La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2021

Paiements à des non-résidents : les contours imprécis de la notion de bénéficiaire effectif

Publié le 19 mars 2021 à 12h42    Mis à jour le 11 octobre 2021 à 14h51

PwC Société d’Avocats

Le Conseil d’Etat dans un arrêt du 5 février 20211 vient apporter un nouvel éclairage sur les difficultés liées à la détermination du « bénéficiaire effectif » dans les paiements effectués au profit de non-résidents.

Par Renaud Jouffroy, avocat, Of CounselPwC Société d’Avocats.

La société de droit britannique Performing Rights Society Ltd (ci-après « PRS ») exerce une activité de collecte et de gestion des droits d’utilisation, de diffusion et de distribution des œuvres, notamment musicales, dont ses membres sont les auteurs, compositeurs ou interprètes. Elle a conclu un accord avec la Sacem aux termes duquel cette dernière recouvre et lui reverse les redevances correspondant à l’utilisation en France des artistes qu’elle représente. La Sacem a appliqué dans un premier temps la retenue à la source de l’article 182 B du Code général des impôts sur ces redevances puis dans un second temps a demandé à bénéficier du taux réduit prévu par la convention fiscale avec le Royaume-Uni, par voie de réclamation.

L’administration fiscale française a admis cette réclamation mais à hauteur seulement de la fraction de la retenue relative aux redevances reversées par la société PRS aux artistes ayant la qualité de résident du Royaume-Uni, seuls justiciables à ses yeux de la qualité de bénéficiaire effectif au sens de l’article 13 de la convention fiscale.

En d’autres termes, l’administration fiscale a jugé que PRS n’était pas le bénéficiaire effectif des redevances versées par la Sacem et a donc refusé la restitution de la retenue à la source pour la partie qui correspondait à des paiements qui in fine revenaient à des non-résidents britanniques.

Qui est donc ce bénéficiaire effectif ? Pourquoi PRS n’aurait-elle pas cette qualité ?

Cette notion a été introduite dans la convention modèle OCDE en 1977. Elle se retrouve dans les articles concernant les dividendes, intérêts ou redevances. Elle est présentée par les commentaires de la convention modèle sans pour autant être clairement définie : « Lorsqu’un élément de revenu est perçu par un résident d’un Etat contractant agissant en qualité d’agent ou autre mandataire, il serait contraire à l’objet et au but de la convention que l’Etat de la source accorde une réduction ou une exonération de l’impôt du seul fait que le récipiendaire immédiat du revenu est un résident de l’autre Etat contractant. […] Il serait également contraire à l’objet et au but des conventions que l’Etat de la source accorde une réduction ou une exonération d’impôt à un résident d’un Etat contractant (…) qui agit comme un simple relais pour le compte d’une autre personne qui bénéficie réellement du revenu en cause. Pour ces raisons (…) une société relais ne peut pas être considérée comme le bénéficiaire effectif si, bien qu’étant propriétaire du revenu en la forme, elle ne dispose dans la pratique que de pouvoirs très limités qui font d’elle un simple fiduciaire ou un simple administrateur agissant pour le compte des parties intéressées. »

La notion juridique d’agent ou de mandataire est assez précise ; en revanche la notion de société relais, plus économique, pose des difficultés pratiques considérables. La jurisprudence n’a pas permis d’en cerner avec clarté toute la portée. En dernier lieu la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a rendu le 26 février 2019 deux arrêts relatifs à des sociétés danoises (« Danish Cases »2) et s’est ralliée à l’approche économique pour les besoins de la directive intérêts et redevances et de la directive mère-filles (dividendes). La Cour a jugé que la condition de bénéficiaire effectif doit être interprétée comme désignant une entité qui bénéficie réellement des sommes qui lui sont versées « sur le plan économique » et qui dispose dès lors du pouvoir d’en déterminer librement l’affectation.

Dans la décision jugée par le Conseil d’Etat le 5 février 2021, il était clair qu’il n’y avait aucun montage frauduleux. Cependant, deux thèses étaient en présence. L’administration fiscale ne voyait dans PFS qu’un simple intermédiaire. Elle observe que la majeure partie (environ 80 %) des redevances est reversée aux auteurs, compositeurs, interprètes de sorte que ces derniers constituent en fait les bénéficiaires des sommes versées par la Sacem.

