’ils facilitent l’évasion fiscale en hébergeant une base imposable artificiellement élevée, au détriment des autres Etats d’implantation du contribuable. Voilà du moins la position prise par l’OCDE dans le cadre de ses travaux sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, formulée dans un Rapport d’étape intitulé «Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance». En réponse à ce risque, ce rapport prône notamment une approche dite de «lien» (ou «nexus(12)») liant de manière directe les bénéfices fiscaux retirés d’un régime de patent box et les dépenses de R&D engagées par le contribuable bénéficiaire, elles-mêmes assimilées à un approximateur de l’«activité substantielle» et de la «valeur ajoutée» de ce dernier.

En pratique, les revenus éligibles au patent box seraient déterminés par application aux revenus en cause d’un quotient de dépenses directes (excluant notamment les charges financières ou immobilières plus larges) de R&D «éligibles» du contribuable sur dépenses de R&D «totales». La lutte contre l’évasion fiscale justifierait que la définition des dépenses éligibles écarte un «simple apport de capitaux» ou des «dépenses au titre d’activités substantielles de R&D par des parties autres que le contribuable», mais également les dépenses de sous-traitance effectuées par des parties liées, dans la mesure où il serait possible d’«externaliser à une partie liée toute la gamme de ses activités de R&D» alors que «l’externalisation illimitée à des parties non liées ne devrait pas donner de nombreuses occasions aux contribuables de bénéficier d’avantages, sans s’engager eux-mêmes dans des activités substantielles (…)». Ce dernier constat tendrait à remettre directement en cause le paradigme de la sous-traitance, ayant une place centrale dans l’organisation fiscale des multinationales, et portant par construction sur des prestations de routine recevant une rémunération réduite.

Ce type d’initiative soulève des questions de compatibilité européenne (sont-elles compatibles avec les libertés de circulation et susceptibles par exemple de bénéficier de l’exception de cohérence du système fiscal ?). Surtout, comment articuler l’exigence de nexus avec l’organisation multipolaire et transnationale de la R&D dans les multinationales ?

L’accord de répartition des coûts («ARC») offre à notre sens des perspectives intéressantes d’articulation de cette organisation de la R&D avec cette exigence de substance locale. Le principe même d’accord de répartition des coûts consiste en effet à répartir un effort de R&D entre entités liées, qui bénéficient en retour d’un droit d’usage gratuit à hauteur de leurs contributions respectives à cet effort. Cette gratuité est la manifestation d’un droit de propriété économique de chaque membre de l’ARC sur une fraction de l’actif généré, résultant de sa participation aux coûts et risques de son développement – a contrario, en son absence, l’ARC est requalifié en accord de prestation de service ou de concession, donnant lieu à facturations imposables.

Cette exigence de gouvernance consubstantielle à l’ARC semble parfaitement cohérente avec les critères d’activité substantielle et de valeur ajoutée de l’approche nexus. Du reste, selon l’OCDE l’approche nexus «s’inspire du principe de base qui régit les crédits de R&D et les régimes fiscaux similaires «à l’entrée» qui s’appliquent aux dépenses encourues lors de la création de propriété intellectuelle» dans la mesure où «en vertu de ces régimes, les dépenses et les avantages sont liés puisque les premières servent à calculer l’avantage fiscal» ; or une telle approche est en première analyse à l’œuvre dans l’ARC, qui conditionne le droit d’usage gratuit découlant de la propriété économique à une participation effective aux coûts et aux risques par chaque membre.

L’approche nexus serait ainsi alignée avec une pratique d’ARC unissant contractuellement des pôles de recherche de multinationales entre territoires offrant chacun un régime de patent box. Il reste que la mise en œuvre d’un ARC appelle de réelles précautions afin de garantir une telle homogénéité. Sa gouvernance et son contrôle doivent effectivement conférer à l’ensemble des centres de recherche associés un pouvoir décisionnel avéré, ce qui peut être un écueil dans les multinationales pilotant leurs centres de R&D de manière relativement centralisée. A ces difficultés s’ajoutent les inconvénients liés à un éparpillement de la propriété économique des incorporels développés entre les participants, avec pour effet la cristallisation de plus-values locales, voire la multiplication de flux de redevances lorsque les actifs sont concédés par l’ARC à des tiers.

12. OECD (oct. 2014 et fév. 2015).


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