La lettre gestion des groupes internationaux

Juin 2018

BEPS : entrée en vigueur de la convention multilatérale le 1er juillet 2018

Publié le 18 juin 2018 à 16h45    Mis à jour le 22 juin 2018 à 15h31

Guilhem Calzas et Julie Copin, PwC Société d’Avocats

La convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (ou «instrument multilatéral», ci-après IM) a été signée le 7 juin 2017 par 68 Etats, dont la France, et 10 Etats supplémentaires y ont depuis apposé leur signature. L’IM entrera en vigueur le 1er juillet 2018, suite au dépôt par la Slovénie de la cinquième notification de ratification auprès de l’OCDE, le 22 mars 2018. Cette notification suit la ratification de l’IM par l’Autriche, l’île de Man, Jersey et la Pologne.

Par Guilhem Calzas, avocat, PwC Société d’Avocats et Julie Copin, avocat, PwC Société d’Avocats

L’introduction d’un instrument multilatéral de modification des conventions fiscales constitue l’un des plans d’action les plus innovants du projet BEPS de l’OCDE. Ce projet, qui vise à lutter contre l’érosion abusive des bases taxables, implique la modification des conventions fiscales bilatérales afin d’y insérer, notamment, des mesures anti-abus et une définition modernisée de l’établissement stable. Au vu du temps considérable qui aurait été nécessaire pour modifier les quelque 3 000 conventions fiscales bilatérales existantes, la conclusion de l’IM a été retenue comme la solution la plus efficace afin de mettre à jour ces conventions de façon rapide et synchronisée. Si certaines clauses de l’IM constituent des standards minimums (clause générale anti-abus et mécanisme de règlement des différends), la plupart des dispositions de l’IM sont optionnelles, les Etats ayant la possibilité d’émettre des réserves à leur égard. Les Etats peuvent également choisir les conventions fiscales bilatérales couvertes par l’IM. Les dispositions de l’IM, juridiquement contraignantes, remplacent ou s’ajoutent, selon les cas, aux dispositions existantes de ces conventions fiscales. Selon l’OCDE, l’IM pourrait ainsi couvrir plus de 1 200 conventions fiscales bilatérales1. La portée de l’IM se trouve toutefois partiellement limitée, dans la mesure où certains pays économiquement importants, tels que les Etats-Unis et le Brésil, ne l’ont pas signé.

L’entrée en vigueur de l’IM n’affecte pas immédiatement tous les Etats qui en sont signataires. Pour qu’une convention fiscale bilatérale soit modifiée par l’IM, il faut (i) que cette convention soit expressément couverte par les Etats qui y sont parties et (ii) que la procédure de ratification de l’IM soit achevée par les deux Etats. Entre les cinq Etats l’ayant déjà ratifié, l’IM produira ses effets, en principe, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019 et pour les retenues à la source dont le fait générateur intervient à compter de cette date2. Pour les autres Etats, l’IM entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l’expiration d’une période de trois mois calendaires à compter de la date de dépôt de l’instrument de ratification auprès de l’OCDE. Pour les retenues à la source, l’IM produira ses effets le 1er janvier de l’année qui commence à compter de son entrée en vigueur auprès des deux parties à une convention. Pour les autres impôts, l’IM produira ses effets pour les périodes d’imposition débutant à l’issue d’un délai de six mois à compter de son entrée en vigueur à l’égard des deux parties à la convention. Au choix des Etats, des dates d’effet dérogatoires peuvent toutefois s’appliquer pour certaines dispositions et il sera nécessaire d’y porter une attention particulière lors de l’application de chaque convention bilatérale. Ces dispositions dérogatoires peuvent aboutir à une application de l’IM différenciée entre les impôts prélevés par chaque Etat contractant au titre d’une même convention. Enfin, des dispositions spécifiques régissent l’entrée en vigueur de la partie VI de l’IM relative à la procédure d’arbitrage obligatoire.

