La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2018

Documentation des prix de transfert : vers un alourdissement sensible

Publié le 5 octobre 2018 à 16h44

Susana Rodriguez de la Pena et Yasmina Fahim, PwC Société d’Avocats

La singularité française en matière d’obligation de documentation des prix de transfert se confirme suite à l’entrée en vigueur du décret n°2018-554 et de la publication de l’instruction administrative BOI-80-10-40-20180718. En effet, par les nouvelles normes qui y sont posées, l’administration fiscale française s’écarte sensiblement des recommandations de l’OCDE qui visaient un format de documentation standardisé et harmonisé.

Par Susana Rodriguez de la Pena, PwC Société d’Avocats et  Yasmina Fahim, PwC Société d’Avocats

Le 29 juin 2018, le décret relatif à la documentation des prix de transfert a été adopté, avec une entrée en vigueur le 30 juin de la même année. Ce décret a été complété par une instruction administrative publiée le 18 juillet 2018.

Ces textes, qui couvrent les exercices fiscaux ouverts à compter du 1er janvier 2018, viennent apporter des précisions quant à la structure et au contenu de la documentation tels que normés par l’OCDE dans ses principes1  post BEPS2  et déjà formalisés de manière extensive par le législateur français à l’article L13 AA du livre des procédures fiscales (LPF). S’ils ont a priori vocation à resserrer le maillage juridique existant et à en préciser la portée, les nouveaux textes posent également de nouvelles obligations complexifiant notablement le dispositif.

En effet, si l’article L13 AA du LPF a notamment déjà écarté la notion de «brièveté» formulée par l’OCDE pour les analyses à fournir dans le fichier principal (analyse fonctionnelle, description des accords de services, description des accords préalables sur les prix etc.), le nouveau décret et son instruction étendent à nouveau le champ des informations à fournir, différenciant ainsi sensiblement le format français de documentation de celui préconisé par l’OCDE.

Le présent article s’attache ci-dessous à identifier les principales différences entre ces deux formats.

Dans le cadre de l’obligation d’établir un fichier principal («master file»), les nouveaux textes posent des obligations et précisions liées aux informations relatives à l’activité du groupe. Ainsi, le décret dispose que la description des capacités des principaux sites fournissant des services autres que la R&D s’entend de la mise à disposition de l’administration fiscale d’éléments sur les moyens humains, matériels, financiers et logistiques desdits sites. Le nouveau décret ne se limite donc pas à une simple description de la substance des entités, mais requiert des informations supplémentaires sans incidence directe sur les prix des prestations intra-groupe. L’instruction administrative, elle, traite simplement du formalisme de la restitution desdites informations.

Aussi, au titre des informations relatives aux actifs incorporels détenus par le groupe, les nouveaux textes précisent que la description de la stratégie précisent que la description de la stratégie liée comprend notamment des informations sur les opérations faisant l’objet d’une sous-traitance auprès d’entreprises qui ne sont pas membres du groupe. Cette nouvelle mesure, laquelle ne relève pas des opérations intra-groupe, induit pour les contribuables une charge informative plus lourde. La liste des actifs incorporels ou des catégories d’actifs incorporels importants pour l’établissement des prix de transfert est complétée par une rubrique relative aux politiques de prix de transfert appliquées aux activités de R&D. Cette obligation, redondante avec les obligations de fichier local («local file»), écarte le format français de master file de celui de l’OCDE, qui se veut plus synthétique et «bref».

Quant à l’obligation de fournir ledit local file, les nouveaux textes précisent, au titre des informations relatives à l’entité locale que la stratégie de l’entité vérifiée s’entend des «objectifs poursuivis, des choix effectués sur l’allocation des moyens, des financements mobilisés et des risques assumés pour atteindre ces objectifs». Il s’agit là d’une mesure hors de proportion avec le but poursuivi, induisant potentiellement pour le contribuable une obligation de fournir un business plan complet. Cette mesure est particulièrement lourde et pourrait revitaliser les débats autour des principes de non immixtion dans la gestion de l’entreprise et de confidentialité des stratégies commerciales.

En ce qui porte sur les informations relatives aux transactions contrôlées, et en ligne avec l’obligation déclarative posée par l’article 223 quinquies b du Code général des impôts (CGI), un seuil de matérialité est mis en place pour les transactions à déclarer dans le local file. Ce seuil est fixé à 100 000 euros par catégorie de transactions. L’entité locale doit également fournir des informations sur ses conditions de paiement par types de biens ou produits, alourdissant ainsi les moyens à mettre en œuvre par le contribuable pour répondre aux obligations de documentation en vigueur. Ces informations sont, sauf cas exceptionnels, inutiles à l’analyse des prix de transfert intragroupe.

Enfin, au titre des éléments financiers, l’entité locale doit fournir une correspondance entre ses comptes de gestion utilisés aux fins des prix de transfert d’une part et avec ses comptes sociaux d’autre part.. Cette formulation, potentiellement contraignante pour le contribuable, relève plutôt des opérations de vérification de comptabilité et s’écarte des recommandations de l’OCDE3. En effet, ces dernières suggèrent plutôt que les contribuables devraient être en mesure d’opérer de telles réconciliations, sans pour autant instaurer l’obligation formelle de les documenter systématiquement. 

Plus généralement, il est à noter que l’instruction administrative, par sa rédaction, suscite des questions de mise en œuvre qui nécessitent un effort supplémentaire d’interprétation de la part du contribuable.

En résumé, si l’instauration d’un seuil de matérialité, bien qu’assez bas, limite le nombre de transactions à documenter, les autres mesures sus listées alourdissent notablement les obligations fiscales qui pèsent sur le contribuable français, s’écartant significativement de l’esprit des recommandations post-BEPS de l’OCDE induisant un effort significatif d’adaptation aux spécificités françaises.

1. Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, OCDE, juillet 2017.

2. Base Erosion and Profit Shifting, Action 13, “Transfer pricing documentation and country-by-country reporting”.

3. Les recommandations de l’OCDE disposent à ce sujet que «des informations et des tableaux de répartition montrant comment les données financières utilisées pour appliquer la méthode de prix de transfert peuvent être reliées aux états financiers annuels».


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