La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2020

Plus-values immobilières des non-résidents : de quelques incertitudes et difficultés pratiques

Publié le 16 octobre 2020 à 8h44

Par Philippe Emiel, avocat, et Alix Bréchet, avocat, PwC Société d’Avocats

Dès lors qu’un non-résident réalise une plus-value au titre de la cession d’un bien immobilier ou de titres d’une société à prépondérance immobilière («SPI») de source française, ce dernier fait en principe l’objet d’une taxation en France selon des règles spécifiques. Le régime applicable à de telles plus-values est complexe et suscite encore, malgré sa relative ancienneté, de nombreuses incertitudes et difficultés d’ordre pratique. La présente étude a pour objet de présenter certaines des problématiques les plus fréquemment rencontrées.

Prélèvement, impôt sur les sociétés… et «profit tax»1 ?

La fiscalité des plus-values immobilières des non-résidents, qu’il s’agisse des plus-values immobilières stricto sensu ou des plus-values sur titres de SPI, repose sur le principe de l’exigibilité immédiate, au moment de la cession, d’un prélèvement2. Pour les personnes physiques, ce prélèvement est libératoire de l’impôt sur le revenu («IR»). Il constitue donc pour eux une imposition «finale». Il en va autrement lorsque le cédant est une personne morale3 : dans cette situation, le prélèvement n’a pas un caractère libératoire et la plus-value doit, en conséquence, être assujettie à l’impôt sur les sociétés4 («IS»).

La question de l’assujettissement à l’IS des plus-values immobilières des non-résidents, ainsi que de leurs revenus immobiliers, a pu susciter certains débats à l’époque où les règles de territorialité propres à cet impôt ne visaient que les «bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France»5, la détention d’un immeuble ou de titres d’une SPI ne caractérisant pas, sauf cas particuliers, une telle exploitation6. Ces doutes ont été levés par le législateur qui, dans le cadre d’une disposition à caractère interprétatif7, a expressément inclus dans le champ d’application territorial de l’IS les revenus et plus-values immobilières8. Il est donc désormais clair que les plus-values immobilières de source française réalisées par des personnes morales ou organismes non-résidents constituent des «bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés»9.

Cette clarification suscite toutefois un autre questionnement : dès lors que les plus-values immobilières des non-résidents constituent des bénéfices au sens de l’IS, ne devraient-elles pas également être soumises à la «profit tax» de l’article 115 quinquies du Code général des impôts («CGI») ? On rappellera que cet article répute distribués à des non-résidents les «bénéfices réalisés en France par les sociétés étrangères», ce qui conduit à les soumettre à la retenue à la source de l’article 119 bis du CGI. Une interprétation stricte des textes nous conduit à répondre positivement à cette interrogation.

Cette lecture est acquise en ce qui concerne les plus-values de cession de biens immobiliers français, pour lesquelles il a toujours été considéré, au même titre que pour les revenus immobiliers, que la «profit tax» s’appliquait10.

Cette analyse nous semble en revanche assez inédite s’agissant des plus-values sur titres de SPI. Et pour cause : elle apparaît fondamentalement contraire à la philosophie de la «profit tax» française qui vise à ce que les implantations directes et indirectes en France, c’est-à-dire avec ou sans interposition d’une société française, soient traitées de manière équivalente (la «profit tax» constituant, pour les implantations directes, une sorte d’équivalent à la retenue à la source prélevée sur les dividendes distribués par une société française à son associé non-résident).

Dans cette perspective, l’application de la «profit tax» apparaît légitime s’agissant des plus-values de cession de biens immobiliers, dès lors que le bénéfice aurait pu être réalisé de manière indirecte, par l’intermédiaire d’une société française. Un pareil raisonnement n’est en revanche nullement transposable au cas des plus-values sur titres de SPI, le bénéfice ne résultant pas à proprement parler d’une implantation en France. On relèvera, d’ailleurs, que les plus-values mobilières des non-résidents11 ne sont pas, dans tous les cas, soumises à la «profit tax».

L’application mécanique de la «profit tax», dont il résulterait une imposition à un taux effectif de 48,16 %12, ne semble ainsi être que la résultante d’un enchevêtrement malheureux des textes fiscaux. L’administration n’a pas formellement pris position sur cette question mais elle semble considérer, par exemple dans ses commentaires relatifs à la convention franco-américaine13, que la «profit tax» pourrait s’appliquer sur les bénéfices correspondant à des plus-values de cession sur titres de SPI (et ce d’autant plus que l’application de la «profit tax» dans ce contexte peut susciter certaines questions au regard de sa conformité au droit de l’Union européenne).

