La lettre gestion des groupes internationaux

Juin 2018

Réforme fiscale américaine : l’effet papillon poursuit son œuvre

Publié le 18 juin 2018 à 16h45    Mis à jour le 22 juin 2018 à 15h31

Guillaume Glon, PwC Société d’Avocats

La réforme fiscale américaine est entrée en vigueur le 22 décembre 2017. Les entreprises concernées, qu’elles soient américaines ou européennes, commencent seulement à en discerner les impacts positifs ou négatifs. Comme pour les battements d’ailes du papillon brésilien, il faudra sans doute plusieurs mois pour y voir plus clair et mesurer avec un degré de clarté raisonnable les effets de cette réforme.

Par Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats

L’incertitude actuelle a plusieurs explications.

La première réside dans le fait que, en dépit de son ampleur, cette réforme a été mise en œuvre en un temps record. Jusqu’en septembre 2017, l’administration Trump n’avait conçu que des «blue prints», documents synthétiques présentant les grandes orientations et propositions phares de la réforme sans aucun détail. Jusqu’à mi-décembre, le Sénat et la Chambre des représentants travaillaient, en parallèle, sur des versions différentes de la réforme. Ce n’est que dans les deux semaines qui ont précédé l’adoption de la loi, dans le cadre de la commission mixte de réconciliation entre le Sénat et la Chambre des représentants, que la réforme a été rédigée dans sa forme finale. Ce processus complexe, expéditif, empreint de compromis et de concessions explique à lui seul une partie importante des imperfections et de l’inaboutissement de certaines de ses dispositions.

La deuxième  explication tient au fait que cette réforme, qui devait aboutir à une refonte profonde et surtout, à une simplification d’ensemble du système fiscal américain, s’est, en fait, traduite par un ajout de dispositifs complexes à un système d’ores et déjà abscons. Aussi, non seulement l’objectif de simplification n’est pas atteint mais la réforme s’est traduite par une complexification du système. A titre d’exemple, l’on peut citer l’objectif affiché de faire passer le système américain d’un système mondial à un système territorial, soi-disant plus simple, via l’introduction d’un système d’exonération des dividendes de source étrangère. Qu’en est-il ? L’effet totalement inverse s’est produit ! Compte tenu des modalités spécifiques de calcul des crédits d’impôt étrangers, le dispositif GILTI conduira certaines entreprises américaines ayant des filiales étrangères à sauter à pieds joints dans le système CFC qu’elles évitaient auparavant. Non seulement le système mondial d’imposition reste en place, mais il sort paradoxalement grandi de la réforme !

La troisième explication réside dans le fait que l’interaction des dispositifs issus de la réforme entre eux et avec les dispositifs existants n’a pas été anticipée. Cela se traduit par des situations de blocage et des contradictions qui rendront nécessaires la publication de «Regulations» par l’administration et, surtout, l’adoption de mesures correctives par le législateur. Cela pourrait, de prime abord, sembler être une pure formalité. Rien n’est moins sûr. En effet, si le président Trump venait à perdre la majorité fragile qu’il détient, notamment au Sénat, l’on ne peut exclure un scénario de blocage similaire à celui qui avait bridé les initiatives réformatrices du président Obama. Au-delà de ces mesures correctives, un tel scénario pourrait conduire à un détricotage plus ou moins poussé de la réforme. En effet, si l’on nage aujourd’hui dans l’euphorie des effets macroéconomiques positifs de la réforme (augmentation de salaires, dividendes records, annonces d’investissements massifs, résultats semestriels exceptionnels), certains économistes prédisent des lendemains moins chantants liés notamment à l’accroissement du déficit américain sur les dix prochaines années pour financer le coût fiscal de la réforme. Cette crainte est réelle et de nombreux groupes n’envisagent pas de révolutionner leur organisation au terme de cette réforme de crainte d’un effet boomerang.

Enfin, la lecture des effets de la réforme a été rendue difficile par le tempo des différentes mesures. En effet, de nombreux groupes ont vu leurs comptes 2017 obérés par la réforme. Contre-intuitivement, cela s’expliquait tout d’abord par la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés. En effet, les groupes ont dû revoir à la baisse le montant de leurs actifs d’impôts différés initialement calculés à un taux effectif proche de 35 % et qui doivent désormais l’être à un taux de 21 %. Ensuite, les groupes dont les filiales américaines détiennent des filiales étrangères ont dû calculer, au titre de l’exercice 2017, la «toll charge», qui a lourdement impacté ceux d’entre eux qui avaient accumulé des réserves importantes hors des Etats-Unis. Cette première phase passée, les effets bénéfiques de la baisse du taux se font sentir. Les banques américaines et étrangères présentes aux Etats-Unis annoncent ainsi, au titre du premier semestre 2018, des niveaux de résultats directement positivement impactés par la réforme.

Mais là encore, il n’est pas possible de faire des généralités et de dire qui seront les perdants et les gagnants de la réforme. Chaque entreprise doit analyser les impacts de la réforme à l’aune de sa situation propre. Certaines, dont les nouveaux investissements en actifs corporels sont élevés, verront leur trésorerie améliorée en passant en charge la valeur de leurs immobilisations, d’autres, lourdement endettées aux Etats-Unis, verront d’un mauvais œil le durcissement des règles de déduction des intérêts qui sont désormais limités à 30 % de l’EBITDA (30 % de l’EBIT à compter de 2022). De la même manière, certains groupes français très présents aux Etats-Unis balaieront d’un revers de main la taxe GILTI (Global Intangible Low Taxed Income) si leurs filiales américaines ne détiennent pas de filiales hors des Etats-Unis, tandis qu’ils pourront être lourdement impactés par la BEAT (Base Erosion and Anti-Abuse Tax) si leur modèle opérationnel conduit leurs filiales américaines à effectuer des paiements de redevances, intérêts ou rémunération de services, à des sociétés liées hors des Etats-Unis.

Ainsi, le feuilleton de la réforme ne fait que commencer. Il promet d’être long. Comme diraient les présentateurs de télévision américains : «Stay tuned, more to come…»

Retrouvez tous les trimestres la Lettre de PwC, PwC Société d'avocats. PwC Société d'avocats est, en France, la société d’avocats membre du réseau international PwC, présent dans plus de 158 pays et fédéré par des valeurs partagées par l'ensemble de ses membres.

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Au sommaire de la lettre


La lettre gestion des groupes internationaux

L’extension de l’échange automatique en matière fiscale des dispositifs transfrontières «DAC 6» adoptée par l’Union européenne

Guillaume Glon et Simon Perrot, PwC Société d’Avocats

La directive européenne n° 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal a été modifiée plusieurs fois ces dernières années, afin d’étendre le champ d’application de l’échange automatique et obligatoire d’informations. Ces amendements successifs ont par exemple introduit de nouvelles obligations déclaratives pour les institutions financières («Common Reporting Standard»)3 et pour les contribuables bénéficiant de «tax rulings»4. Un reporting pays par pays5 applicable aux groupes multinationaux a aussi été mis en place afin d’améliorer la transparence fiscale au sein de l’Union européenne.

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