La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2018

Les recommandations de l’OCDE invitent-elles à une banalisation des modèles de partage des profits ?

Publié le 5 octobre 2018 à 16h44

Chaïd Dali-Ali et Maxime Zecca, PwC Société d’Avocats

Dans le cadre de ses travaux BEPS visant à contrer les transferts de bénéfices et l’érosion de la base d’imposition, l’OCDE a publié le 21 juin 2018 de nouvelles recommandations relatives à la méthode de détermination des prix de transfert dite du «partage des bénéfices», ou «profit split».

Par Chaïd Dali-Ali, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Maxime Zecca, PwC Société d’Avocats

Cette publication intervient dans un contexte marqué par la tentation de certaines administrations d’adopter des approches forfaitaires et préétablies, s’éloignant malheureusement ainsi du principe de pleine concurrence, lequel nous parait à la fois pertinent et légitime en ce qu’il aligne imposition et participation à la création effective de valeur par les différents membres du groupe multinational.

Des interrogations grandissantes quant à la «popularité», réelle ou supposée, des modèles dits centralisés…

La révision des recommandations de l’OCDE relatives à la méthode du profit split nous semble faire écho aux inquiétudes manifestées par certaines administrations fiscales face à la multiplication des modèles de prix de transfert dits centralisés. Ceux-ci reposent d’une part sur la caractérisation d’entités dites «entrepreneurs», réputées assumer les fonctions stratégiques et les risques les plus importants, et détenir les actifs incorporels déterminants dans la chaîne de valeur, et d’autre part sur des entités dites de «routine», réputées contribuer plus modestement à la création de valeur. Ce modèle dichotomique conduit à allouer des marges encadrées aux entités de routines et à considérer que les entités «entrepreneurs» ont vocation à appréhender les profits ou les pertes dites «résiduelles».

Les inquiétudes évoquées surviennent en situation bénéficiaire lorsque le profit résiduel est appréhendé par l’entrepreneur, mais rappelons qu’en cas de pertes la centralisation opère de la même manière.

… à la réaffirmation du principe de pleine concurrence

En affirmant que «les profits doivent être imposés là où l’activité économique est créée», l’OCDE a d’une part consacré une nouvelle fois le principe de pleine concurrence, et d’autre part ouvert la voie à la mise en œuvre de modèles davantage décentralisés, pour la répartition des revenus et des résultats.

L’OCDE est confortée par la Commission des finances de l’Assemblée Nationale qui a récemment publié dans un rapport relatif à l’évasion fiscale internationale des entreprises1 que «il est donc recommandé à l’administration fiscale de faire un usage plus fréquent du «profit split» lorsque cela est économiquement justifié au regard de l’organisation du groupe, et de son modèle économique».

… et à la redéfinition des conditions de mise en œuvre de la méthode du profit split

Le profit split est appréhendé par l’OCDE comme une méthode parmi les autres. Elle s’est attachée à redéfinir les conditions permettant de la sélectionner comme méthode la plus pertinente, limitant dès lors son usage systématique, qui serait inadapté aux circonstances économiques.

Ainsi, elle précise que les seuls manque ou absence de comparables similaires ne sauraient en aucun cas conduire à l’application de la méthode de partage de bénéfices, et que la référence à des comparables imparfaits est probablement plus pertinente qu’une utilisation inappropriée de la méthode du partage des bénéfices2.

L’OCDE définit trois indicateurs principaux justifiant la pertinence de l’utilisation de la méthode du partage des bénéfices : les contributions «uniques» de valeur, le partage de risques économiques significatifs et des opérations fortement intégrées.

Le critère de la contribution «unique» de valeur renvoie au cœur de l’approche présidant à toute analyse prix de transfert, à savoir l’analyse de la chaîne de valeur et l’analyse fonctionnelle. Toutefois, la notion d’unicité de la contribution pourrait susciter des difficultés d’interprétation, tant elle dépend de l’arbitrage pris en faveur d’une analyse par catégorie de contributions ou par élément ; soit par exemple le fait de détenir des incorporels, ou le fait de détenir un incorporel en particulier.

Le partage des risques économiques significatifs, ou des risques individualisés mais hautement intégrés est une condition sans doute discutable tant il est peu fréquent de constater un tel partage de risques entre acteurs indépendants, sauf à considérer les situations de co-entreprises ou d’accords de développement commun. Un tel critère de mise en œuvre devrait limiter un usage trop systématique du profit split.

L’OCDE énonce une 3e condition lorsqu’elle insiste sur le caractère nécessairement fortement intégré des opérations en cause. L’intégration suppose qu’au moins deux entreprises liées assument de façon indissociable des fonctions et des risques et utilisent des actifs de manière particulièrement étroite, ou lorsque la création de valeur elle-même naît d’interactions. Cette condition pourrait dès lors être régulièrement satisfaite dans un environnement économique caractérisé par la recherche de combinaisons d’expertises permettant une meilleure efficacité. Pourtant, la méthode du profit split ne paraît pas devoir, par essence, trouver à s’appliquer systématiquement dès lors que la seule interdépendance entre les acteurs est révélée.

Alors que l’OCDE ouvre des voies renouvelées à la mise en œuvre du profit split, elle en précise les modalités d’application. Elle prévoit que le profit à partager peut soit consister en un profit réel lorsque les parties aux opérations assument conjointement ou séparément des risques économiques significatifs, soit en un profit estimé lorsqu’une des parties n’assumerait pas de risques économiques significatifs. Enfin, l’OCDE reconnaît une certaine liberté aux contribuables pour la détermination des clefs de répartition, fondées notamment sur des éléments d’analyse fonctionnelle. Elle rappelle une nouvelle fois son attachement au principe de pleine concurrence, invitant les entités liées à définir leurs contributions respectives, comme l’auraient fait des parties indépendantes.

En conclusion, la possibilité d’un recours plus fréquent à la méthode du partage des bénéfices, ouverte tant par l’OCDE que par l’administration fiscale - si elle devait suivre les recommandations récemment émises par la Commission des finances de l’Assemblée Nationale, permettrait de mieux tenir compte de circonstances économiques où le profit est étroitement corrélé à des contributions étroitement combinées et imbriquées tant en termes de fonctions, de risques que de développement d’actifs.  Au-delà sa banalisation, voire sa systématisation, nous semble condamnable.

1. Rapport d’information déposé par la commission des finances, mission d’information relative à l’évasion fiscale internationale des entreprises, 12 septembre 2018 (Mme Peyrol, et M. Parigi)

2. OCDE, 2017, § 2.128


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