La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2019

Réforme de l’intégration fiscale : une fiscalité alourdie ?

Publié le 15 mars 2019 à 10h27    Mis à jour le 15 mars 2019 à 16h38

Marie-Hélène Pinard-Fabro et Valérie Aelion, PwC Société d’Avocats

Pour répondre à l’obligation de mettre en conformité le régime de l’intégration fiscale avec le droit de l’UE, la loi de finances pour 2019 signe une réforme en profondeur qui marque un alignement croissant du régime des groupes de sociétés sur le régime de droit commun. Outre l’assouplissement des conséquences de certaines opérations de restructuration intragroupes, bienvenues dans le cadre du Brexit et non traitées dans le cadre du présent article, les principales modifications apportées ont trait aux régimes des distributions, des plus-values et des subventions intragroupes.

Par Marie-Hélène Pinard-Fabro et Valérie Aelion, avocats, PwC Société d’Avocats

La poursuite de la mise en conformité au droit de l’UE des distributions intragroupes

Les dividendes relevant du régime mère-fille

En 2015, la décision Stéria de la CJUE (CJUE du 2 septembre 2015, C-386/14, Groupe Stéria CSA) a conduit le législateur à opérer une première réforme du régime des distributions de dividendes intragroupes. La Cour européenne a en effet jugé que le mécanisme de neutralisation de la quote-part de frais et charges sur les dividendes intragroupes ne pouvait être considéré comme «intrinsèque» au régime de l’intégration fiscale et créait dès lors une discrimination entre les filiales françaises intégrées et les filiales européennes qui, par définition ne pouvaient être membres de l’intégration fiscale.

Suite à cette décision, la loi de finances rectificative pour 2015 a mis fin, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016 aux neutralisations de la quote-part de frais et charges sur les distributions de dividendes intragroupes. Parallèlement, la quote-part de frais et charges jusqu’alors fixée à 5 % des dividendes a été portée à 1 % pour les dividendes perçus par une société membre d’un groupe fiscal à raison d’une participation dans une autre société membre du groupe ou à raison d’une participation dans une société établie dans un autre Etat membre de l’UE ou de l’EEE, sous réserve toutefois que ladite société soit soumise à un impôt équivalent à l’IS et qu’elle remplisse les conditions pour être membre du groupe fiscal de la société bénéficiaire de la distribution (à l’exception de la condition liée à l’assujettissement à l’IS).

Ce nouveau régime, n’a toutefois pas supprimé toutes les interrogations sur la compatibilité du traitement des dividendes intragroupes avec le droit de l’UE. Demeurait notamment en suspens la question des dividendes perçus par une société française de filiales étrangères remplissant les conditions pour être intégrées mais qui, à titre d’exemple, parce qu’elle ne détenait aucune filiale en France (ou du moins des filiales intégrables) n’était pas membre d’un groupe fiscal.

Face à ces doutes subsistants, le législateur a donc décidé de modifier à nouveau le régime des distributions intragroupes, dans le cadre de la loi de finances pour 2019, en ajoutant un nouveau cas d’application du taux réduit de 1 % sur la quote-part de frais et charges sur les dividendes. Ce nouveau cas, applicable pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, vise les dividendes :

– perçus par une société française qui n’appartient pas à un groupe fiscal, mais qui remplirait les conditions pour l’être, sous réserve que sa non-appartenance au groupe ne résulte pas d’une absence d’option ou d’accord prévus pour une telle appartenance ;

– à raison d’une participation dans une société de l’UE ou de l’EEE qui remplit les conditions pour être membre d’une intégration fiscale.

Comme l’ont signalé les rapporteurs de la commission des finances de l’Assemblée nationale, lors de la discussion sur le projet de loi de finances, l’extension proposée du bénéfice de la quote-part de frais et charges à 1 % conduit à traiter de la même manière les situations comparables, sans qu’y fasse obstacle la non-appartenance à un groupe fiscalement intégré, avec pour seule réserve que la non-appartenance des sociétés françaises à un groupe fiscal ne résulte pas d’un choix.

