La lettre gestion des groupes internationaux

Juin 2017

Réforme fiscale américaine : les grandes lignes se précisent

Publié le 2 juin 2017 à 11h24    Mis à jour le 2 juin 2017 à 12h27

Guillaume Glon et Marie-Hélène Pinard-Fabro, PwC Société d’A

Alors que les conjectures allaient bon train sur l’ampleur de la réforme fiscale américaine, la Maison blanche a pris position le 26 avril 2017 à l’occasion d’une conférence de presse du secrétaire au Trésor Steven Mnuchin accompagnée de la publication d’un document intitulé «Réforme fiscale 2017 pour la croissance économique et l’emploi américain». Ceux qui espéraient des précisions par rapport au «Blueprint» des représentants républicains, publié le 24 juin 2016, ou au Trump Tax Plan, dévoilé à l’automne dernier, seront déçus. Si la nécessité d’une réforme est réaffirmée, son contenu reste imprécis et pourrait s’avérer sensiblement moins novateur et ambitieux qu’anticipé…

Par Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Marie-Hélène Pinard-Fabro, avocat directeur, PwC Société d’Avocats

Les multinationales américaines s’estiment aujourd’hui pénalisées par un tissu de règles complexes assorties d’un taux d’imposition élevé. Ce taux est en effet proche de 40 % si l’on additionne la fiscalité fédérale et celle des Etats. Il s’avère très élevé en comparaison de la moyenne des pays de l’OCDE (24 % environ) et s’applique en outre sur une base mondiale, c’est-à-dire aux bénéfices réalisés par toutes les sociétés des groupes multinationaux américains, qu’elles soient établies aux Etats-Unis ou en dehors, étant précisé que dans ce dernier cas, l’imposition n’est due que sur les bénéfices distribués. Si l’impôt acquitté à l’étranger par les filiales donne droit à un crédit d’impôt admis en déduction de l’impôt américain, le différentiel reste souvent élevé et le frein est tel que les groupes américains choisissent généralement de conserver et de réinvestir leurs gains à l’étranger. Ils y disposent ainsi d’un véritable trésor de guerre estimé à plus de 2 000 milliards de dollars, que Donald Trump ambitionne de rapatrier aux Etats-Unis. En rendant la fiscalité américaine plus attractive, ce dernier espère également dissuader les groupes de recourir aux opérations d’inversion, procédé consistant à tirer parti d’une acquisition pour relocaliser la maison mère du groupe hors des Etats-Unis et soustraire à la juridiction fiscale américaine les bénéfices réalisés par les filiales étrangères placées sous la détention de cette nouvelle société mère.

Dans ce contexte, les propositions de la Maison blanche ont au moins le mérite de clarifier les deux principaux axes de la réforme : mettre en œuvre une réduction drastique du taux de l’impôt sur les sociétés et renoncer au système d’imposition mondial décrit plus haut en faveur d’un régime territorial aligné sur celui de la plupart des pays de l’OCDE, tout en réglant à cette occasion et une fois pour toutes la question de la fiscalisation des réserves accumulées à l’étranger.

La Maison blanche annonce ainsi la réduction à 15 % du taux de l’impôt sur les sociétés américain. Cette mesure s’accompagnerait de la suppression de la plupart des niches fiscales, jugées aussi complexes que contre-productives. En revanche, certains autres aménagements, parfois très audacieux, envisagés par le «Blueprint» sont tenus sous silence : pourraient ainsi être abandonnées la déduction fiscale immédiate de tous les investissements ou l’interdiction pour les entreprises de déduire leur charge nette d’intérêts, mesures visant à supprimer toute composante fiscale dans le choix du mode de financement des investissements. De même, il ne semble plus être question pour l’instant d’introduire dans l’impôt sur les sociétés un mécanisme d’ajustement frontalier ou «border adjustment». Cette mesure très controversée était envisagée par le «Blueprint» comme un moyen fort de relancer l’économie américaine en favorisant la production locale et les exportations, tout en renchérissant le coût des importations.