En principe, l’IM produira ainsi ses effets dès le 1er janvier 2019 pour les retenues à la source prévues par les conventions fiscales dont les parties contractantes auront notifié leur instrument de ratification avant le 1er octobre 2018. S’agissant plus particulièrement de la France, celle-ci a désigné 88 de ses 121 conventions fiscales bilatérales comme étant couvertes par l’IM, et un projet de loi visant la ratification de l’IM a été déposé devant le Sénat le 17 janvier 2018. A titre d’exemple, si l’IM entre en vigueur le 1er janvier 2019 à l’égard de la France, cet instrument s’appliquera à la convention fiscale conclue avec l’Autriche (pays ayant notifié la ratification de l’IM à l’OCDE le 22 septembre 2017) le 1er janvier 2019 pour les impositions prélevées par voie de retenue à la source par les deux Etats. L’IM s’appliquerait ainsi aux exercices fiscaux ouverts à compter du 1er juillet 2019 (i.e. six mois calendaires suivant l’entrée en vigueur) pour les autres impôts prélevés par la France. En revanche, l’Autriche ayant choisi de retarder la date d’effet sur ce point, l’IM ne s’appliquerait qu’aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020 pour les autres impôts prélevés par cet Etat.

Après l’entrée en vigueur de l’IM au regard d’un Etat, ce dernier peut notifier de nouvelles conventions fiscales bilatérales non couvertes initialement ou atténuer ses réserves. A l’inverse, un Etat ne peut pas renforcer ses réserves. L’OCDE tiendra un registre public des conventions fiscales couvertes par l’IM afin que les entreprises et les particuliers soient informés de ces modifications. Pour les conventions fiscales bilatérales qui seront ajoutées à une date ultérieure par les deux Etats parties, l’IM prendra effet le 1er janvier de l’année qui suit une période de 30 jours à compter de la notification de cet ajout par l’OCDE, pour les impôts prélevés par voie de retenue à la source. Pour les autres impôts, l’IM produira ses effets, en principe, à l’expiration d’une période de neuf mois calendaires à compter de la notification de l’ajout par l’OCDE.

Enfin, la France pourra également inclure les dispositions de l’IM dans les conventions fiscales par le biais de négociations bilatérales. Ainsi, le 20 mars 2018, la France et le Luxembourg ont signé une nouvelle convention fiscale qui reprend un nombre important de dispositions de l’IM. La nouvelle convention reprend notamment la définition de l’établissement stable issue de l’IM malgré les réserves formulées par le Luxembourg sur cette définition lors de la signature de l’instrument. L’IM pourra ainsi servir de modèle dans la négociation des conventions fiscales bilatérales à venir, y compris pour des conventions qui n’auraient pas été spécifiquement couvertes.

En conclusion, l’entrée en vigueur de l’IM devrait modifier substantiellement la façon dont sont appliquées les conventions fiscales conclues par la France. Il sera ainsi nécessaire de prendre en compte, non seulement les dispositions de la convention fiscale bilatérale elle-même et de ses protocoles éventuels, mais également les dispositions de l’IM, en tenant compte des multiples combinaisons d’options et de réserves pouvant exister.

1. OCDE, «La Convention multilatérale sur le BEPS entrera en vigueur le 1er juillet 2018 après la ratification de la Slovénie, marquant une étape clé dans la mise en œuvre du Projet BEPS», www.oecd.org, 22 mars 2018.

2. En application des options retenues par l’Autriche et Jersey, l’IM s’appliquera aux périodes d’imposition ouvertes à compter du 1er janvier 2020 pour leurs propres impôts, hors retenues à la source.

Retrouvez tous les trimestres la Lettre de PwC, PwC Société d'avocats. PwC Société d'avocats est, en France, la société d’avocats membre du réseau international PwC, présent dans plus de 158 pays et fédéré par des valeurs partagées par l'ensemble de ses membres.

https://www.pwcavocats.com/

 

Au sommaire de la lettre


La lettre gestion des groupes internationaux

Tour d’horizon de l’actualité fiscale des institutions européennes

Emmanuel Raingeard de la Bletière et Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats

Les réunions du Conseil ECOFIN d’avril et mai 2018 offrent l’occasion de revenir sur l’activité législative de l’Union, toujours aussi dense tant du côté de la Commission, avec de nouvelles propositions de directive, que du côté du Conseil, avec les travaux «politiques» du groupe Code de conduite sur la liste de l’Union des Etats et territoires non coopératifs à des fins fiscales.

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...