La lettre gestion des groupes internationaux

Décembre 2020

Pilier 1 – Vers une simplification des règles de calcul du montant A ?

Publié le 2 décembre 2020 à 10h33    Mis à jour le 3 décembre 2020 à 11h31

La notion de «montant A», fraction du surprofit des multinationales ayant vocation à être imposée au niveau des juridictions de marché, a vu le jour à l’occasion de la publication, le 9 octobre 2019, d’un document de consultation publique proposant une «approche unifiée» dans le cadre du Pilier 1. Depuis cette date, soit pendant plus d’un an, les multinationales engagées dans la commercialisation de services digitaux automatisés et/ou de biens et services de consommation n’ont cessé de mettre en avant la complexité technique entourant le calcul de ce montant A. Consciente de ces difficultés, l’OCDE présente, dans le Blueprint du 12 octobre 2020 sur le Pilier 1, un certain nombre de règles pratiques qui pourraient être retenues pour calculer le montant A.


Par Florent Richard, avocat associé, PwC Société d’Avocats


 

 

Pour rappel, le montant A représente une part (que nous appellerons «pourcentage de réallocation») du surprofit du groupe multinational, ce surprofit correspondant quant à lui aux bénéfices du groupe qui excèdent un niveau convenu de rentabilité (que nous appellerons «seuil de profitabilité»). Le Blueprint apporte des précisions, à trois niveaux, quant aux modalités pratiques de détermination de ce surprofit.

– D’abord, l’utilisation de comptes consolidés. L’OCDE propose de se référer au résultat avant impôt du groupe multinational, tel qu’il ressort de ses comptes consolidés. Une certaine flexibilité serait laissée quant à la norme de consolidation utilisée (norme IFRS, ou bien norme comptable utilisée par la société mère ultime à condition qu’elle ne crée pas de distorsion significative). Certains ajustements «book-to-tax» pourraient être nécessaires (par exemple, réintégration d’éléments d’impôt sur les sociétés, exclusion des dividendes, exclusion des revenus issus des participations inférieures à 50 %), mais l’idée reste de les limiter au maximum.

– Ensuite, le recours à la segmentation. Chaque multinationale devra identifier ses revenus issus de services digitaux automatisés, ses revenus issus de la commercialisation de biens et de services de consommation, et ses revenus hors du champ d’application du Pilier 1. Le pourcentage «résultat avant impôt/chiffres d’affaires» global (c’est-à-dire toutes activités confondues) serait alors appliqué d’une part au chiffre d’affaires des services digitaux automatisés, d’autre part au chiffre d’affaires de la commercialisation de biens et services de consommation, pour déterminer le résultat consolidé avant impôt de chacune de ces deux activités. Si le chiffre d’affaires consolidé du groupe est inférieur à un certain seuil (lequel, à ce jour, n’a pas encore été déterminé), aucun exercice additionnel de segmentation ne sera requis. Toutefois si le groupe dépasse ce seuil de chiffre d’affaires (que l’OCDE souhaite le plus élevé possible afin de simplifier les démarches du plus grand nombre d’entreprises), il sera tenu de calculer le profit de chacune de ses activités en procédant à une segmentation de son compte de résultat consolidé. Par souci de pragmatisme, les groupes concernés seraient tenus d’utiliser les comptes segmentés qu’ils publient ou, s’ils n’en publient pas, d’établir une segmentation simple en utilisant des clés d’allocation (par exemple le chiffre d’affaires) pour allouer leurs charges d’exploitation entre les différents segments d’activité.

– Enfin, la prise en compte des pertes. En cas de pertes consolidées, l’OCDE n’entend pas les réallouer aux juridictions de marché, excluant ainsi toute symétrie avec la réallocation des surprofits aux Etats de consommation prévue par le Pilier 1. En revanche, les pertes consolidées enregistrées par le groupe (même avant la mise en place du nouveau régime) pourraient venir s’imputer sur les surprofits réallouables aux juridictions de marché. L’OCDE propose ainsi qu’au sein de chaque groupe, les pertes soient conservées dans un compte unique (ou dans des comptes par type d’activité en cas de segmentation – cf. plus haut) au niveau de l’ultimate parent entity.