La volonté du législateur de ne pas ouvrir le bénéfice du taux réduit de 1 % aux entreprises qui ont choisi de ne pas faire partie d’un groupe intégré apparaît logique mais oblige en pratique, à remonter très en amont dans les chaînes de participations lorsqu’il s’agit d’apprécier si une société française aurait pu opter pour être intégrée.

Tel est le cas notamment en ce qui concerne l’intégration horizontale. Prenons le cas d’une société française filiale à plus de 95 % d’une société établie dans un autre Etat de l’UE qui détient également à plus de 95 % une autre filiale également établie en France. Dans une telle hypothèse, il convient de considérer que la première société française a fait le choix de ne pas être intégrée dès lors qu’elle remplissait les conditions pour constituer un groupe d’intégration fiscale horizontale avec sa société sœur (groupe dont l’entité mère non résidente aurait été la société étrangère). On voit à travers cet exemple que l’appréciation de la possibilité d’opter pour une entreprise non membre d’un groupe devra être considérée avec attention afin de vérifier qu’elle ne disposait pas d’une possibilité théorique d’option qui la priverait en pratique du bénéfice de la quote-part de frais en charges au taux réduit.

Les dividendes ne relevant pas du régime mère-fille

Dans le cadre du régime de l’intégration fiscale, les dividendes ne relevant pas du régime mère-fille perçus par une société membre du groupe d’une autre société appartenant au groupe depuis au moins un exercice, faisaient jusqu’à présent l’objet d’une neutralisation, ce qui aboutissait à une exonération totale de ces derniers. Les dividendes perçus de sociétés non membres de l’intégration fiscale étaient taxés pour 100 % de leur montant. Le législateur, toujours dans le cadre de la loi de finances pour 2019, a souhaité aligner le régime de ces dividendes sur celui applicable aux dividendes relevant du régime mère-fille.

Première conséquence de cette volonté, ces dividendes ne sont désormais plus neutralisés qu’à hauteur de 99 % de leur montant, ce qui aboutit bien, au final, à leur attribuer le même niveau d’imposition que les dividendes relevant du régime mère-fille qui, on l’a vu, sont imposés au taux de 1 % (via la quote-part de frais et charges) lorsque les conditions sont réunies.

Par ailleurs, afin d’assurer un parfait alignement des deux régimes, le législateur a également étendu le périmètre des participations concernées par la mesure. Ainsi, il est désormais prévu que feront également l’objet d’une neutralisation à hauteur de 99 % de leur montant pour la détermination du résultat d’ensemble, les dividendes non soumis au régime mère-fille perçus par une société du groupe, d’une société soumise à un impôt équivalent à l’IS dans un autre Etat membre de l’UE ou de l’EEE et qui remplit les conditions pour être membre du groupe fiscal de la société bénéficiaire de la distribution.

Enfin, les dividendes perçus par une société française non membre d’une intégration fiscale, à raison de la participation dans une société établie dans l’UE ou l’EEE qui remplit les conditions pour être membre d’une intégration fiscale pourront être exonérés à hauteur de 99 % de leur montant pour la détermination du résultat fiscal de la société bénéficiaire (on ne parle pas dans ce cas de neutralisation pour le résultat d’ensemble puisque par définition la société bénéficiaire n’est pas intégrée), à condition toutefois que celle-ci remplisse l’ensemble des conditions pour pouvoir être intégrée et que sa non-appartenance à un groupe fiscal ne résulte pas d’un choix de sa part.

Comme pour le régime des dividendes ouvrant droit au régime mère-fille, l’application pratique de ces règles devra être effectuée avec vigilance.

Les plus-values à long terme sur titres de participation dorénavant taxées selon les règles de droit commun

Dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2019, le régime de l’intégration fiscale présentait l’avantage de gommer tout frottement fiscal lié à la cession de titres de participation à l’intérieur du périmètre du groupe. En effet, le régime prévoyait :

– concernant des plus ou moins-values de cession, leur neutralisation pour la détermination du résultat fiscal d’ensemble du groupe, qu’il s’agisse de plus ou moins-values à court terme relevant du taux de droit commun de l’IS ou de plus ou moins-values à long terme relevant du taux de 0 % et ;

– concernant des titres détenus depuis au moins deux ans et relevant du régime du long terme et du taux de 0 %, la neutralisation de la quote-part de frais et charges de 12 %, calculée sur la plus-value brute de cession et réintégrée en application des règles de droit commun au résultat fiscal de la société cédante (CGI article 219, I- a quinquies).

