La lettre gestion des groupes internationaux

Juin 2018

Tour d’horizon de l’actualité fiscale des institutions européennes

Publié le 18 juin 2018 à 16h45    Mis à jour le 22 juin 2018 à 15h31

Emmanuel Raingeard de la Bletière et Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats

Les réunions du Conseil ECOFIN d’avril et mai 2018 offrent l’occasion de revenir sur l’activité législative de l’Union, toujours aussi dense tant du côté de la Commission, avec de nouvelles propositions de directive, que du côté du Conseil, avec les travaux «politiques» du groupe Code de conduite sur la liste de l’Union des Etats et territoires non coopératifs à des fins fiscales.

Par Emmanuel Raingeard de la Bletière, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Valentin Leroy, collaborateur, PwC Société d’Avocats

La Commission poursuit sa mise en œuvre coordonnée, au sein de l’Union européenne, des mesures préconisées par les rapports BEPS de l’OCDE. Deux ans après l’adoption de la directive sur l’échange automatique des déclarations pays par pays (action 14 du BEPS), un an après celle de la directive relative aux dispositifs anti-hybrides (action 2), le Conseil ECOFIN a formellement adopté le 25 mai dernier la directive relative à la déclaration obligatoire et l’échange automatique d’informations sur les dispositifs de planification fiscale transfrontalière à caractère potentiellement agressif (action 12).

Les travaux de la Commission se focalisent désormais sur l’action 1 du projet BEPS relative à l’adaptation de la fiscalité internationale à l’ère de l’économie numérique. Son projet, particulièrement ambitieux, repose sur deux propositions de directive d’application successive : la première, qui s’inscrit dans une perspective de long terme, vise à élargir le concept d’établissement stable (ce qui suppose, au préalable, une modification – fastidieuse et hasardeuse – de l’ensemble des conventions fiscales signées entre les Etats membres de l’Union et les pays tiers) afin d’y inclure la notion de «présences numériques significatives» ; la seconde prévoit l’institution, dans l’attente d’un consensus entre Etats membres sur la définition d’un cadre pérenne et harmonisé d’imposition des activités du numérique, d’une taxe sur les services numériques prélevée au taux de 3 % sur les produits tirés de la fourniture de certains services numériques. Soutenue avec ferveur par la France, la démarche de la Commission, présentée au Conseil ECOFIN le 23 avril dernier, n’a pas rencontré l’enthousiasme espéré auprès des autres délégations, certaines d’entre elles estimant préférable d’attendre l’achèvement des travaux de l’OCDE dont la publication du rapport final n’est prévue qu’en 2020.

De son côté, le groupe Code de conduite, organe adossé au Conseil ECOFIN comprenant des représentants des Etats membres de l’Union et de la Commission, continue son examen des engagements pris par les Etats figurant sur la liste des Etats et territoires non coopératifs à des fins fiscales (ETNC européens). Des 18 juridictions initialement «blacklistées» en décembre 2017, la liste noire n’en compte désormais plus que sept : les Samoa américaines, Guam, la Namibie, les Palaos, les Samoa, Trinité-et-Tobago et les îles Vierges américaines.

La liste grise, laquelle recense les juridictions ayant pris l’engagement de procéder aux changements nécessaires, avant le 31 décembre 2018 (ou 2019 pour les pays en voie de développement), pour se conformer aux critères de bonne gouvernance fiscale (relatifs à la transparence fiscale, l’équité et la mise en œuvre des mesures anti-BEPS) fixés par l’Union, comprend 63 Etats et territoires. A la fin de l’année, il appartiendra au groupe Code de conduite de proposer au Conseil ECOFIN leur inscription en liste noire, leur maintien en liste grise ou leur désinscription. En acceptant, à la demande de la Commission, de publier les doléances formulées par le groupe auprès de ces pays, ainsi que les engagements officiels pris par ces derniers (avec leur autorisation), le Conseil répond aux critiques d’opacité du processus dont il faisait l’objet mais il met en jeu sa crédibilité politique ; tout manquement par une de ces juridictions à ses engagements sans inscription corrélative par le Conseil sur la liste noire ternirait durablement l’image de l’Union.

L’inscription sur la liste noire n’est assortie, à ce jour, d’aucune sanction fiscale commune. L’Union invite néanmoins les Etats membres à, d’une part, accentuer les contrôles sur les opérations impliquant les ETNC européens, et, d’autre part, à mettre en place dans leur législation nationale des «mesures défensives» à leur encontre (e.g. non-déduction de dépenses, retenues à la source majorées, obligation documentaire renforcée, application restreinte du régime des sociétés mères…).

Jusqu’à présent silencieuse, il semble que la France suivra certaines recommandations. Ainsi, l’article 11 du projet de la loi relative à la lutte contre la fraude, présenté le 28 mars dernier en Conseil des ministres, entend élargir la liste des ETNC français de manière à y intégrer les ETNC européens (à l’exception des territoires français d’outre-mer qui pourraient y figurer) avec, à la clé, en fonction du critère européen non respecté, une palette de mesures de rétorsion plus ou moins étendue : les Etats et territoires inscrits sur liste de l’Union au motif qu’ils facilitent les structures offshore seraient soumis à l’ensemble des sanctions actuellement en vigueur à l’encontre des ETNC français, ceux inscrits pour un autre motif ne seraient soumis qu’à certaines d’entre elles (pour l’essentiel, il s’agit du refus de déduction des dépenses payées à des résidents d’ETNC et une obligation documentaire spécifique sur les transactions réalisées avec les entreprises associées établies dans les ETNC).

En introduisant des mesures fiscales défensives dans sa législation fiscale contre les ETNC européens, la France fait œuvre pionnière parmi ses pairs. Si quelques-uns de ses voisins ont annoncé un renforcement des contrôles fiscaux sur les opérations réalisées avec des personnes établies dans les ETNC européens (e.g. la Suède), il ne nous semble pas que d’autres aient institué des mesures de rétorsion spécifiques à leur égard.

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Au sommaire de la lettre


La lettre gestion des groupes internationaux

Fiscalité de l’économie numérique : la quadrature du cercle !

Michel Combe, PwC Société d’Avocats

Si nous pouvons saluer la contribution de la Commission européenne aux discussions multilatérales qui se poursuivent au sein de l’OCDE sur les implications fiscales liées au développement de l’économie numérique, nous ne pouvons qu’être préoccupés par l’impact que l’éventuelle mise en œuvre des propositions de la Commission pourrait avoir, d’une part, sur cet espace économique en tant que centre d’investissement et d’innovation et, d’autre part, sur la capacité à poursuivre le dialogue fiscal international amorcé depuis le projet Base Erosion Profit Shifting, puisque cette initiative ne résulte nullement d’un consensus international.

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