Par ailleurs, en contrepartie du passage à un système d’imposition territorial et pour favoriser la réinjection dans l’économie américaine des milliards de réserves accumulées à l’étranger, ces dernières seraient soumises à une imposition forfaitaire et obligatoire qui les libérerait de toute imposition ultérieure, qu’elles soient ou non rapatriées aux Etats-Unis. Plusieurs taux avaient été avancés pour cette imposition : un possible taux uniforme de 10 % selon Donald Trump, ou, selon la vision probablement plus réaliste du «Blueprint», des taux d’imposition différenciés selon que les réserves sont conservées sous forme de liquidités (8,75 %) ou réinvesties (3,5 %), avec une possibilité d’étalement de l’imposition sur huit ans. La Maison blanche est aujourd’hui muette sur ce taux, ainsi que sur toute éventuelle possibilité d’étalement, ce que l’on peut regretter puisque la mesure est très sensible pour les groupes, qui ne disposent pas nécessairement de la trésorerie suffisante pour s’acquitter de l’imposition. A tel point d’ailleurs que certains appellent de leurs vœux une limitation de la taxe aux réserves conservées sous forme de liquidités.

Malgré ces inconnues, les filiales de groupes américains ont tout intérêt à anticiper au mieux de leurs intérêts les conséquences de cette mesure en procédant à l’évaluation des réserves dont elles disposent et en considérant un arbitrage entre la remontée à court terme de ces réserves par voie de dividende – qui donnerait lieu à l’imposition au taux de 40 % atténuée par l’imputation des crédits d’impôts étrangers – et le versement ultérieur de l’impôt libératoire à un taux qui reste à déterminer. Par la suite et dans le cadre du nouveau système territorial, les dividendes versés par les filiales étrangères bénéficieraient d’un régime d’exonération lors de leur distribution à une société mère américaine.

Le flou qui entoure encore la réforme rend délicate l’évaluation de ses conséquences économiques. Le FMI anticipe pour 2018 une relance budgétaire considérable aux Etats-Unis du fait des changements attendus dans la politique fiscale de l’Etat fédéral (FMI, Perspectives de l’économie mondiale, avril 2017). En effet, le transfert massif de capitaux vers les Etats-Unis tel qu’il est escompté, combiné avec la réduction à 15 % du taux de l’impôt sur les sociétés, est de nature à dynamiser l’économie et, notamment, à encourager localement les opérations de M&A. D’un autre côté, l’accroissement du déficit budgétaire résultant des baisses d’impôt pourrait entraîner une hausse des tendances inflationnistes. Les modèles les plus pessimistes craignent qu’à terme, ces effets négatifs n’aboutissent à neutraliser la relance escomptée.

En tout état de cause, face à la nécessité pour l’administration Trump de recueillir un consensus sur les mesures envisagées, le projet actuel va devoir être retravaillé et discuté en lien avec le Sénat et la Chambre des représentants, dans l’objectif de formaliser au plus vite une version plus détaillée. Il reste cependant difficile de parier sur un calendrier, d’autant que l’expérience de la dernière réforme fiscale d’ampleur menée en 1986 a montré qu’un délai de deux ans pouvait être nécessaire entre la publication du projet et l’adoption du texte définitif. Il n’est donc même pas certain que la réforme puisse être menée avant la prochaine échéance électorale que représentent les élections législatives du mois de novembre 2018.


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Le défi de l’élaboration d’une stratégie fiscale pérenne dans un monde en perpétuel changement et la tentative du repli sur soi

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Depuis le début de la crise économique et financière, l’attention a porté sur les mesures à adopter pour lutter contre l’évasion fiscale. A l’issue des travaux d’un groupe ad hoc de l’OCDE réunissant 99 pays, la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices a fait l’objet d’une première cérémonie officielle de signature le 7 juin 2017 à Paris. Cet instrument multilatéral a été conçu comme un outil de transposition accélérée et homogène des mesures issues du projet BEPS de l’OCDE et du G20 dans plus de 2 000 conventions fiscales bilatérales existantes au niveau mondial.

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