Pour les groupes «Papillon», des neutralisations similaires étaient prévues en cas de cession des titres d’une société du groupe par une société membre de ce groupe à une société intermédiaire, une société étrangère ou une entité mère non résidente. Du fait des risques de non-conformité de ce régime avec le droit de l’UE, le projet de loi de finances pour 2019 rendu public en septembre 2018 prévoyait de mettre fin à la neutralisation de la quote-part de frais et charges en cas de plus-value à long terme, tout en compensant ce surcoût fiscal pour les groupes par une réduction du taux de la quote-part de frais et charges à 5 %.

Cette réduction initialement prévue en faveur de tous les contribuables, avait ensuite été restreinte par amendement aux sociétés membres d’un groupe intégré, selon des modalités similaires à celles qui sont prévues pour l’application du taux de quote-part de frais et charges de 1 % dans le cadre du régime des sociétés mères. Un dernier amendement déposé tardivement a toutefois rétabli uniformément le taux de la quote-part de frais et charges à 12 % pour l’ensemble des sociétés, intégrées ou non, sans pour autant en réinstaurer la neutralisation dans l’intégration fiscale, dans le souci de ne pas dégrader davantage le solde budgétaire à la suite des mesures en faveur du pouvoir d’achat annoncées par le gouvernement le 10 décembre 2018. Au final, le régime de l’intégration fiscale perd donc une partie de son attractivité, sans contrepartie.

On relèvera que la modification apportée au régime des plus-values de cession de titres de participation intragroupe ne touche que la quote-part de frais et charges. La neutralisation et le suivi sur l’état 2058-PV des plus ou moins-values de cession intragroupe sont maintenus, avec, à la clé, une pénalité pouvant atteindre 5 % (article 1763 du CGI). Cette dernière reste donc encourue y compris lorsque la plus ou moins-value relève du régime du long terme et donc du taux de 0 %. La déneutralisation de ces éléments reste prévue lors de la cession hors du groupe des titres ou lors de la sortie du groupe d’une société qui les a cédés ou de celle qui en est propriétaire (ou encore, s’agissant des groupes «Papillon», lors de la sortie du groupe de la société dont les titres ont été cédés à une société intermédiaire, une société étrangère ou une EMNR).

Alors que, dans le cadre du régime antérieur, c’était la déneutralisation de plus-values à long terme qui entraînait la taxation d’une quote-part de frais et charges de sortie, la loi de finances pour 2019 bouleverse cet équilibre et introduit une décorrélation entre la déneutralisation des plus-values à long terme et la taxation d’une quote-part de frais et charges de sortie. Le texte prévoit en effet que lorsqu’une plus ou moins-value afférente à la cession de titres de participation a été neutralisée pour la détermination de la plus ou moins-value à long terme d’ensemble d’un exercice ouvert avant le 1er janvier 2019, la quote-part de frais et charges de 12 % prévue à l’article 219, 1-a quinquies du CGI s’applique au montant brut des plus-values de cession afférentes aux mêmes titres immobilisés :

– lors de leur première cession intervenant au cours d’un exercice ouvert à compter du 1er janvier 2019 ; ou

– lorsque, à compter de ce même exercice, la société qui en est propriétaire, selon le cas, sort du groupe ou perd la qualité de société intermédiaire, de société étrangère ou d’EMNR.

