La lettre gestion du patrimoine

Mars 2015

Quelle déduction fiscale des charges financières pour demain ?

Publié le 20 mars 2015 à 16h59

Delphine Bocquet et Renaud Jouffroy, PwC Société d’Avocats

Les charges financières sont une composante importante du résultat fiscal des entreprises, que ces charges financières soient liées à son activité courante ou à l’acquisition d’un actif.

Par Delphine Bocquet, avocat associée, PwC Société d’Avocats et Renaud Jouffroy, avocat associé, PwC Société d’Avocats.

Les travaux de l’OCDE relatifs au plan d’action BEPS ne pouvaient dès lors pas manquer de s’y intéresser. C’est l’objet de l’action 4 intitulée «Déduction d’intérêts et autres frais financiers», dont le projet de rapport a été publié le 18 décembre 2014, précédant une période de commentaires publics qui s’est tenue jusqu’au 6 février 2015. Le rapport définitif est attendu fin 2015.

Concrètement, l’objet de l’action 4 est d’évaluer l’efficacité des différents types de limitation actuellement utilisés par les Etats en vue d’élaborer des recommandations de règles visant à empêcher l’érosion des bases fiscales et le transfert de résultat par l’utilisation de paiements d’intérêts et de paiements économiquement équivalents. Les objectifs clés guidant l’action 4 de l’OCDE sont ambitieux et s’apparentent même au Saint Graal du fiscaliste. Selon le projet de rapport, les recommandations devront en effet à la fois s’attaquer à l’érosion des bases fiscales, minimiser les distorsions de concurrence entre les groupes et les distorsions à l’investissement entre Etats, éviter toute double imposition, minimiser les coûts administratifs au niveau des Etats et les coûts de gestion au niveau des entreprises, promouvoir la stabilité économique, assurer une homogénéité de traitement entre entreprises équivalentes et comporter des règles claires permettant aux groupes de comprendre comment ils seront traités…

Même si le document publié le 18 décembre n’est à ce jour qu’un projet de rapport faisant état des nombreuses réflexions en cours de l’OCDE sur ce sujet, sa lecture permet néanmoins de mesurer à quel point les règles de déduction fiscale des charges financières et des frais assimilés pourraient être bouleversées dans un proche avenir.

1. Les sujets qui semblent faire l’objet d’un consensus

a. Le large champ d’application des futures recommandations

Sauf coup de théâtre, il semble d’ores et déjà acquis que les recommandations de l’OCDE auront un champ d’application très large s’agissant tant des paiements effectués que des entreprises concernées.

Ainsi, pourraient être visés non seulement les intérêts sur toutes formes de dette mais également, sans que ceci soit limitatif, les intérêts sur prêts participatifs ou sur les obligations convertibles, les financements alternatifs comme la finance islamique, la composante financière des crédits-baux financiers, les sommes requalifiées en intérêts par les règles de prix de transfert, les intérêts relatifs aux instruments dérivés, les résultats de change liés au financement, les commissions de garantie, les commissions d’arrangement et frais assimilés, etc.

Par ailleurs, s’agissant des entités visées, l’OCDE s’oriente également vers un périmètre large, puisqu’il est proposé que la règle concerne les sociétés et entreprises liées entre elles par un lien de détention direct ou indirect de 25 % (ou en présence d’un financement structuré). Ce périmètre est proche de celui retenu pour l’action 2 sur la neutralisation des schémas hybrides. Aucun seuil de matérialité ne devrait être recommandé par l’OCDE, par exemple pour les petites et moyennes entreprises, mais il est précisé que chaque Etat sera libre d’en instituer un.

 

b. L’indicateur à retenir devrait être le niveau de charges financières nettes, et non le niveau d’endettement

Après avoir décrit les arguments en faveur de la prise en compte soit du niveau de l’endettement soit du montant des charges financières (brut ou net), l’OCDE recommande la prise en compte du montant des charges financières en jugeant notamment que cet indicateur reflète mieux la situation d’une entreprise sur un exercice entier et est le plus à même de régler l’érosion de la base d’imposition et les transferts de bénéfices. Ainsi, le seuil classique de sous-capitalisation français prévu à l’article 212-II du Code général des impôts fondé sur le niveau d’endettement par rapport aux capitaux propres est en décalage avec l’approche proposée.

