La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2020

Nouvelles règles anti-hybrides : une nouvelle donne en matière de déduction des charges

Publié le 27 mars 2020 à 15h31

Guillaume Glon et Nicolas Busin

Par Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Nicolas Busin, PwC Société d’Avocats

La transposition des mesures de lutte contre les dispositifs hybrides contenues dans les directives 2016/1164 et 2017/952 (dites «ATAD 1» et «ATAD 2») par l’article 45 de la Loi de finances pour 2020 a des conséquences significatives et immédiates pour les groupes engagés dans des opérations internationales.

Les nouveaux articles 205 B, 205 C et 205 D du Code général des impôts («CGI») visent les dispositifs dits hybrides générant des asymétries de traitement fiscal entre deux juridictions (déduction sans inclusion, double déduction, hybride importé, revenu d’établissement non pris en compte et transferts hybrides conçus pour donner lieu à allégement de retenue à la source)1, les dispositifs hybrides inversés2 et les situations de double résidence3. L’objet de ces mesures est de combattre les dispositifs hybrides survenus entre entreprises associées4, entre entreprises associées d’un même contribuable, entre un siège et l’un de ses établissements ou entre deux ou plusieurs établissements de la même entité. Sont également visés certains dispositifs dits structurés intervenant entre entreprises tierces. Ces situations pourront notamment conduire à un refus de la déduction d’une charge en France ou à l’inclusion d’un revenu étranger dans la base taxable française. A l’exception des dispositions relatives aux hybrides inversés (applicables aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022), ces règles s’appliquent aux exercices ouverts depuis le 1er janvier 2020.

Ces mesures sont susceptibles d’avoir un impact majeur pour les entreprises françaises, et en particulier pour les filiales françaises de groupes américains, en raison des spécificités propres aux règles fiscales américaines (règles «check-the-box», GILTI, BEAT, etc.).

Un champ d’application très large

L’originalité du nouveau dispositif repose notamment sur son champ d’application extrêmement étendu puisqu’il vise l’ensemble des «paiements». La définition d’un paiement dépasse largement la notion d’intérêts visée par l’ancien article 212-I-b du CGI5 pour englober «tout droit à un transfert de valeur associé à un montant susceptible d’être payé». A noter, au-delà du paiement effectif, tout engagement de payer peut, au sens de ces nouvelles règles, constituer un paiement (i.e. comptabilité d’engagement).

En d’autres termes, la déductibilité d’un paiement effectué par une entreprise française au titre d’une redevance, d’un achat de marchandise ou de management fees et plus largement de toute charge déductible du résultat imposable doit être appréciée à l’aune des nouvelles dispositions anti-hybrides. A titre d’illustration, la déduction du prix d’achat d’une marchandise ou d’un service, par une société française, auprès d’une entreprise liée située dans un autre Etat pourra désormais être refusée en application de ces nouvelles règles.

Les opérations soumises à ces nouvelles règles sont diverses. On peut ainsi, par exemple, s’interroger sur la possible remise en cause de la déductibilité de l’amortissement d’un actif lorsque l’acquisition de cet actif n’a pas donné lieu à imposition entre les mains du cédant en raison du caractère hybride de ce dernier.

On pourrait multiplier les exemples à l’envi, mais arrêtons-nous sur le cas particulier des règles «check-the-box» américaines.

Les règles «check-the-box» américaines sont susceptibles de générer des asymétries directes…

Les règles check-the-box permettent aux groupes américains de choisir si les sociétés qui les composent, américaines ou non, sont fiscalement transparentes pour la détermination de l’impôt fédéral américain. Ainsi, les sociétés par actions françaises telles la société par actions simplifiées («SAS») sont par principe opaques du point de vue fiscal français mais peuvent – sans en avoir connaissance – être transparentes, disregarded ou opaques pour les besoins de l’impôt fédéral américain.

Lorsqu’une SAS française est transparente d’un point de vue fiscal américain, elle est dite hybride6. La France reconnaîtra des produits et des charges là où les Etats-Unis ne verront que des opérations internes à la société mère américaine qui seront ignorées pour les besoins fiscaux américains. Ainsi, l’achat d’une prestation de services par une SAS française, transparente d’un point de vue fiscal américain, à sa société mère américaine génère une charge en France. D’un point de vue fiscal américain, dès lors que la société française est transparente, ce flux n’existe pas, et a fortiori n’est pas imposé. Dans une telle situation, la déduction de la charge en France pourrait désormais être refusée alors même que la société française n’est pas avertie qu’elle est transparente d’un point de vue américain.