Pour la cour d’appel administrative (CAA) de Versailles3 et les rapporteurs publics devant cette cour et devant le Conseil d’Etat, il convient d’observer au contraire que :

– les artistes membres de PFS cèdent à cette dernière l’intégralité des droits qu’ils détiennent sur leurs œuvres de sorte que PFS exerce ainsi seule la protection et la gestion de ces droits ainsi que des revenus qu’elle génère ;

– le conseil d’administration de PFS, composé en partie, mais non exclusivement des membres de cette dernière, est investi des pouvoirs les plus étendus pour administrer la société et corrélativement détermine souverainement l’affectation des revenus tirés de l’exploitation des œuvres de ses membres et peut à ce titre choisir de les redistribuer (ou non) ou d’abonder divers fonds de garantie, d’aide sociale, de promotion des activités artistiques ou de bienfaisance, dont elle assure seule la gestion. En d’autres termes, PFS détient un pouvoir direct d’utilisation et d’affectation des fonds qu’elle collecte, ainsi qu’un intérêt social propre distinct de celui des membres.

Si le premier argument ne permettait pas d’ôter tout doute sur la qualification de société relais, puisqu’on l’a vu, celle-ci peut être propriétaire du revenu, le second, à savoir le pouvoir non contraint d’utilisation et d’affectation des fonds, semblait très convaincant.

Pour autant, la Haute Cour n’a pas partagé cet avis. Elle a décidé, contrairement aux conclusions de son rapporteur public, que PFS ne pouvait être le bénéficiaire effectif puisque i) les revenus nets perçus doivent « en principe » être répartis entre les membres ; ii) l’essentiel des redevances est « en pratique » reversé chaque année.

La Cour Suprême n’indique pas clairement pourquoi les revenus doivent en principe être répartis. Il n’y avait clairement aucune obligation légale ou contractuelle, tout au plus une vocation, voire une nécessité économique ou financière, pour une telle société de gestion collective, ayant pour « objet de collecter et de gérer les revenus de ses membres », de répartir entre ses membres ses revenus.

Transposée à d’autres situations, cette conception économique large de la notion de bénéficiaire effectif pourrait créer de nombreuses difficultés. Comme l’indiquait le rapporteur public devant la CAA de Versailles, cette notion revient à assimiler le bénéficiaire effectif au bénéficiaire final dans une chaîne de participations, telles que dans les remontées de dividendes successives entre sociétés holdings d’un groupe et implique une mise en œuvre particulièrement acrobatique, que ne semblent pas nécessiter les interpositions non fictives.

La notion de bénéficiaire effectif n’est pas la seule arme aux mains de l’administration fiscale pour contester les taux réduits ou exonérations de retenue à la source. Elle dispose en effet de tout l’arsenal des clauses anti-abus (dont la clause de principal purpose test (PPT) récemment issue des travaux BEPS et de la signature de l’instrument multilatéral).

Préalablement à l’utilisation de ces clauses anti-abus, elle pourra contester le fait que les conditions de fond des règles applicables sont remplies. Dans l’affaire PRS elle n’avait pas hésité à prétendre que PRS n’était pas résident fiscal britannique au sens de la convention au motif qu’elle n’était pas imposée, mais le juge ne l’a pas suivi sur ce point au cas particulier. Quand le bénéfice des directives est en jeu, la lecture récente de la jurisprudence montre que la notion de siège effectif est également utilisée. Ainsi, dans une récente décision du 10 novembre 2020 la CAA de Versailles a écarté l’exonération de retenue à la source au motif que la société holding luxembourgeoise n’avait pas son siège de direction effective au Luxembourg car les décisions stratégiques n’étaient pas effectivement prises au Luxembourg. 


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Vers un établissement stable TVA numérique ?

PwC Société d’Avocats

Si nous ne reviendrons pas en détail sur les faits et la procédure de cette affaire, lesquels ont été présentés dans l’article publié ci-dessus en matière d’impôt sur les sociétés « la notion d’agent dépendant au sens des conventions fiscales : le Conseil d’Etat apporte une nouvelle pierre à l’édifice », nous nous attacherons néanmoins à identifier les principaux éléments sur lesquels cette décision s’appuie pour conclure, qu’en matière de TVA, une société française, rendant des services de prospection commerciale à sa société sœur irlandaise en vue de la commercialisation de services de marketing digital, doit être regardée comme l’établissement stable de cette dernière en France à partir duquel lesdits services sont rendus.

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