La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2019

Les défis fiscaux liés à la numérisation de l’économie

Publié le 11 octobre 2019 à 16h03

Susana Rodriguez de la Pena et Morgane Lemarchand, PwC Société d’Avocats

En 2012 déjà, les défis fiscaux liés à l’économie numérique faisaient l’objet de l’Action 1 du projet BEPS mené par l’OCDE et le G20. Le rapport final de 2015 de l’OCDE, constatant que la numérisation de l’économie posait des défis spécifiques que les règles actuelles sont supposées ne pas appréhender pleinement, préconise le développement de principes fiscaux ad hoc.

Par Susana Rodriguez de la Pena, PwC Société d’Avocats, et Morgane Lemarchand, avocat, PwC Société d’Avocats

En 2012 déjà, les défis fiscaux liés à l’économie numérique faisaient l’objet de l’Action 1 du projet BEPS mené par l’OCDE et le G20. Le rapport final de 2015 de l’OCDE, constatant que la numérisation de l’économie posait des défis spécifiques que les règles actuelles sont supposées ne pas appréhender pleinement, préconise le développement de principes fiscaux ad hoc.

Ainsi l’Action 1 visait à l’origine la seule «e-économie» et était fondée sur le présupposé selon lequel le principe de pleine concurrence actuel ne permettrait pas une imposition adéquate. Notamment lorsque les actifs incorporels sont difficiles à appréhender et à localiser, ou lorsque les modèles économiques ne nécessitent pas ou nécessitent peu de présence physique locale.

Les réflexions en cours conduisent aujourd’hui l’OCDE à considérer une généralisation potentielle de ces règles ad hoc à l’ensemble de l’économie, ce qui pourrait constituer un bouleversement majeur. En effet, il s’agirait d’attribuer plus de profits aux juridictions de la source des revenus, c’est-à-dire des différents marchés locaux, par une prise en compte du profit global du groupe en utilisant des modalités simplifiées pouvant s’écarter fortement du principe de pleine concurrence, voire même indépendamment d’une présence physique significative.

Lors de sa 7e session, en mai 2019, le groupe de pilotage du Cadre inclusif sur le BEPS a approuvé un «programme de travail visant à élaborer une solution fondée sur un consensus pour relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie». Un rapport final doit être produit en 2020 sur les implications de la numérisation de l’économie en matière de fiscalité.

L’OCDE semble conduire ses réflexions autour de trois types d’approches, lesquelles s’écartent du principe de pleine concurrence à des degrés différents : la méthode du partage du profit résiduel modifié (actifs incorporels marketing), la méthode basée sur la fonction de distribution (partiellement actifs incorporels marketing) et la méthode par répartition «fractionnaire» (i.e. formules simplifiées préétablies).

La méthode du partage du profit résiduel modifié

Cette approche consiste à attribuer aux juridictions du marché une fraction des bénéfices non standards d’un groupe d’entreprises multinationales («EMN») de manière à refléter le niveau de création de valeur attribué aux marchés eux-mêmes et supposément non pris en compte par les règles actuelles de répartition des bénéfices.

Cette méthode requerrait la détermination, dans un premier temps, du profit global du groupe d’EMN, ce qui nécessiterait entre autres des règles comptables uniformisées. Il faudrait ensuite en déduire les bénéfices standards1et déterminer la fraction des bénéfices non standards qui entre dans le champ d’application du nouveau droit d’imposition en utilisant soit les règles actuelles en matière de prix de transfert, soit des principes simplifiés. Enfin, l’attribution de cette fraction des bénéfices non standards aux juridictions du marché concerné nécessiterait de déterminer des clés d’allocation (i.e. chiffre d’affaires, actifs, utilisateurs, etc.).

La méthode basée sur la fonction de distribution

Cette approche se concentre sur la rémunération des fonctions de distribution et de marketing ainsi que sur les activités liées aux utilisateurs.

Il pourrait s’agir de fixer une rémunération de référence, probablement selon une méthode simplifiée (taux fixe préétabli), laquelle pourrait être augmentée d’un «intéressement» au profit global du groupe, dans des proportions et selon des modes restant à définir. Il pourrait également y avoir des variables supplémentaires afin de tenir compte par exemple d’écarts relevés selon les secteurs d’activités ou les marchés.

La méthode par répartition «fractionnaire»

C’est de loin l’approche qui s’éloigne le plus du principe de pleine concurrence en ce qu’elle ne distingue pas les fonctions routinières des activités à forte valeur ajoutée/entrepreneuriales et qu’elle adopte une vision extensive de la notion de profits à partager, i.e. le profit global (même si un profit par branche d’activité semble envisagé). Les facteurs susceptibles de former la formule d’allocation ne sont pas sans évoquer le projet européen d’ACCIS i.e. les effectifs, les actifs (sans précision toutefois sur leur nature corporelle ou incorporelle), les ventes et les utilisateurs (le projet de directive européenne fait ici référence à la data et non aux utilisateurs).

Conclusion

Les alternatives envisagées proposent une approche globale de la détermination des bénéfices qui nécessiterait une modification des règles en vigueur relatives à la répartition des bénéfices et des règles relatives au lien dites «approche nexus».

La règle du lien devra être repensée, les droits d’imposition ne pourront plus être fondés uniquement sur la présence physique. Il s’agirait ici de développer le concept de «présence à distance imposable localement». Le groupe de réflexion sur l’économie numérique a convenu de poursuivre l’élaboration de ces propositions et de trouver les moyens de rapprocher les différentes positions, sur la base des points communs existant entre les problématiques de BEPS et les «défis fiscaux plus larges» posés par la numérisation de l’économie.

1. Profit résultant des fonctions de routine, i.e. profit attribué à la partie ayant les fonctions les moins complexes d’une transaction intragroupe.


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