La lettre gestion des groupes internationaux

Avril 2013

Lutte contre le «planning» fiscal agressif et libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne

Publié le 10 mars 2014 à 14h33    Mis à jour le 12 mars 2014 à 9h59

Emmanuel Raingeard de la Blétière

Au sein de l’Union européenne, les restrictions aux libertés fondamentales peuvent être justifiées par l’objectif de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale. Néanmoins, de telles restrictions doivent être proportionnées à l’objectif recherché.

Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, maître de conférences Université de Rennes 1 ; Counsel, cabinet Landwell & Associés.

Ceci implique que :

– la mesure doit se fonder «sur un examen d’éléments objectifs et vérifiables pour déterminer si une transaction présente le caractère d’un montage purement artificiel uniquement à des fins fiscales» ;

– la mesure doit mettre «le contribuable en mesure, sans le soumettre à des contraintes administratives excessives, de produire des éléments concernant les éventuelles raisons commerciales pour lesquelles cette transaction a été conclue» ; et

– les motifs fiscaux d’une transaction «ne sauraient, à eux seuls, permettre de conclure à l’absence de la réalité et de la sincérité des opérations en cause (1)».

Dans sa recommandation sur le planning fiscal agressif, la Commission européenne a dû tenir compte «des limites imposées par le droit de l’Union en ce qui concerne les règles anti-abus (2)». C’est probablement cette contrainte qui l’a amenée à objectiver les clauses anti-abus et les éléments de qualification du montage fiscal artificiel.

La majorité des Etats de l’OCDE sont des Etats membres de l’Union européenne. Dès lors, cette organisation devrait porter une attention particulière à la compatibilité des mesures anti-abus avec le droit de l’Union européenne. En effet, proposer aux Etats l’adoption de mesures dont les caractéristiques permettraient de douter de leur compatibilité avec le droit de l’Union européenne pourrait avoir une incidence sur l’efficacité des mesures proposées par l’OCDE. Précisons que le droit de l’Union européenne est susceptible d’avoir une incidence non seulement au sein de l’Union européenne mais aussi dans les relations entre les Etats membres et les Etats tiers. En effet, la libre circulation des capitaux est applicable dans ce contexte. Dès lors, une mesure qui rentrerait dans le champ d’application de cette liberté devrait respecter les principes que nous avons énoncés précédemment. Notons, néanmoins, que la libre circulation des capitaux a un champ d’application matérielle assez restreint et par exemple n’a pas vocation à s’appliquer lorsque l’objet de la règle est de régir des situations intragroupes (telles que les règles «CFC»).

L’arrêt Philips Electronics3 est un bon exemple de l’incidence des libertés fondamentales sur les règles anti abus en ce que la mesure jugée incompatible avec le droit de l’Union avait été citée en exemple par l’OCDE dans son rapport sur les «Hybrides». La législation britannique prévoyait que les pertes d’un établissement stable localisé au Royaume-Uni ne pouvaient être transférées à une société britannique liée dans le cadre du régime du «group relief» lorsque l’Etat de résidence de la société autorisait la prise en compte de ces pertes. Cette législation fut jugée incompatible avec le droit de l’Union. Une règle spécifique qui serait introduite dans les conventions fiscales afin de limiter son champ d’application pourrait, sous certaines réserves, être compatible avec le droit de l’Union européenne.

Néanmoins, une telle disposition laisse place à l’application du seul droit interne des Etats. Or, s’agissant par exemple des retenues à la source sur intérêts et redevances, l’application du droit interne pourrait s’avérer discriminatoire. En effet, les résidents sont soumis à l’impôt sur une base nette et les non-résidents le sont sur une base brute, il se peut ainsi que le taux effectif d’imposition soit plus élevé pour les non-résidents que pour les résidents. L’OCDE et ses membres devront composer avec ces contraintes. S’ils ne le font pas, certaines des solutions seront vouées à l’échec. Ceci pourrait avoir une incidence significative sur la diffusion de ces règles et donc sur la méthode même de coordination sur laquelle pourrait reposer le BEPS…

(1).  Voir par exemple et pour rester dans l’actualité CJUE, 1re ch., 5 juillet 2012, aff. C-318/10, Sté d’investissement pour l’agriculture tropicale SA (SIAT), pts 50 et 51.

(2). Motifs de la recommandation, pt 8 du 6 décembre 2012 (c(2012)8806 final).

(3). CJUE Philips Electronics, C-18/11 du 6 septembre 2012.


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