Il convient, en tout état de cause, de relativiser la portée de cette problématique dans la mesure où, dans bien des hypothèses, la «profit tax» ne trouve pas à s’appliquer. C’est le cas, en particulier, lorsque la société étrangère est établie dans un Etat membre de l’Union européenne14, sous réserve qu’elle y soit passible de l’IS. En outre, bon nombre de conventions fiscales conclues par la France font obstacle à l’application de la «profit tax» ou, a minima, en limite le taux. On relèvera, au surplus, que lorsqu’elles n’y font pas obstacle, les conventions fiscales conditionnent, en principe, son application à la présence d’un établissement stable en France. Notons enfin que la présomption de l’article 115 quinquies n’est pas irréfragable dès lors qu’il est possible d’en obtenir le remboursement dans certains cas expressément visés par le texte.

La problématique de l’application de la «profit tax» aux plus-values sur titres de SPI ne devrait, en conséquence, se poser que dans quelques hypothèses résiduelles : cession opérée par une personne morale ou un organisme établi dans l’Union européenne ne pouvant solliciter l’exonération de droit interne (du fait, par exemple, d’une exonération locale d’impôt15) ou cession réalisée par un non-résident établi en dehors de l’Union européenne ne bénéficiant pas, sur ce point, d’une protection conventionnelle. Ces situations, peu fréquentes, ne constituent pas pour autant des hypothèses d’école. Il nous apparaîtrait dès lors opportun que l’administration fiscale confirme, dans un souci de préservation de la cohérence du système fiscal, que la «profit tax» française ne vise pas les plus-values sur titres de SPI (et ce d’autant plus que l’application de la «profit tax» dans ce contexte peut susciter certaines questions au regard de sa conformité au droit de l’Union européenne).

Des plus-values non soumises à prélèvement… mais assujetties à l’IS ?

Le caractère non libératoire du prélèvement pour les cédants assujettis à l’IS suscite une autre difficulté liée aux différences entre son champ d’application16 et celui de l’IS.

S’agissant des plus-values sur titres de SIIC (cotées ou non cotées), SPPICAV, organismes similaires de droit étranger et SPI cotées non SIIC, le prélèvement ne s’applique qu’à la condition que le cédant non-résident détienne, directement ou indirectement, au moins 10 % du capital de la société dont les titres sont cédés17. Il en va différemment en matière d’IS, dans la mesure où ces gains entrent dans son champ d’application territorial, et ce quel que soit le pourcentage de détention du cédant18.

Il ne nous semble pas que l’assujettissement de telles plus-values à l’IS procède d’une quelconque volonté du législateur. Sinon, pourquoi les avoir exclues du champ d’application du prélèvement non libératoire ? La logique nous paraît inverse : une détention faible (inférieure à 10 %) dans ce type de sociétés (pouvant avoir une multitude d’associés) a été considérée comme insuffisante pour justifier son imposition en France. L’application «technique» de l’IS ne constituerait donc, là encore, que l’un des dommages collatéraux d’une réforme poursuivant un autre but.

Pour cette raison, il nous apparaît souhaitable que l’administration fiscale confirme (comme elle a pu le faire, d’ailleurs, dans le cadre d’un rescrit individuel) le non-assujettissement à l’IS des plus-values réalisées par des personnes morales ou organismes non-résidents à l’occasion de la cession de titres de SIIC (cotées ou non cotées), SPPICAV, SPI cotées non SIIC en cas de détention inférieure à 10 %.

Une application parfois incertaine et, dans certains cas, délicate de la jurisprudence Quemener

Certaines incertitudes subsistent quant à l’assiette du prélèvement. L’une d’entre elles concerne plus particulièrement les plus-values réalisées à l’occasion de la cession de titres d’une SPI translucide (une société civile immobilière, par exemple) : ces plus-values doivent-elles être déterminées en faisant application des principes de la jurisprudence Quemener19 (laquelle consiste à corriger le prix de revient des titres afin d’éviter tout phénomène de double imposition ou de double déduction au niveau du cédant) ?

La réponse est positive en ce qui concerne les cessions réalisées par des personnes physiques, dans la mesure où les règles d’assiette sont les mêmes que celles applicables aux personnes physiques domiciliées en France20.

