La lettre gestion du patrimoine

La Lettre Gestion du Patrimoine - avec PwC Société d'Avocats

Droits sociaux démembrés : la répartition des droits de vote et des dividendes entre l’usufruitier et le nu-propriétaire

Publié le 27 février 2017 à 16h39    Mis à jour le 3 mars 2017 à 17h56

Philippe Laval, PwC Société d’Avocats

Il est courant que, notamment à la suite d’une donation ou d’une succession, des parts sociales ou des actions fassent l’objet d’un démembrement de propriété entre, par exemple, des parents usufruitiers et leurs enfants qui ont recueilli la nue-propriété des titres.

Par Philippe Laval, avocat, PwC Société d’Avocats

Dans cette situation, il est important que les droits respectifs des uns et des autres soient bien déterminés, tant sur le plan des pouvoirs au sein de la société (droits de vote pour les décisions collectives) que sur le plan des prérogatives financières (répartition des bénéfices et des réserves, du boni de liquidation, etc.).

Il n’est donc pas inutile de faire un point sur ces questions, qui font l’objet d’une doctrine et d’une jurisprudence très nourries, notamment à la lumière de récents arrêts de la Cour de cassation qui ont quelque peu semé la confusion chez les praticiens…

Qui vote pour l’adoption des décisions collectives ?

Cela dépend du type de société, et des dispositions statutaires.

Dans les SA, la règle légale est que l’usufruitier a le droit de vote dans les assemblées générales ordinaires (donc notamment pour les distributions de dividendes ou même de réserves) et le nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires.

Dans les SARL et les sociétés civiles, le principe prévu par la loi est que le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices (donc les distributions de dividendes prélevés sur les bénéfices) où il est réservé à l’usufruitier (article 1844 al. 3 du Code civil).

Mais dans tous les cas, les statuts peuvent aménager différemment la répartition des droits de vote entre usufruitiers et nus-propriétaires, par exemple en attribuant le droit de vote à l’usufruitier pour toutes les décisions collectives, sauf pour certaines décisions spécifiques qui seront réservées au nu-propriétaire (prorogation de la société, dissolution, fusion, changement de nationalité, etc.).

En ce domaine, le champ de la liberté statutaire est donc très large.

Plusieurs limites cependant à cette liberté :

– le nu-propriétaire, ayant la qualité d’associé, ne peut être privé du droit de participer aux assemblées générales ; il doit donc être impérativement convoqué aux assemblées et recevoir les documents sociaux correspondants, même s’il n’a pas le droit de vote sur les résolutions qui sont à l’ordre du jour ;

– les engagements du nu-propriétaire ne peuvent pas être augmentés sans son accord ;

– les statuts ne peuvent pas priver l’usufruitier du droit de voter l’affectation des bénéfices ;

– lorsque des titres de la société sont démembrés à la suite d’une donation avec réserve d’usufruit, le bénéfice de l’exonération partielle de droits de donation «Dutreil» (article 787 B du CGI) est subordonné à la limitation statutaire des droits de vote de l’usufruitier, sur les titres objets de la donation, aux seules décisions concernant l’affectation des bénéfices.

Qui a droit aux distributions de bénéfices ?

Les dividendes prélevés sur le résultat de l’exercice ou le report à nouveau reviennent exclusivement à l’usufruitier, seul bénéficiaire des revenus des parts ou actions sur lesquelles porte son usufruit.

Les statuts ne pourraient donc pas valablement prévoir que les bénéfices distribués, qui constituent des fruits au sens civil du terme, seront attribués au nu-propriétaire.

Par ailleurs, si l’usufruitier renonçait volontairement, lors de l’assemblée, à percevoir les bénéfices distribués pour en faire bénéficier les nus-propriétaires, cela serait de nature à constituer, civilement et fiscalement, une libéralité à leur égard.

Qui a droit aux distributions de réserves ?

La question est ici plus complexe, et fait encore l’objet de discussions doctrinales, entre lesquelles la loi et la jurisprudence n’ont pas encore clairement tranché.

D’autant que la chambre commerciale et la chambre civile de la Cour de cassation ont pris récemment des positions divergentes sur la question, ce qui ne clarifie pas le débat…

On peut à l’heure actuelle tenter de résumer les choses de la façon suivante.

Le principe est que c’est le nu-propriétaire qui a droit aux distributions de réserves, dans la mesure où les bénéfices mis en réserve ont perdu leur nature de fruits et constituent un accroissement de l’actif social, revenant par conséquent au nu-propriétaire.

