La lettre gestion du patrimoine

Mars 2015

Présence taxable dans un Etat : les contours de l’établissement stable pourraient bien s’élargir

Publié le 20 mars 2015 à 17h03

Michel Combe, PwC Société d’Avocats

Dans le cadre de ses travaux relatifs à l’érosion des bases imposables et le transfert de bénéfices, l’OCDE a lancé une action dite action 7 dont le titre est «Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable». L’objectif recherché au travers de cette action est défini comme suit : modifier la définition de l’établissement stable de manière à empêcher qu’une installation puisse échapper artificiellement à ce statut, notamment par l’utilisation d’accords de commissionnaire et le recours aux exemptions dont bénéficient des activités spécifiques.

Par Michel Combe, avocat associé, PwC Société d’Avocats.

La définition actuelle de l’établissement stable permet, selon le projet, à certaines activités d’entrer à tort dans les exceptions non constitutives d’un établissement stable. Dans le cadre de ce constat, le projet rappelle que le rapport «Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique» a identifié certains problèmes relatifs aux activités susceptibles de bénéficier de l’exception dans ce secteur économique qu’il convient d’intégrer dans les travaux sur l’action 7. Une fragmentation d’activités permettrait aussi de faire indûment entrer dans le cas des exceptions non constitutives d’un établissement stable certaines activités. Ces situations conduisent à ce que lesdites activités ne supportent pas d’imposition dans les Etats où elles sont conduites.

De même, ce rapport souligne que la définition actuelle de l’établissement stable permet à des activités conduites tant au travers d’un agent que des contrats de vente de biens appartenant à une entreprise étrangère puissent être négociés et/ou conclus dans un Etat par les vendeurs d’une filiale locale de cette entreprise étrangère sans que les bénéfices générés par ces ventes ne soient imposables dans ledit Etat alors que si ces ventes avaient été conduites par un distributeur local, le profit attaché à ces ventes y aurait été imposé. Sont ainsi visées les situations où des accords, aux termes desquels des entreprises agissaient comme distributeurs, ont été remplacés par des «accords de commissionnaire», entraînant un transfert de bénéfices sans qu’il y ait une modification substantielle des fonctions locales.

Au regard des objectifs et des propositions formulées par ce projet de rapport pour consultation, les fiscalistes vont devoir réapprendre à identifier les situations susceptibles de créer des établissements stables et adopter de nouveaux réflexes.

Ce projet soumis à consultation publique est un document qui n’a pas recueilli le consensus des Etats membres. Cette situation ne peut qu’être regrettée alors que nous sommes au cœur même de l’application des conventions fiscales. Toute divergence d’interprétation de la notion d’établissement stable créera un risque de double imposition. Nous voilà par ailleurs confrontés à une proposition qui, par sa volonté de créer un consensus propose des définitions, que nous qualifierons de molles, des situations susceptibles de créer un établissement stable.En l’absence d’une grille d’analyse ou de critères précis, le projet ne permet pas aux entreprises de qualifier facilement les situations qui peuvent conduire à la reconnaissance d’un établissement stable. Il ne permet pas plus de mettre en place une gouvernance dans les relations entre entreprises liées qui réduirait les risques fiscaux attachés à la présence d’un établissement stable. Par ce choix rédactionnel, ce projet ouvre la possibilité à un nombre croissant de conflits d’interprétation et donc à plus de cas de double imposition alors que l’objectif des conventions fiscales est justement d’éviter les doubles impositions (ainsi que désormais les doubles non-impositions). Le projet donne différentes propositions de définition pour conclure à la reconnaissance d’un établissement stable, toutes reposant in fine sur l’indépendance économique renforcée de la société locale pour que les activités qu’elle conduit ne soient pas constitutives d’une présence imposable d’une société étrangère. Si l’objectif est clair, les propositions sont trop générales et ne permettent pas dans leur rédaction actuelle de définir avec certitude les situations de dépendance économique.

Ainsi, selon ce projet, il pourra y avoir présence d’un établissement stable quand l’entité locale est en relation avec certaines personnes (chez le client final) d’une manière telle qu’il en résulte la conclusion de contrats. Qui sont ces personnes au sein de l’entreprise tierce cliente ? Comment définit-on la relation qui conduit à la conclusion de contrat ? Le projet ne propose aucun élément d’analyse ou de définition de ces personnes en fonction de leurs rôles dans la chaîne de valeur ou dans la gouvernance de l’entreprise cliente qui pourraient servir de fil d’Ariane.

Une autre approche proposée conduit à la présence d’un établissement stable en cas de conclusion d’un contrat ou de négociation des éléments significatifs d’un contrat. Si la première branche de cette alternative n’est pas éloignée de l’interprétation actuelle et ne pose pas de problème nouveau, la seconde branche crée une nouvelle incertitude. Il n’est proposé ici encore aucune définition ou grille d’identification des éléments significatifs d’un contrat susceptibles de conduire à la reconnaissance d’un établissement stable. Sont-ils l’accord sur la chose et sur le prix au sens du Code civil ou s’agit-il d’une approche plus large susceptible d’englober plus de situations ?

