La lettre gestion des groupes internationaux

Décembre 2017

Restructuration : le législateur assouplit le régime fiscal sous la pression des juges

Publié le 15 décembre 2017 à 15h20

Renaud Jouffroy

Le principe fondateur du régime fiscal des restructurations en droit français est la neutralité fiscale, à savoir que l’opération de fusion, apport partiel d’actif ou scission, ne doit pas donner lieu à taxation immédiate, celle-ci étant reportée à la date de cession des actions reçues ou échangées ou celle des actifs transférés. Ce régime de neutralité a été adopté au niveau européen pour les opérations transfrontières par la directive «fusion».

Par Renaud Jouffroy, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Lors de la transposition de cette directive européenne, le législateur français a entendu ne pas traiter plus défavorablement les opérations purement nationales que les opérations mettant en jeu des sociétés d’un autre Etat membre. Pour l’essentiel, le corps de règles françaises est donc identique pour ces deux types d’opérations.

Lorsqu’un dispositif commun issu de la transposition d’un texte européen couvre à la fois des opérations nationales et des opérations mettant en scène des sociétés d’autres Etats membres, i) le juge européen s’est estimé en droit de clarifier les dispositions nationales et ii) le juge français autorisé à interpréter le droit interne «à la lumière» des textes européens qu’il a pour objet de transposer, et ce dans des hypothèses ou les restructurations ne couvrent pourtant que des transactions purement domestiques, en dehors du champ du texte européen transposé1.

C’est dans ce contexte que les décisions récentes ont fait trembler le régime français des restructurations. Dans un arrêt Euro Park Service2, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré que la procédure d’agrément préalable prévue par le Code général des impôts (CGI art. 210-C-2 et 210B) pour les apports à des personnes morales étrangères était contraire tant à la directive fusion qu’à la liberté d’établissement. Quelques mois après, le tribunal administratif de Montreuil, dans un jugement Oberthur Technologies3, s’inspirant directement de la décision précitée, a décidé dans une opération française d’apport-attribution (aux associés de la société apporteuse) que l’agrément ne pouvait être lié à une souscription d’un engagement de conservation des titres (de la société apporteuse) durant trois ans et que la législation ne pouvait exiger du contribuable qu’il démontre que l’opération est justifiée par un motif économique et ne poursuit pas à titre principal un objectif d’évasion fiscale, sans que l’administration ne soit tenue d’apporter ne serait-ce qu’un commencement de preuve de l’absence de motifs économiques valables ou d’indices d’évasion fiscale.

Le dispositif actuel devenu partiellement inapplicable, le législateur se devait d’opérer rapidement un toilettage complet du régime fiscal des restructurations.

L’article 14 du second projet de loi de finances rectificative pour 2017 poursuit cet objectif. La procédure d’agrément préalable pour les apports (fusions ou apports de branche complète d’activité) effectués à des sociétés étrangères serait supprimée ; le régime fiscal de faveur deviendrait applicable de plein droit lorsque les éléments apportés sont rattachés à un établissement stable français de la personne morale étrangère bénéficiaire des apports, en phase avec la directive. L’administration ne serait pas pour autant dépourvue de contreparties. D’une part, elle pourrait apprécier les motivations et les conséquences de l’opération assez rapidement grâce à une déclaration nouvelle qui serait déposée en même temps que la déclaration de résultat de l’exercice de réalisation de l’opération. D’autre part, serait insérée dans le CGI une clause anti-abus inspirée par la directive qui dénie le régime de neutralité quand l’opération a pour un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscale. Cette clause présume un abus pour les opérations qui ne sont pas effectuées pour des motifs économiques valables, étant précisé fort opportunément que «la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l’opération» seront des motifs valables justifiant le bénéfice du régime de faveur. Quant au contribuable soucieux de s’assurer a priori du bénéfice du régime de neutralité fiscale, il pourra solliciter un rescrit, l’administration devant répondre dans les six mois.

Les conditions d’application du régime de faveur des apports partiels d’actifs seraient également assouplies de manière substantielle : en cas d’apport d’une branche complète d’activité, l’engagement de conserver les titres remis en échange de l’apport pendant trois ans ne serait plus requis de la société apporteuse. Une modification similaire serait apportée au régime des scissions quand elles portent sur des branches complètes d’activité et aux apports-attribution quand la société apporteuse dispose encore d’au moins une branche complète après la réalisation de l’apport. Ces assouplissements s’avèrent d’autant plus nécessaires que cette condition de conservation des titres durant trois ans est tout simplement absente de la directive fusions. Combinées au nouveau règlement ANC n° 2017-01 publié le 11 septembre dernier (qui devrait être homologué d’ici la fin de l’année), prévoyant notamment que les règles françaises de valorisation ne peuvent être imposées à une société étrangère, les nouvelles règles françaises devraient permettre aux opérations transfrontalières de bénéficier d’un environnement beaucoup plus favorable.

D’autres aménagements au régime de faveur des fusions, de moindre importance, sont prévus par le projet de loi de finances rectificative pour 2017. Vingt-sept ans après, la directive fusion de 1990 est-elle désormais parfaitement transposée ? A notre avis pas encore ! En effet, le régime français se caractérise par une double imposition économique potentielle des plus-values réalisées lors de l’apport partiel d’actif de branche complète ou lors de l’apport de titres (qualifié d’échange de titres dans la directive). En effet, la plus-value devient taxable tant au niveau de la société bénéficiaire de l’apport lors de la cession ultérieure des biens qu’au niveau de la société apporteuse lors de la cession des titres reçus en rémunération de l’apport. Or, la directive ne semble autoriser qu’un seul niveau d’imposition : chez la bénéficiaire des apports seulement pour les apports de branche complète et chez l’apporteur seulement pour les apports de titres. Sous la pression des juges, le législateur national pourrait donc se mettre à nouveau à l’ouvrage pour parachever la transposition de la directive fusions.

1. CE 17 juin 2011, n° 324392, SARL Méditerranée automobiles, CE 15 décembre 2014, n° 380942, SA Technicolor.

2. CJUE 8 mars 2017, C-14/16.

3. TA Montreuil 8 juin 2017, n° 1510089 et 1600726.

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