La lettre gestion des groupes internationaux

Septembre 2017

Déduction des intérêts intragroupes : quand le soutien implicite ne va (plus ?) de soi

Publié le 22 septembre 2017 à 16h03

Fabien Fontaine et Christophe Bonneville

Véritable serpent de mer de la fiscalité financière, la question de la prise en compte de l’appartenance au groupe dans la détermination d’un taux d’intérêt intragroupe refait surface à la faveur d’un récent arrêt du Conseil d’Etat, du 19 juin dernier1.

Par Fabien Fontaine, avocat directeur spécialisé en prix de transfert financiers, PwC Société d’Avocats et Christophe Bonneville, avocat directeur, PwC Société d’Avocats

Si le dernier exercice vérifié, 2006, précède la modification de l’article 212 du CGI applicable à compter du 1er janvier 2007, et des changements en matière de charge de la preuve qui ont suivi, l’arrêt, en ce qu’il précise les conséquences de l’appartenance à un groupe sur la solvabilité d’une filiale, conserve toute sa portée.

En l’espèce, une entité française versait des intérêts d’emprunt jugés excessifs par l’administration fiscale, dans la mesure où ils reflétaient une solvabilité appréciée aux bornes du seul emprunteur, alors que ce dernier appartenait à un groupe bien plus solvable, susceptible de voler à son secours, et justifiant à cet égard des taux plus bas.

Les redressements de ce type sont souvent conséquents et font grand bruit dans le petit monde des prix de transfert. Encore tout récemment, le 21 avril 2017, le juge de l’impôt australien a rejeté en appel l’analyse du groupe pétrolier Chevron, assimilant son emprunteur intragroupe à «un orphelin» selon l’expression relevée par le juge2, en considération d’une politique de groupe visant à minimiser les charges d’intérêt externes par l’octroi de garanties à ses filiales3, hardiment transposée au flux interne. L’administration fiscale australienne était ainsi fondée à retenir un taux de 5 %, sans même qu’il apparaisse que le coût de la garantie (en théorie devant refléter au moins en partie la réduction des taux pour l’emprunteur) ait été pris en compte dans l’analyse4. A l’inverse, la Cour fédérale d’appel (CAF) canadienne a confirmé le 21 décembre 20105 la déductibilité de frais de garantie explicites versés par la filiale canadienne de GE Capital, allant à l’encontre de la position de l’administration selon laquelle un soutien implicite (non facturable selon l’OCDE) du groupe aurait eu le même effet sur sa solvabilité.

Revenons à notre cas précis, où le Conseil d’Etat s’inscrit dans le droit fil des arrêts d’appel existants6 en exigeant de l’administration qu’elle démontre in concreto en quoi l’appartenance à un groupe «est susceptible d’avoir une incidence sur [la solvabilité de l’emprunteur]», appréciée par les agences de notation à l’aune d’une série de facteurs économiques propres à ce dernier et à son marché. Il est rappelé en des termes particulièrement clairs que l’administration supporte en effet la charge de la preuve, et qu’on ne saurait assimiler l’effet présumé d’une garantie explicite et l’appartenance à un groupe de sociétés qui ne pourrait, à elle seule, avoir un tel effet, quand bien même des prêteurs tiers auraient connaissance de la qualité de la signature de la société tête de groupe.

C’est que, comme le rappelle le rapporteur public, «[la] vraie question est de savoir si [le juge d’appel] a entaché ses arrêts d’erreurs de droit en refusant de présumer [que l’appartenance au groupe confère en partie sa solvabilité à la filiale] ; or [une] vision idyllique de la solidarité au sein d’un groupe n’est conforme ni à la pratique des agences de notation, ni à votre jurisprudence [notamment en matière d’acte anormal de gestion]». Elle appelle une appréciation au cas par cas7 très éloignée «de la reconnaissance d’un effet automatique aux garanties implicites», et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Très logiquement, les sages du Palais Royal confirment ainsi, par leur contrôle normal de l’absence d’erreur de droit, l’appréciation souveraine exempte de dénaturation par laquelle les juges du fond ont invalidé, en l’absence de démonstration d’effet sur la solvabilité, le redressement du taux d’intérêt. La preuve de l’incidence sur la solvabilité semble rester libre, alors que les juges d’appel ont pu être plus prescriptifs en attendant de l’administration soit qu’elle démontre que l’appartenance «[est] susceptible de modifier [les] propres conditions d’exploitation [de l’emprunteur] en sorte que cette appartenance ne demeure pas sans incidence sur sa solvabilité intrinsèque», soit qu’elle établisse une intervention nécessaire du groupe en cas de défaut de la filiale.