Il en va de même des plus-values constatées par des personnes morales établies dans l’Union européenne ou dans un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen dès lors que, dans cette hypothèse, le texte précise que la plus-value doit être déterminée «selon les règles d’assiette […] prévues en matière d’impôt sur les sociétés dans les mêmes conditions que celles applicables à la date de la cession aux personnes morales résidentes de France»21.

La situation est moins claire en ce qui concerne les personnes morales résidentes d’un Etat tiers. En effet, dans cette hypothèse, il n’est pas fait référence aux règles d’assiette applicables aux résidents, le texte précisant uniquement que la plus-value se calcule «par différence entre, d’une part, le prix de cession du bien et, d’autre part, son prix d’acquisition»22. En outre, la jurisprudence n’a, à notre connaissance, jamais confirmé que l’assiette du prélèvement devait, dans cette hypothèse, être déterminée conformément aux principes de la décision Quemener.

Cela étant, les correctifs Quemener nous apparaissent aussi légitimes en présence d’un cédant résident d’un Etat tiers, dès lors que le risque de double imposition ou de double déduction (que le Quemener entend neutraliser) est exactement le même que dans l’hypothèse d’un cédant résident de France (ou d’un Etat de l’Union européenne). Aucune raison ne nous semble dès lors justifier, sur le plan théorique, la non-application des principes Quemener au stade du prélèvement. A défaut, la double imposition ou double déduction serait matérialisée au moment du prélèvement et subsisterait jusqu’à ce que la plus-value soit soumise à l’IS.

Notons, par ailleurs, que l’application du Quemener dans le cadre de la détermination du prélèvement suscite certaines difficultés, notamment dans l’hypothèse de l’imputation de déficits reportables (par hypothèse afférents à la SPI translucide cédée) au titre de l’année au cours de laquelle la cession des titres est intervenue.

La première question (qui n’est pas propre aux non-résidents) est celle de la prise en compte ou non de ces déficits imputés dès lors que l’imputation est postérieure à la cession des titres23. Sur la base d’une lecture stricte de la jurisprudence24, il pourrait être soutenu que ces déficits n’ont pas à être pris en compte dès lors qu’aucune imputation «effective» n’est intervenue avant la cession. Cette solution apparaît toutefois assez choquante, dans la mesure où, dans cette hypothèse, la double déduction est certaine.

Si la solution (défavorable au contribuable) de la prise en compte des déficits imputés au titre de l’exercice de cession devait être retenue, l’application du Quemener au stade du prélèvement ne pourrait être que partielle et, en conséquence, contestable dans son principe.

Quel prélèvement appliquer sur les profits immobiliers réalisés par une société translucide détenue par un non-résident ?

L’une des particularités du régime de l’article 244 bis A du CGI tient au fait qu’il est applicable aux plus-values immobilières réalisées par des sociétés translucides françaises, au prorata des droits sociaux détenus par des associés non-résidents25. Le prélèvement est ainsi par exemple applicable lorsqu’une société civile immobilière détenue par des personnes physiques domiciliées à l’étranger cède un bien immobilier.

Tel n’est pas le cas, en revanche, du prélèvement 244 bis CGI (relatif aux profits immobiliers26 réalisés par des non-résidents) qui ne s’applique pas aux profits immobiliers réalisés par l’intermédiaire d’une société translucide française, ainsi que l’a d’ailleurs confirmé l’administration fiscale27.

La question s’est toutefois posée de savoir si les profits d’une société translucide exerçant une activité de marchand de biens et détenue par un ou plusieurs non-résidents pouvaient être soumis au prélèvement de l’article 244 bis A du CGI, à défaut de relever de celui de l’article 244 bis.

Nous considérons que le prélèvement de l’article 244 bis A du CGI ne s’applique pas. En effet, pour ce qui est des cessions de biens immobiliers, compte tenu du renvoi indirect aux dispositions de l’article 150 U28 du CGI (et à aucun moment à celles de l’article 35), le prélèvement sur les plus-values immobilières des non-résidents ne devrait viser que les plus-values occasionnelles. Selon cette interprétation, aucun prélèvement ne doit donc être appliqué au titre de la réalisation, par une société translucide détenue par un ou plusieurs non-résidents, d’un profit immobilier.

Notons que le paiement spontané du prélèvement dans une démarche de «sécurisation» de l’opération n’est, en ce qui concerne les sociétés translucides ayant des associés non-résidents relevant de l’IS, pas à conseiller dès lors que, dans cette hypothèse, l’administration pourrait refuser l’imputation du prélèvement sur l’IS arguant de son caractère non exigible.