Non seulement les contrats de commissionnaires conclus entre parties liées sont visés comme devant conduire à la reconnaissance d’un établissement faute d’indépendance économique présumée du commissionnaire vis-à-vis de son commettant, mais sont aussi concernés les accords que le projet définit comme des accords exprimant une «stratégie similaire», c’est-à-dire une stratégie qui éroderait la base imposable dans les Etats où les ventes interviennent. Quels sont ces contrats qui reflètent une stratégie similaire ? Est-ce que les caractéristiques des contrats dit de distribution à risques limités ou les contrats de distribution dits «flash title» (aux termes desquels le transfert de propriété intervient un instant de raison avant la vente aux clients finaux), qui sont par ailleurs conclus classiquement entre entreprises indépendantes, sont de nature à relever de cette définition ? Peut-il en être ainsi alors qu’ils sont souvent des éléments de la stratégie opérationnelle des entreprises comme les stratégies de «lean management», de centralisation de fonctions ou de réduction des coûts ?

Ce rapport, au lieu de définir une liste de contrats susceptibles d’éroder les bases imposables, devrait donner des outils permettant de caractériser les situations contractuelles estimées abusives ou positivement définir les conditions dans lesquelles du fait de la gouvernance mise en place, une entité locale ne sera pas présumée être un agent économiquement dépendant constitutif d’un établissement stable.

Si une lecture rapide du projet soumis à consultation pourrait laisser penser que la proposition de révision de la définition des activités qui par exception ne sont pas constitutives d’un établissement stable vise les «pure players» de l’économie numérique, une lecture plus attentive révèle que ce projet est susceptible en réalité de viser toutes les entreprises. Il suffit de constater que la vaste majorité des entreprises adoptent pour leurs activités de distribution une stratégie qui repose pour partie sur les outils numériques. Dès lors, la remise en cause de l’exception de l’article 5.4, aux termes de laquelle on considère qu’il n’y a pas établissement stable s’il est fait usage d’installations aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l’entreprise ou si des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison, aura un impact majeur pour les entreprises qui assurent la distribution de leurs produits tant au travers de boutiques physiques que virtuelles, en proposant par exemple de retirer le produit acheté en ligne dans une boutique physique. Selon la définition qui sera retenue au terme de la consultation, les ventes via les boutiques virtuelles mais avec une livraison locale seront susceptibles de faire qualifier la boutique physique d’établissement stable du site de ventes électroniques.

Lorsqu’un établissement stable est identifié, encore faut-il en déterminer les conséquences au regard de l’attribution des profits. Certes le projet pour commentaires indique que «les travaux sur ces questions devront également traiter les aspects connexes liés à l’attribution des bénéfices» mais il reste silencieux sur cette question alors qu’elle découle naturellement de la présence ou non d’une activité imposable. Comment est-il possible de débattre de la notion d’établissement stable sans aborder immédiatement l’allocation des revenus et des charges entre cet établissement stable et les autres parties de l’entreprise ?

On ne peut que regretter qu’à ce stade, ce projet pour consultation ne fasse aucun lien avec les notions de «significant people functions» ou de «key entrepreneurial risk taking functions» qui sont prises en compte dans le cadre de l’article 9 du modèle de convention fiscale de non double-imposition afin de déterminer la perte ou le profit attribuable.

Dans le même sens, la remise en cause proposée de l’exception de l’article 5.4.d du modèle de convention fiscale, aux termes de laquelle il n’y a pas d’établissement stable dans le cas d’une installation fixe d’affaires utilisée aux seules fins de réunir des informations, pour l’entreprise, renvoie directement au rapport sur l’économie numérique qui, dans sa première version, ne propose pas de réponse quant à la valeur attribuable aux données par rapport aux outils de traitement des données. Il est évident que la conséquence de la présence d’un établissement stable du fait de la collecte de données ne sera pas la même selon que l’on répond que la détention de la donnée est essentielle ou que c’est son traitement qui crée la valeur, sans écarter la possibilité que la réponse fiscale soit répartie entre les deux ; ce qui conduirait alors à s’interroger sur la pertinence des méthodes de fixation des prix de transfert et en particulier de la nécessité de recourir davantage à la méthode du profit split – y compris résiduel, que cela n’a été fait dans le passé.

Plus généralement, une des difficultés auxquelles les contribuables sont confrontés en prenant connaissance de ce projet est la nécessité de l’analyser à la lumière d’autres actions qui, directement ou indirectement, traitent aussi des établissements stables, telles que l’action 1 sur les incorporels, les actions 8, 9 et 10 portant sur les prix de transfert, les risques, la requalification des transactions, les services intra-groupes à faible valeur ajoutée et le partage de bénéfices dans le contexte de chaînes de valeur mondiales.

En conclusion, si ce projet soumis à consultation devait être adopté sans grand changement, les entreprises devront revoir chacune de leurs implantations ainsi que la gouvernance liant ces implantations afin de s’assurer que les modalités de fonctionnement actuelles ne sont pas pour l’avenir source de risques et d’obligations fiscales dans les différents Etats où elles sont présentes. Il conviendra dans cette analyse de ne pas se limiter aux conséquences au regard de l’impôt sur les sociétés mais de prendre en compte toutes les conséquences fiscales, dont celles en matière de TVA et de fiscalité locale. 


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