Il en résulte notamment que toute nouvelle cession, au cours d’un exercice ouvert à compter du 1er janvier 2019, de titres de participation ayant précédemment donné lieu à la neutralisation d’une plus-value à long terme et d’une quote-part de frais et charges entraînera la taxation d’une quote-part de frais et charges de sortie, même si cette cession est réalisée entre sociétés membres de l’intégration fiscale. A la lettre du texte, les plus-values correspondantes resteront neutralisées et soumises à l’obligation de déclaration sur l’état 2058-PV. On peut toutefois s’interroger sur la légitimité du maintien de cette obligation et plus encore sur celle de la sanction encourue à ce titre, puisque les plus-values concernées relèvent par hypothèse du taux de 0 %, que leur déneutralisation n’emportera par conséquent aucun effet fiscal, et qu’aucun suivi ne paraît plus nécessaire une fois taxée la quote-part de frais et charges afférente à ces plus-values…

La suppression de la neutralisation des subventions intragroupes

Une autre atteinte portée au régime de l’intégration fiscale concerne les abandons de créances et les subventions intragroupes. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, les abandons de créances et les subventions consentis entre sociétés membres du groupe cessent d’être neutralisés pour la détermination du résultat d’ensemble.

Il s’ensuit un alourdissement de la charge fiscale des groupes intégrés en cas d’aide intragroupe présentant un caractère non déductible pour la société qui la consent et un caractère imposable pour la société bénéficiaire, notamment en cas d’aide à caractère financier (CGI article 39, 13).

En dépit de cette évolution défavorable, le suivi des abandons de créances et subventions consentis ou reçus au titre des exercices ouverts avant le 1er janvier 2019 reste de rigueur et le défaut de mention des sommes concernées sur l’état 2058-SG demeure sanctionné par une majoration pouvant atteindre 5 % des sommes omises. Le mécanisme de déneutralisation est maintenu et s’applique en cas de sortie du groupe de la société qui les a consentis ou de celle qui les a reçus :

– en général, si la subvention a été octroyée au cours de l’un des cinq exercices précédant celui de la sortie ; ou

– quelle que soit la date d’octroi de la subvention si cette dernière provient de la cession d’un élément de l’actif immobilisé d’une société du groupe à une autre pour un prix différent de sa valeur réelle.

Afin de préciser la portée de la suppression de la neutralisation des subventions indirectes consenties entre sociétés du même groupe, l’article 223 B du CGI, dans sa nouvelle rédaction, précise que «l’avantage consenti entre des sociétés du groupe résultant de la livraison de biens autres que ceux composant l’actif immobilisé ou de la prestation de services, pour un prix inférieur à leur valeur réelle mais au moins égal à leur prix de revient, n’est pas pris en compte pour la détermination du bénéfice net mentionné aux 1 et 2 de l’article 38 et ne constitue pas un revenu distribué». La fourchette de prix autorisée par l’article 46 quater 0-ZG du CGI est ainsi inscrite dans la loi, avec une rédaction moins précise qui laisse en particulier ouverte la question de savoir dans quelle mesure la règle énoncée s’applique aux intérêts facturés entre sociétés du groupe.

On relèvera enfin que le régime de plafonnement de l’imputation des déficits pré-intégration est maintenu. Le texte précise ainsi que les subventions directes ou indirectes ou les abandons de créances ne peuvent être pris en compte pour l’imputation des déficits pré-intégration lorsqu’ils ont été déduits du résultat fiscal de la société qui les a consentis.


La lettre gestion des groupes internationaux

Charges financières : des règles durcies pour les sociétés ou groupes sous-capitalisés

Marie-Hélène Pinard-Fabro, PwC Société d’Avocats

Sans surprise, la réforme des modalités de déduction des charges financières comporte un volet relatif à la sous-capitalisation. Les dispositions antérieures en la matière ne sont supprimées que pour laisser place à de nouvelles règles, directement intégrées au nouveau dispositif, et ce conformément à la possibilité offerte aux Etats membres par la directive ATAD (directive 2016/1164 du 12 juillet 2016), autorisant l’utilisation de «règles ciblées pour lutter contre le financement de la dette intragroupe, en particulier des règles en matière de sous-capitalisation», en complément de la règle générale plafonnant la déduction des charges financières nettes à 30 % de l’Ebitda fiscal (ou 3 millions d’euros).

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