L’OCDE propose de retenir le niveau des charges financières nettes de produits financiers, estimant que la prise en compte de leur montant brut, quoique plus simple, induirait des risques de double imposition.

 

2. Le principal sujet encore en discussion : la nature du plafond de déduction

Trois options sont envisagées et longuement discutées dans le projet de rapport du 18 décembre.

a. Une limitation par référence à la situation du groupe dans son ensemble («group-wide test»)

Les «group-wide tests» sont fondés sur le postulat que la meilleure mesure du montant net de charge financière au sein d’un groupe est le montant net des intérêts versés par le groupe à des tiers.

Les charges financières externes sont ensuite soit «allouées» aux filiales en fonction de leur activité économique («interest allocation rule») soit utilisées pour établir un ratio global au niveau du groupe qui est ensuite comparé avec le ratio propre de chaque filiale («group ratio rule»). L’allocation et le ratio seraient tous deux fondés soit sur les actifs (a priori hors titres de participation) soit sur le résultat (hors dividendes), qui semblent à l’OCDE la meilleure mesure de l’activité économique.

L’OCDE examine les avantages et les inconvénients de chacune des deux méthodes et illustre leur fonctionnement par des exemples, mais ne se prononce pas clairement à ce stade sur celle qu’elle privilégie. Elle relève en revanche que – malgré leur grande complexité liée notamment à la collecte de l’information au niveau du groupe et à la nécessité d’utiliser un référentiel comptable commun – les «group-wide tests» sont en théorie la meilleure façon de lutter contre l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices.

 

b. Une limitation par application d’un ratio fixe propre à la société («fixed ratio test»)

Dans cette situation, la déduction des charges financières d’une entreprise serait autorisée jusqu’à une proportion spécifique de ses résultats, actifs ou capitaux propres.

L’OCDE reconnaît que cette option a l’avantage de la simplicité, ce qui explique qu’elle est aujourd’hui retenue par de nombreux pays. Cependant, elle note que les niveaux de déduction de charges financières actuels sont tous trop élevés et devront être diminués. Par ailleurs, cette option ne permet pas de gérer les besoins d’endettement non homogènes dans des secteurs économiques différents.

 

c. Une combinaison des deux options ci-dessus

Deux approches combinées sont envisagées pour limiter les coûts administratifs et de gestion :

• approche 1 : application du «group-wide interest allocation rule» avec une possibilité d’exclusion de ce mécanisme pour les sociétés qui ont un ratio fixe très bas et sont donc considérées comme étant peu à risque ;

• approche 2 : application d’un ratio fixe avec une possibilité de dépassement de la déduction en résultant si la société se situe dans les limites du ratio du groupe, à l’instar de la clause de sauvegarde française de l’article 212 III du CGI. Il nous semble que cette seconde approche est la plus simple à mettre en œuvre par les entreprises.

Le projet de rapport précise par ailleurs que des recommandations ciblées seront effectuées pour viser des situations telles que l’endettement artificiel, l’utilisation de sociétés intermédiaires pour obtenir un gain fiscal, les «debt push-down» excessifs.

Enfin, l’OCDE indique qu’une attention particulière sera apportée aux secteurs d’activités spécifiques comme la banque et l’assurance.

On le voit, l’action 4, si elle aboutit, va probablement modifier profondément le résultat fiscal financier des groupes incitant ces derniers à évaluer d’ores et déjà l’impact que pourraient avoir sur leur résultat fiscal les différentes options décrites ci-dessus. 


La lettre gestion du patrimoine

L’accord de répartition des coûts et l’approche nexus proposée par l’OCDE pour les régimes de «patent box»

Xavier Sotillos-Jaime et Fabien Fontaine, PwC Société d’Avocats

De longue date, les groupes internationaux reconnaissent que la localisation de leurs fonctions de R&D soulève des enjeux fiscaux notables, dans la mesure où les actifs en résultant se voient souvent allouer des revenus très significatifs ou génèrent des plus-values de cession conséquentes. Symétriquement, de nombreux Etats ont pris acte de ce levier de gestion fiscale et de la forte mobilité de ces fonctions et actifs, qu’ils souhaitent attirer sur leur territoire en offrant un traitement fiscal favorable, couramment désigné sous le terme de «patent box».

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