La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2021

La quote-part de frais et charges sur dividendes encore et toujours sous le feu des projecteurs

Publié le 19 mars 2021 à 12h47    Mis à jour le 11 octobre 2021 à 14h51

PwC Société d’Avocats

Une fois la porte de la discrimination à rebours fermée sur le terrain de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen par le Conseil constitutionnel dans sa décision Société Life Sciences Holdings France1, un certain nombre de contribuables a cherché à poursuivre le contentieux visant l’extension de la jurisprudence Société Groupe Steria aux titres de participation détenus dans des sociétés situées hors de l’Union européenne en s’appuyant sur d’autres moyens parfois novateurs. Le jugement Société Legrand rendu par le tribunal administratif de Montreuil le 3 décembre 2020 (n° 1908285) en est une illustration.

Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, avocat, associé,PwC Société d’Avocats et Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats.

En l’espèce, des membres du groupe fiscal constitué par la société Legrand avaient perçu de leurs propres filiales établies hors de l’Union européenne (notamment en Chine, au Chili, au Maroc, en République de Corée, en Suisse, en Russie et à Hong Kong) des dividendes éligibles au régime des sociétés mères. Ces dividendes ont été déduits du résultat d’ensemble, sous déduction d’une quote-part de frais et charges de 5 % (« QPFC ») conformément aux dispositions alors applicables des articles 145 et 216 du CGI. A la suite de la décision Société Groupe Steria, rendue le 2 septembre 20152, la société tête de groupe a introduit une réclamation contestant l’absence de neutralisation de la QPFC pour les distributions de ces filiales non intégrées établies hors de l’Union.

Le Conseil constitutionnel refusant toute extension généralisée de la neutralisation de la QPFC sur le fondement des principes constitutionnels d’égalité3, le groupe fiscal Legrand invoqua judicieusement les stipulations singulières de la convention fiscale franco-chilienne issues de l’article 22 relatif à l’élimination de la double imposition devant le tribunal administratif de Montreuil en vertu desquelles « les dividendes payés par une société qui est un résident du Chili à une société qui est un résident de France sont exonérés d’impôt en France dans les mêmes conditions que si la société qui paye les dividendes était un résident de France ou d’un autre Etat membre de l’Union européenne » (paragraphe 1, sous-paragraphe b).

Il s’agit d’un des rares et exceptionnels engagements conventionnels de la France en matière d’élimination de la double imposition économique frappant les dividendes qui se double, au cas présent, d’une sorte de clause de la nation la plus favorisée circonscrite au territoire communautaire unique en son genre à notre connaissance.

Cette double spécificité a sans doute encouragé les magistrats a transposé le raisonnement tenu par le Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Société Groupe Steria à l’égard des dividendes provenant de filiales intégrables établies dans un autre Etat membre de l’Union européenne à l’endroit des dividendes reçus de filiales intégrables établies au Chili.

Compte tenu des différences rédactionnelles avec les autres conventions, il n’est pas certain que la même solution soit retenue par exemple s’agissant des dividendes de source indienne. En effet, la convention fiscale franco-indienne prévoit seulement que « les dividendes payés par une société qui est un résident de l’Inde à une société qui est un résident de France sont exonérés de l’impôt sur les sociétés français dans la mesure où ces dividendes seraient exonérés en vertu de la législation française si les deux sociétés étaient des résidents de France ».

Si le ministre forme un appel contre ce jugement, sa défense sera probablement construite d’une part sur l’exposé des motifs de la loi autorisant l’approbation de la convention (d’après lesquels cet alinéa « a été introduit à la demande de la Partie chilienne et confirme le bénéfice du régime mère-fille aux dividendes de source chilienne qui seront reçus par des sociétés mères françaises de leurs filiales établies au Chili4 »). Cependant, les travaux préparatoires d’une telle loi de ratification n’ont pas ou peu de portée non seulement en présence de stipulations claires, comme l’a rappelé en l’espèce le rapporteur public, mais aussi car, en principe, ils revêtent un caractère unilatéral et ne sont donc pas assimilables à des travaux préparatoires au sens de la convention de Vienne5 (même si au cas présent la situation est particulière car ces travaux expriment la position de l’autre Etat). Et d’autre part, sur l’absence de comparabilité des situations à la lumière de la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Paris6 et de cours suprêmes étrangères refusant toute extension conventionnelle des régimes de consolidation fiscale à des sociétés étrangères (sous la forme d’intégrations horizontales ou « Papillon »)7. Là encore, cet argument nous semble difficilement tenable au regard de la particularité rédactionnelle de la convention. D’autant que la force d’une telle défense s’étiole pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016 puisque le législateur a alors formellement détaché le taux réduit de QPFC de 1 % du régime de l’intégration fiscale en le greffant directement au sein du régime mère-fille.

Une autre piste qui sera bientôt jugée par la cour administrative d’appel de Versailles consiste à remettre en cause la compatibilité avec la directive mère-fille interprétée à la lumière des principes de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du système français en ce qu’il prévoit deux taux de QPFC en fonction, essentiellement, de la participation détenue dans le capital de la filiale. Cette analyse a été écartée dans une affaire au terme d’un raisonnement calqué sur celui du Conseil constitutionnel qui dans l’environnement européen ne saurait nous convaincre8. Si le contribuable obtenait gain de cause, le taux le plus faible serait généralisé pour les dividendes versés par des filiales résidentes au sein de l’Union européenne. La possibilité de son extension aux pays tiers, notamment sur le fondement de la libre circulation des capitaux, se poserait de nouveau.

Ces jurisprudences illustrent les influences réciproques qui peuvent parfois s’exercer entre les différentes expressions du principe général d’égalité issues d’ordres juridiques distincts (européen, international, interne…). La force de ces influences semble s’opérer selon des géométries variables : la réception paraît optimale en présence d’expressions similaires répondant à des formes de discriminations particulières. Les anciennes règles anti-sous-capitalisation de l’article 212 du CGI comptent ainsi parmi les premières victimes de ces nourrissants échanges9. La QPFC pourrait être la prochaine sur la liste que ce soit sur ce terrain limité du droit conventionnel ou celui plus vaste de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne combinée à la libre circulation des capitaux10.


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