La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2020

Financement intragroupe et preuve obligataire : des nouvelles du front

Publié le 27 mars 2020 à 15h43

Fabien Fontaine

Par Fabien Fontaine, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Enjeu opérationnel important pour de nombreux contribuables, les transactions financières intragroupes sont à la pointe de l’actualité fiscale. Actualité internationale, dans la mesure où l’OCDE leur a consacré des lignes directrices publiées le 11 février dernier1 ; actualité également domestique, car les services de vérification accordent plus que jamais une attention toute particulière à ces transactions, notamment sur le terrain de l’article 212-I-A du Code général des impôts (CGI) qui conditionne la déductibilité de toute charge d’intérêt intragroupe dépassant le taux fiscal du 39-1-3° CGI à la démonstration de sa conformité aux taux de marché.

S’agissant plus précisément de ce dernier point, cette charge de la preuve inversée est assez redoutable, dans la mesure où les vérificateurs ont pour pratique de se montrer très exigeants sur les comparables apportés dans son administration, ce qui donne lieu à des échanges très techniques, sans que la doctrine administrative ou les fiches pratiques récemment émises par la DGFIP soient toujours d’un grand secours.

En illustration, saisi d’une demande d’avis du tribunal administratif de Versailles, le Conseil d’Etat s’est prononcé le 10 juillet dernier2 sur la question (plutôt de fait, et qui plus est pour le moins financière) de la recevabilité de rendements obligataires tiers dans la démonstration qu’un taux de prêt intragroupe est conforme aux taux de marché. La haute assemblée a repris à son compte l’approche prix de transfert formulée par l’OCDE, en reconnaissant la comparabilité économique de taux de prêt intragroupe avec des rendements d’emprunts obligataires d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables. Etant donnée la différence de nature (juridique) relevée entre prêts et obligations, le Conseil d’Etat a toutefois conditionné la comparabilité à la circonstance que l’émission d’emprunts obligataires constituerait, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.

Le 6 décembre 2019, le tribunal administratif de Versailles a appliqué l’avis sollicité, offrant une illustration précieuse de mise en œuvre de cette condition d’alternative réaliste3.

Selon le tribunal, cette condition est remplie (sans être sérieusement contestée par l’administration) pour une petite société industrielle qui, perçue comme ayant un profil de risque élevé, et ce d’autant plus que le montant du prêt était significatif par rapport à sa taille, ne se serait vu consentir un prêt bancaire qu’à la condition d’une prime de risque importante, tout ceci dans le contexte de crise de liquidités majeure sur les marchés financiers de la fin de l’année 2008, et de l’augmentation régulière des taux d’emprunt (bancaire) de son actionnaire indirect.

Le financement obligataire est ainsi implicitement mais nécessairement assimilé à un mode d’emprunt adapté aux profils de risque et/ou de levier peu attractifs pour des banques, et le critère de l’alternative réaliste serait ainsi validé pour ce type d’emprunteur. Le tribunal se prononce sur ces seules considérations économiques, qui sont bien conformes aux pratiques de marché, et – on peut s’en féliciter – sans mettre en avant des critères plus formels tenant par exemple à la capacité juridique à émettre des obligations.

Le critère de l’alternative réaliste serait-il vérifié pour ce seul cas de figure précis de profil d’emprunteur à risque ? Il faut espérer que non, car les financements obligataires sont en pratique des alternatives parfaitement usuelles aux financements par prêt, y compris pour les profils d’emprunteur solides. En ce sens, la rapporteure publique sous l’avis Wheelabrator relevait elle-même que «les acteurs économiques qui ont accès au financement obligataire arbitrent en permanence entre ce mode de financement et l’emprunt bancaire et recourent souvent concomitamment aux deux». A suivre ces observations de bon sens, l’emprunt obligataire est une alternative réaliste pour ce profil d’emprunteur plus classique, également susceptible de contracter un prêt.

En ce sens, également, dans sa rédaction antérieure à 1998, le 39-1-3° CGI prévoyait un taux fiscal constitué non pas d’un panier de prêts, mais de rendements d’obligations de sociétés privées, et en pratique les normes nécessaires pour accéder aux marchés obligataires en réservaient l’accès aux meilleures signatures4, conduisant d’ailleurs de ce fait à des taux jugés trop bas pour assurer un financement attractif et donc viable des PME par leurs associés (ce qui a motivé le changement de panier).

A titre plus incident, pêle-mêle, la décision valide en outre le recours (même a posteriori) à une méthode de notation d’agence, pour peu que cette dernière prenne en compte le risque commercial à travers des éléments qualitatifs et le risque financier ; le juge valide par ailleurs comme facteurs de comparabilité la devise, la maturité et le risque de crédit de l’emprunteur.

L’horizon jurisprudentiel des emprunteurs intragroupes s’éclaircirait-il enfin ? En sens contraire, le 20 décembre suivant, le tribunal administratif de Paris5 a rejeté, pour absence d’élément «établissant de manière certaine le taux dont elle aurait bénéficié auprès d’un établissement de crédit ou organisme indépendant, notamment en tenant compte du rendement d’emprunts obligataires émanant d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables», la requête d’un contribuable présentant notamment à l’appui de ses taux intragroupes une offre de financement obligataire (mezzanine) contemporaine et deux études économiques. Le même jour, cette même instance6 a refusé (assez classiquement) toute valeur probante aux logiciels de notation ; plus sévèrement que le juge de Versailles, toutefois, le tribunal a considéré que les seuls critères de comparabilité de note de crédit, de durée, pour une fenêtre d’émission de quatre mois aboutissaient à retenir un panel trop large pour permettre d’établir que les opérations en cause étaient analogues à celles en litige et que les entreprises présentaient des similitudes suffisantes avec le contribuable.

On le voit, la matière est compliquée et mouvante, et ne peut qu’inciter au plus grand soin dans la détermination des taux intragroupes. 

1. www.oecd.org/tax/beps/oecd-releases-transfer-pricing-guidance-on-financial-transactions.htm.

2. Avis du Conseil d’Etat n°429426 du 10 juillet 2019 SAS Wheelabrator Group.

3. TA Versailles n°1607393, 1806803 du 6 décembre 2019 SAS Wheelabrator Group.

4. Sénat, Commission des finances, rapport n° 116 afférent à la loi de finances rectificative pour 1998.

5. TA Paris, n° 1800388/1-2, n° 1812773/1-2 du 20 décembre 2019 SAS Trocadero Participations.

6. TA Paris n° 1803096/1-2 du 20 décembre 2019 SAS Willink.


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