Là encore, on ne peut que souhaiter une prise de position formelle de l’administration fiscale sur cette problématique qui, lorsqu’elle est rencontrée, suscite toujours des discussions et notamment avec le notaire intervenant sur la cession.

Prélèvement de l’article 244 bis A du CGI et régime de faveur «des fusions»

Il n’est pas rare, en pratique, que des opérations de restructuration internationales impliquant des personnes morales étrangères donnent lieu à des cessions de SPI et, en conséquence, aboutissent à la reconnaissance de plus-values relevant du champ d’application de l’article 244 bis A du CGI. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une société non-résidente détenant des titres de SPI procède à l’apport de ses titres ou fait l’objet d’une fusion-absorption.

Ces plus-values bénéficient en principe du régime de faveur «des fusions» dès lors que les opérations en cause relèvent du champ d’application de la directive «fusion»29 (c’est-à-dire concernent des sociétés établies dans des Etats membres de l’Union européenne). Le sursis d’imposition doit pouvoir selon nous s’appliquer dès le stade du prélèvement (ce que l’administration admet légitimement dans la notice relative à la déclaration des plus-values immobilières des non-résidents30 et a par ailleurs validé dans le cadre de rescrits individuels) et non uniquement au moment de l’assujettissement de la plus-value à l’IS.

L’application du régime de faveur aux restructurations impliquant des sociétés établies dans Etats tiers devrait également pouvoir être obtenue dès lors que le droit interne français l’admet lorsqu’une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale a été conclue avec l’Etat concerné31. Les modalités d’application du régime de faveur (bénéfice du sursis dès le stade du prélèvement) ne sont toutefois pas expressément précisées. 

1. L’expression « profit tax » sera ici préférée à celle, plus fréquemment utilisée, de «branch tax», dans la mesure où l’imposition visée n’implique pas la caractérisation d’un établissement stable.

2. CGI, art. 244 bis A.

3. Ou un organisme dépourvu de personnalité morale.

4. Le prélèvement est alors imputable sur l’impôt sur les sociétés, l’éventuel excédant étant restituable.

5. CGI, art. 209, I. 6. CE, 31 juillet 2009, n° 296471, 3e et 8e s.-s., Société Overseas Thoroughbred Racing Stud Farms.

7. Article 22 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificatives pour 2009.

8. Ce qui, techniquement, se traduit par l’ajout d’une référence aux a, e, e bis et e ter du I. de l’article 164 B dans le premier alinéa de l’article 209.

9. Sous réserve, toutefois, que la personne morale ou l’organisme étranger soit passible de l’IS à raison de sa forme ou de son objet (CGI, art. 206), ce qui est généralement le cas.

10. Réponse Julia, Assemblée nationale, 22 juin 1979, p. 5470, n° 583.

11. CGI, art. 244 bis B.

12. Taux applicable en 2020, hors contribution sociale sur l’IS.

13. BOI-INT-CVB-USA-10-20-20, n° 12.

14. Ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen.

15. Ce qui serait susceptible de concerner, en particulier, les organismes de placement collectif.

16. CGI, art. 244 bis A, I 3.

17. CGI, art. 244 bis A, I 3, c), d), f) et g).

18. CGI, art. 209, I par renvoi à CGI, art. 164 B, I e ter, 1° à 4°.

19. CE, 16 février 2000, n° 133296, Société Établissements Quemener.

20. CGI, art. 244 bis A, II ; BOI-RFPI-PVINR-20-10, n° 20.

21. CGI, art. 244 bis A, III, alinéa 2.

22. CGI, art. 244 bis A, III, alinéa 1.

23. Cas fréquent en pratique, dans la mesure où le résultat de l’année de cession est, dans bien des cas, bénéficiaire en raison de la plus-value réalisée, ce qui permet l’imputation des éventuels déficits reportables.

24. CE, 15 décembre 2010, n° 297513.

25. CGI, art. 244 bis A, I 2 c).

26. Ce qui vise, en pratique, les profits issus des activités de marchand de biens.

27. BOI-BIC-CHAMP-20-10-40, n° 270.

28. L’article 244 bis A renvoie, notamment, au e bis du I de l’article 164 B, qui renvoie lui-même à l’article 150 U du CGI.

29. Directive 2009/133/CE, JOUE L 310/34 du 23 novembre 2009.

30. Déclaration n° 2048-IMM-SD.

31. BOI-IS-FUS-10-20-20, n° 150 et suivants.


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