… mais aussi indirectes

Une asymétrie est importée en France lorsqu’un paiement ne générant pas directement une asymétrie permet toutefois la déduction en France d’une charge compensant directement ou indirectement un dispositif hybride, par l’intermédiaire d’une transaction ou d’une série de transactions conclues entre des entreprises associées d’un même contribuable ou par l’intermédiaire d’un dispositif structuré. On parle alors d’hybride importé.

Dans le cadre d’un contrat de prêt par exemple, la preuve apportée par une société française de l’imposition dans l’Etat du prêteur direct ne suffit pas à se dégager de la nouvelle législation. L’administration fiscale française pourrait refuser la déduction de la charge financière en arguant de ce que le paiement déductible en France compenserait un dispositif hybride existant directement entre l’Etat du prêteur et un autre Etat, voire indirectement entre deux autres Etats.

Dispositifs structurés : la probatio diabolica ?

Un dispositif est dit «structuré» lorsqu’il utilise un dispositif hybride et que ses termes intègrent la valorisation de l’effet d’asymétrie ou qu’il a été conçu en vue de générer les mêmes conséquences qu’un dispositif hybride. Dans une telle hypothèse, afin de ne pas être sanctionné au titre des nouvelles règles, le contribuable doit démontrer que lui-même ou une entreprise associée n’avaient pas connaissance du dispositif hybride et qu’ils n’ont pas bénéficié de l’avantage fiscal en découlant. Cette transposition va au-delà de ATAD 2 qui prévoit qu’il n’y a pas de dispositif structuré lorsqu’on ne peut pas raisonnablement attendre du contribuable ou d’une entreprise associée qu’il/elle soit informé(e) de l’existence du dispositif hybride, et qu’il/elle n’ait pas bénéficié de l’avantage fiscal découlant de ce dispositif. Ainsi, en cas d’acquisition de biens ou de services auprès de sociétés tierces engagées dans des dispositifs fiscaux méconnus, le contribuable supportera la charge de la preuve de sa méconnaissance de l’asymétrie.

Des mesures à prendre immédiatement

L’ensemble des charges déduites par les entreprises exploitées en France dans le cadre d’opérations transfrontalières doit être analysé à l’aune de ces règles nouvelles et complexes. Les législations fiscales étrangères ont désormais un impact immédiat sur le traitement fiscal en France. Dans ce contexte, il est nécessaire d’étudier et de modéliser l’impact du nouveau dispositif sur les flux existants. Les sociétés françaises ne peuvent pas faire l’économie de la connaissance des flux directs et indirects qui concernent leurs créanciers et du choix fait, notamment aux Etats-Unis, quant à leur qualification fiscale (transparente, disregarded, opaque). 

1. On désigne par asymétrie la déduction d’un paiement sans inclusion correspondante dans les revenus du bénéficiaire de ce paiement ou une double déduction.

2. L’hybride inversé désigne le dispositif dans lequel une ou plusieurs entreprises associées, détenant ensemble un intérêt direct ou indirect dans au moins 50 % du capital, des droits de vote ou des droits aux bénéfices d’une entité hybride constituée ou établie dans un Etat membre de l’Union européenne, sont établies dans un ou plusieurs Etats qui considèrent cette entité comme une personne imposable.

3. La double résidence désigne la situation dans laquelle un contribuable a sa résidence en France et dans un autre Etat.

4. La notion d’entreprise associée repose sur une participation d’au moins 50 % des droits de vote ou du capital (ou consolidation par intégration globale ou exercice d’une influence notable). Pour certains dispositifs (paiement effectué au titre d’un instrument financier ou paiement réputé effectué entre un établissement et son siège), le seuil est ramené à 25 %.

5. Cet article interdisait la déduction fiscale de charges financières lorsque l’entreprise liée (établie ou non en France) ayant prêté les sommes, n’était pas soumise sur les intérêts correspondant à une imposition dont le montant est au moins égal au quart de l’impôt français déterminé dans les conditions de droit commun.

6. Une entité hybride se définit comme toute entité ou tout dispositif considéré comme imposable par un Etat et dont les revenus ou les dépenses sont considérés comme les revenus ou les dépenses d’une ou de plusieurs autres personnes par un autre Etat.


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