La lettre gestion des groupes internationaux

Septembre 2017

Vers un renforcement des normes de documentation des méthodes de valorisation des incorporels dans les transactions intragroupes ?

Publié le 22 septembre 2017 à 16h03

Luc Goupil et Amadou Ky

Le 22 juin 2017, les représentants des Etats membres ont débattu à l’occasion de la réunion du Forum européen sur les prix de transfert des conclusions provisoires du rapport concernant l’usage des méthodes de valorisation dans le domaine des prix de transfert.

Par Luc Goupil, manager, PwC Société d’Avoca et Amadou Ky, consultant, spécialisés en prix de transfert, PwC Société d’Avocats

L’objet de la réflexion lancée par la Commission, et formalisée par ce projet de rapport, est de clarifier les modalités d’application du principe de pleine concurrence dans le contexte de transactions intragroupes requérant une valorisation d’actifs incorporels (le plus souvent via la mise en œuvre d’un ou de plusieurs modèles de valorisation), ainsi que les normes en matière de documentation attendues des entreprises. Les pistes ouvertes et les options discutées s’adressent donc tout autant aux experts en matière de valorisation pouvant être confrontés aux problématiques de prix de transfert dans le cadre de transactions intragroupes internationales qu’aux spécialistes des prix de transfert.

Sans surprise, les recommandations du projet de rapport sont largement en ligne avec les positions issues du projet BEPS de l’OCDE, dont une partie substantielle est précisément dédiée à la bonne mise en œuvre du principe de pleine concurrence dans les transactions impliquant des incorporels et dans les restructurations intragroupes. Est ainsi réitérée la nécessité de fixer les prix des actifs échangés entre entreprises liées de façon cohérente avec les prix de marché que l’on pourrait observer pour des opérations entre des acheteurs et des vendeurs indépendants, ainsi que de démontrer de façon détaillée cette cohérence à l’attention des administrations fiscales.

Ainsi, la Commission rappelle que dans les cas où une méthode de valorisation est utilisée dans le contexte de transactions intragroupes, l’ensemble des méthodologies, des hypothèses et des sources de données doivent être explicitées dans les documents présentant le résultat des méthodes appliquées.

Dans le prolongement des recommandations existantes, et des meilleures pratiques de place, elle considère que le contribuable doit démontrer que les hypothèses et paramètres essentiels des modèles utilisés (tels que les projections financières, les taux d’actualisation, les taux de rendement sur actif ou encore la durée de vie utile des actifs incorporels) ont été déterminés en fonction des caractéristiques des actifs et des faits et circonstances de la transaction. Quand cela est possible, le détail des paramètres retenus doit être justifié par une analyse économique (au moyen des méthodes usuelles de prix de transfert) des conditions prévalant entre entreprises indépendantes sur le marché.

En l’occurrence, dans le cadre de l’utilisation de la technique de valorisation dite du Relief from royalty, des méthodes de prix de transfert telles que la méthode CUP ou celle du partage des profits résiduels peuvent être utilisées pour estimer le taux de redevance applicable. Le projet de rapport rappelle que l’utilisation de ces méthodes doit être faite en conformité avec les principes directeurs en matière de prix de transfert. De même, si une méthode de valeur résiduelle est appliquée, l’origine des taux de rendement sur actif doit pouvoir être démontrée.

Poussant la logique à son terme, la Commission recommande aux entreprises concernées de justifier le choix de la méthode de valorisation elle-même, et non plus seulement de ses paramètres, au regard de critères usuels en matière de prix de transfert. Le projet de rapport souligne la nécessité d’analyser l’opportunité de l’utilisation de chaque méthode de valorisation au vu des circonstances et faits en présence, ainsi que la disponibilité d’informations fiables pour l’application de la technique en question, et préconise d’effectuer des analyses de sensibilité en comparant les résultats issus de différents modèles ou variantes d’un même modèle. De plus, les points de vue de l’entité cédante comme de l’entité acheteuse doivent être pris en compte par des approches bilatérales établissant la rationalité économique de la transaction pour chaque partie.

Dans une large mesure, les recommandations émises par la Commission se contentent donc de tirer les conséquences du principe de pleine concurrence en vigueur en prix de transfert dans le cadre de valorisations d’actifs transférés entre sociétés apparentées. Toutefois, certaines pistes évoquées, si elles devaient être adoptées par les Etats membres, pourraient significativement rehausser les exigences de documentation et de conservations des données attachées à ces opérations. La Commission soumet ainsi à discussion une exigence de transparence selon laquelle l’ensemble des données (taux de croissance, scénarios d’exploitation des actifs, projections financières, etc.) sous-jacentes à l’exercice de valorisation devrait être mis à disposition d’un examinateur externe. Par exemple, dans le cadre de l’utilisation d’un taux d’actualisation pour les besoins d’une analyse des prix de transfert, il est non seulement préconisé d’expliquer la méthode de calcul du taux d’actualisation, de démontrer la pertinence de ce calcul aux fins d’une analyse prix de transfert et d’indiquer quelles informations ont été utilisées, mais également de sauvegarder les données financières utilisées afin de figer leur valeur pour une utilisation future. Il est intéressant de noter que pour la Commission, ce standard a vocation à s’appliquer au contribuable comme à l’administration, quand celle-ci produit des valorisations alternatives dans le cadre de contrôles fiscaux.

En s’en remettant à la seule lettre du rapport, il est difficile de déterminer l’étendue exacte des exigences envisagées et ainsi d’estimer le surcroît potentiel de charge documentaire. Concernant la mise à la disposition d’examinateurs externes des informations nécessaires à l’examen en profondeur du modèle employé, on peut s’interroger sur le niveau idoine de granularité des données à conserver, ou encore sur la période de conservation de ces données. De même, concernant le choix du niveau des paramètres de valorisation, il s’agira de déterminer quand une analyse économique des conditions prévalant entre parties indépendantes est pertinente et réalisable, d’anticiper la complexité et le coût de l’exercice, et de fixer une approche documentaire.

Toutefois, le projet de rapport reconnaît sur ce point le principe de proportionnalité des enjeux financiers et de la charge documentaire. Les ressources consacrées à déterminer et à documenter la cohérence des méthodes utilisées avec le principe de pleine concurrence doivent ainsi être en adéquation avec les enjeux financiers de la transaction. En l’absence de plus de précisions, il revient aux administrations fiscales nationales, dans le cadre de leur pratique de contrôle fiscal, de fixer le curseur des exigences.


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