Ces précisions techniques, bien qu’extrêmement utiles, ne sont pas suffisantes pour pouvoir calculer précisément le montant A. Reste en effet à préciser deux paramètres majeurs.

– Premier paramètre : le seuil de profitabilité (c’est-à-dire la marge consolidée avant impôt au-delà de laquelle se situe le surprofit). Il pourrait s’agir d’un pourcentage fixe sans distinction d’activité, ou d’un pourcentage différencié par activité (le seuil de profitabilité pourrait ainsi être plus bas pour les services digitaux automatisés que pour la commercialisation de biens et services de consommation). L’OCDE n’indique toujours pas quel(s) niveau(x) de pourcentage serai(en)t retenu(s), mais présente une étude d’impact. Par exemple, avec un seuil de profitabilité fixé à 10 % (sans différenciation par activité), 780 groupes seraient concernés par le montant A, pour un montant global de surprofits s’élevant à 490 milliards de dollars.

– Second paramètre : le pourcentage de réallocation (c’est-à-dire la fraction du surprofit réallouée aux Etats de consommation). Sur ce point, l’OCDE ne tranche pas davantage que pour le seuil de profitabilité. Est simplement évoquée, là encore, une possible différenciation par activité (avec un pourcentage de réallocation potentiellement plus élevé pour les services digitaux automatisés). L’étude d’impact précédemment évoquée est enrichie de ce second paramètre : par exemple avec un seuil de profitabilité de 10 % et un pourcentage de réallocation de 20 %, 98 milliards de dollars seraient finalement réalloués aux juridictions de marché.

Les règles tendent donc à se préciser : les techniques de calcul du montant A s’éclaircissent peu à peu (même si la fixation de certains paramètres critiques reste encore en suspens), et les modalités d’allocation aux juridictions de marché sont globalement clarifiées (cf. article précédent). Reste une question centrale : comment déterminer les «entités payeuses» du montant A, c’est-à-dire les entités du groupe qui se verront prélever la fraction de surprofit réallouée aux juridictions de marché ?

Le Blueprint du 12 octobre 2020 propose un mécanisme en quatre étapes pour identifier ces entités payeuses :

– étape 1 : un test qualitatif (notamment basé sur l’analyse de la documentation des prix de transfert existante) devra permettre d’identifier les entités qui, au sein du groupe et en vertu de la politique de prix de transfert appliquée, captent le profit résiduel du groupe (c’est-à-dire le profit restant après rémunération de toutes les fonctions dites «routinières») ;

– étape 2 : un test quantitatif permettra de s’assurer que les entités identifiées lors de l’étape 1 disposent bien de la capacité financière pour s’acquitter du montant A ;

– étape 3 : un test de «market connection» visera à vérifier si les entités identifiées sont effectivement liées, par leurs activités et leurs ventes, aux juridictions bénéficiant de la réallocation du montant A ;

– étape 4 : si l’étape 3 révèle, pour une ou plusieurs des entités identifiées aux étapes 1 et 2, une absence de lien avec les marchés considérés, alors la charge du montant A sera répartie entre les autres entités payeuses potentielles, par exemple au prorata de leurs profits respectifs dépassant le seuil de profitabilité.

Enfin, un mécanisme de protection («safe harbour») pourrait être mis en place pour éviter que les entités de commercialisation qui perçoivent déjà une part du bénéfice résiduel via la politique de prix de transfert appliquée par le groupe (par exemple en cas de méthode de partage des bénéfices) ne perçoivent une deuxième fois cette part de profit résiduel via l’attribution d’une quote-part du montant A.

Au final, l’analyse des règles proposées par le Blueprint pour calculer et allouer le montant A révèle, plus que jamais, le défi auquel l’OCDE et le cadre inclusif font face : trouver un équilibre entre volontarisme et pragmatisme. D’un côté, la volonté réitérée de mettre en œuvre de nouvelles règles d’allocation des profits des multinationales, afin d’éviter des mesures de taxations unilatérales dangereuses pour le commerce mondial et le développement économique. De l’autre côté, la nécessité de rendre ces règles suffisamment simples, prérequis indispensable pour obtenir une adhésion des entreprises et des Etats à ce nouveau système.


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