La chambre civile de la Cour de cassation vient, dans un arrêt du 22 juin 2016, d’en tirer la conséquence, logique mais radicale, que l’usufruitier n’avait aucun droit sur les dividendes prélevés sur les réserves, qui doivent revenir aux seuls nus-propriétaires.

La position de la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt récent du 27 mai 2015, est plus nuancée dans la mesure où, sans revenir sur le droit de nu-propriétaire aux distributions de réserves, elle reconnaît à l’usufruitier des parts ou actions un droit de quasi-usufruit s’exerçant sur les sommes provenant de ces distributions, conformément à l’article 587 du Code civil.

Cela signifie en pratique que c’est l’usufruitier qui percevra les sommes ainsi distribuées et pourra en disposer librement, à charge pour lui de restituer cette somme aux nus-propriétaires des parts à la fin de l’usufruit, soit en principe à son décès.

Une dette de restitution à l’égard des nus-propriétaires figurera en conséquence au passif de la succession de l’usufruitier, et viendra donc fiscalement en déduction de l’assiette des droits de succession.

Toutefois, rien n’interdit que les statuts de la société, ou une convention entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, règlent d’une autre manière le sort des distributions de réserves revenant aux parts démembrées.

Il nous paraît donc vivement recommandable, afin d’éviter toute incertitude lors des éventuelles distributions de réserves par la société, d’anticiper en prévoyant expressément et précisément dans les statuts les règles qui s’appliqueront à cet égard en ce qui concerne les parts sociales ou actions démembrées.

Ainsi, les options suivantes pourraient être prévues, outre le quasi-usufruit bien entendu :

– le partage des sommes distribuées entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, au prorata de la valeur de leurs droits (valeur pouvant par exemple être déterminée par valorisation économique ou par référence au barème fiscal de valorisation de l’usufruit en fonction de l’âge de l’usufruitier) ;

– le remploi des sommes dans l’acquisition d’un bien sur lequel sera reporté le démembrement de propriété ;

– ou bien encore le versement des sommes sur un compte bancaire démembré, ou leur virement sur un compte courant d’associé démembré.

Quid des résultats exceptionnels ?

Il n’y a en principe aucune distinction à faire en fonction de l’origine des bénéfices qui sont mis en distribution.

Qu’il s’agisse du bénéfice d’exploitation courant ou du bénéfice exceptionnel provenant de la cession par la société d’actifs immobilisés, les dividendes distribués reviennent intégralement à l’usufruitier.

Les statuts pourraient cependant déroger à cette règle et prévoir que seul le résultat courant reviendra à l’usufruitier, le résultat exceptionnel étant partagé entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, selon la valeur respective de leurs droits, ou bien versé sur un compte démembré entre eux, ou encore entièrement attribué à l’usufruitier au titre d’un quasi-usufruit (donc avec une dette de restitution à l’égard des nus-propriétaires en fin d’usufruit)…

On retrouve ici au fond les mêmes possibilités d’options que celles évoquées plus haut pour les distributions de réserves.

Sur le plan fiscal, on relèvera que l’attribution au nu-propriétaire d’une partie des dividendes prélevés sur le résultat exceptionnel ou l’option pour le quasi-usufruit sont des solutions à privilégier, notamment lorsque le démembrement est issu d’une donation des titres par les parents à leurs enfants, afin d’éviter une taxation supplémentaire des enfants donataires au titre des droits de succession au décès des donateurs.

On prendra d’ailleurs soin à cet égard, dans le cas d’une option pour le quasi-usufruit, de faire enregistrer le PV de l’assemblée le constatant ou la convention de quasi-usufruit éventuelle, de manière à donner date certaine à la dette de restitution vis-à-vis des nus-propriétaires et d’éviter ainsi toute contestation de l’administration fiscale au titre de la déductibilité de cette dette au décès de l’usufruitier.

Qui a droit au boni de liquidation ?

Pour conclure ce panorama non exhaustif, quelques mots sur la dissolution et la liquidation de la société.

En présence de titres démembrés, le remboursement des apports et l’éventuel boni de liquidation reviennent au nu-propriétaire des parts ou actions, mais les droits de l’usufruitier se reportent alors sur les actifs sociaux ou sommes attribués au nu-propriétaire.

Le démembrement de propriété qui existait sur les titres sociaux se trouvera donc reporté, par subrogation réelle, sur les biens en nature, et sur les sommes d’argent il y aura en principe un quasi-usufruit.

Toutefois, là encore, les statuts peuvent prévoir d’autres possibilités, comme le partage des actifs ou des sommes entre le nu-propriétaire et l’usufruitier.

On le voit, dans tous les cas de figure, il sera opportun de bien clarifier les règles en anticipant ces diverses situations par des clauses statutaires précises et adaptées.


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