On note d’ailleurs que ce redressement s’était fait à hauteur d’une note AA, très proche de la note AAA de la société mère du groupe, contre une note intrinsèque de BB, ce qui permet d’évoquer la redoutable boîte de Pandore que constitue l’appréciation de l’ampleur de la portée du soutien implicite sur la note de l’emprunteur.

Il s’agit d’une difficulté technique sérieuse, relevée notamment par le rapporteur public à l’appui de son rejet du pourvoi : «L’incidence [de la note du groupe] sur la solvabilité [des] filiales est délicate à mesurer (…). Il est d’ailleurs inquiétant de constater que l’administration fiscale n’hésite pas à redresser un écart de taux aussi faible que 50 points de base (…) alors que la référence au marché est, on le voit, difficile à établir.» De même qu’en l’espèce, les vérificateurs considèrent en général que le soutien implicite attribue à l’emprunteur une note de crédit proche de celle de son groupe. Les agences de notation font reposer leurs propres analyses sur la nature stratégique de l’emprunteur, qui s’apprécie à l’aune de critères particulièrement subjectifs et dont on conçoit mal qu’un contrôle fiscal permette de prendre la pleine mesure. On perçoit sans peine le trouble du rapporteur public relevant qu’il «ne sera guère évident pour l’administration puis le juge fiscal de valider une appréciation se substituant à celle des spécialistes», et ce d’autant plus qu’une confusion est souvent faite entre la note de crédit d’un groupe et celle des instruments financiers qu’il émet (qui refléteront plus largement les conditions entourant ces instruments et notamment les sûretés y afférentes).

Si le sujet n’est pas nécessairement clos – et pourrait être rouvert au premier revirement de cour d’appel –, saluons une décision pleine de bon sens, et d’une retenue de bon aloi.

1. CE General Electric France, 9e et 10e chambres réunies, n° 392543

2. p. 45, § 131

3. Chevron Australia Holdings Pty. Ltd v. Commissioner of Taxation, [2017] FCAFC 62, p. 17, § 62 et 63

4. «A cross-border guarantee (…) might have attracted a fee (…). The OECD guidelines contemplate that a cross-border guarantee by a parent to a subsidiary may require the payment of an arm’s length guarantee fee» (p. 47, § 134).

5. The Queen vs. GE Capital Canada Inc., 2010, FCA 244.

6. A ce jour uniquement CAA Versailles 28 mai 2015 n° 14VE01904 et CAA Bordeaux 2 septembre 2014, Stryker Spine, n° 12BX01182.

7. Ce qui fait d’ailleurs écho à un considérant de l’arrêt canadien susmentionné relevant que la détermination de prix entre personnes sans lien de dépendance implique la considération de toutes les circonstances ayant une incidence sur le prix qu’elles découlent ou non de la relation entre les parties The Queen vs. GE Capital Canada Inc., préc. § 54.


La lettre gestion des groupes internationaux

BEPS/OCDE et prix de transfert : le temps de la mise en œuvre

Eric Bonneaud, PwC Société Société d’Avocats

Si le mois de juillet est traditionnellement le point de départ de la période estivale, pour tout praticien des prix de transfert, il est souvent attendu comme une période de rentrée «littéraire». En effet, l’OCDE met à jour de manière régulière à cette période son «petit» livre bleu qui consacre les Principes directeurs applicables aux prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales. La dernière refonte de ces Principes datait de juillet 2010.

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