La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2014

L’optimisation fiscale et le Conseil constitutionnel

Publié le 28 mars 2014 à 19h07

Philippe Durand

Le Conseil constitutionnel devrait-il être ou serait-il un défenseur de l’optimisation fiscale comme l’ont suggéré certains : les uns par conviction que contraindre les contribuables à choisir la voie fiscalement la plus coûteuse est l’antichambre du totalitarisme ; les autres parce qu’ils voient dans certaines décisions d’annulation l’indice d’une légitimation de la fraude ? L’examen des décisions récentes ne confirme pas cette analyse.

Par Philippe Durand, avocat associé, Landwell & Associés

En revanche, dans son rôle de défenseur des libertés comme dans celui de défenseur de la qualité et de la cohérence des travaux législatifs, le Conseil a contribué à prévenir la promulgation de textes dont la mise en œuvre aurait sans doute donné pas mal de travail au juge de l’impôt.

L’optimisation fiscale n’est certainement pas un droit que le Conseil défend en tant que tel. Ainsi, à propos d’une éventuelle modification de la définition de l’abus de droit tendant à remplacer la notion de but fiscal exclusif par celle de but principalement fiscal (art. 100 du PLF pour 2014), il se garde bien de prendre à son compte la formule utilisée par les parlementaires requérants faisant état de «la liberté du contribuable de choisir, pour une opération donnée, la voie fiscale la moins onéreuse» : il la cite avec des guillemets.

De la même façon, il valide certains dispositifs, notamment celui concernant les «hybrides» qui rend non déductibles les intérêts d’emprunt supportés par une société si ces intérêts ne sont pas corrélativement imposés chez celui qui les perçoit (art. 22 du PLF pour 2014) et qu’il existe un lien de dépendance entre les deux entités. Le texte présentait pourtant un certain nombre d’imperfections techniques et rédactionnelles sur lesquelles le Conseil n’a pas souhaité s’appesantir et qu’il n’a pas voulu gommer, vraisemblablement en raison de l’objectif de lutte «contre des schémas d’endettement artificiel».

En revanche, au nom de la juste appréciation des capacités contributives et de la sécurité juridique des citoyens, le Conseil constitutionnel veille à ce que les dispositifs envisagés n’aboutissent pas à un niveau de prélèvements fiscal et social confiscatoires et à ce que la loi soit suffisamment claire dans la définition des obligations ou des contraintes qu’elle impose aux contribuables.

Sur le risque de prélèvements excessifs, on se souvient encore de la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus (la taxe à 75 % de l’an dernier). Cette année, le Conseil n’a pas censuré sa petite sœur, la taxe de 50 % sur les rémunérations excédant 1 million d’euros à la charge des entreprises. Il a en revanche annulé deux articles sur ce même motif : le refus de tout abattement pour durée de détention dans la détermination de la plus-value imposable sur les cessions de terrains à bâtir (art. 27 du PLF pour 2014) et l’assujettissement à un prélèvement de 75 % (90,5 % avec les prélèvements sociaux) des profits sur les marchés à terme réalisés par des personnes physiques, lorsque le teneur de compte ou le cocontractant est établi dans un Etat non coopératif (ETNC) (art. 43 du PLFR pour 2013). Bien que le premier dispositif soit destiné à éviter la rétention des terrains, le Conseil indique que cet objectif louable ne saurait conduire à méconnaître la capacité contributive des contribuables et qu’il demeure nécessaire de prendre en compte l’érosion monétaire. S’agissant des profits sur les marchés à terme, le Conseil récuse le fait de sanctionner fiscalement un contribuable à raison de la localisation d’un tiers (le teneur de compte ou la contrepartie) dans un ETNC.

Un troisième dispositif a été annulé pour un motif proche, la prise en compte de l’augmentation de la valeur de rachat de certains contrats d’assurance-vie pour la détermination du plafonnement de l’ISF (art. 13 du PLF pour 2014). Mais, en l’occurrence, le Conseil motive sa décision par la méconnaissance de l’autorité de la chose jugée dès lors qu’il avait déjà annulé une disposition identique l’an passé.

Ces trois annulations ne concernent que des dispositifs intéressant les personnes physiques. Mais une situation du type de celle relevée à propos des profits sur les marchés à terme, dans laquelle le législateur tenterait de sanctionner une entreprise relevant de l’impôt sur les sociétés du fait d’une relation avec un tiers localisé dans un paradis fiscal, appellerait sans doute une décision identique du Conseil. Il n’en irait autrement que si la possibilité est laissée au contribuable d’apporter la preuve que cela ne résulte pas d’une simple optimisation fiscale.

Quant à la nécessité d’une définition claire des obligations ou des contraintes imposées aux contribuables par la loi même, elle apparaît par exemple à propos de la tentative de modification de la définition de l’abus de droit. Ne souhaitant pas se hasarder sur le terrain de l’optimisation fiscale (cf. supra), le Conseil relève que la modification envisagée «de la définition de l’acte constitutif d’un abus de droit a pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale» (§ 116). Or, selon lui, le législateur a l’obligation de «prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi».

Il utilise la même formulation pour la censure de l’obligation de déclaration préalable des «schémas d’optimisation fiscale» (art. 96 du PLF pour 2014), ajoutant que les dispositions contestées apportent une restriction excessive aux conditions d’exercice de l’activité de conseil juridique et fiscal. Ce sont encore les incertitudes de rédaction qui ont conduit à la censure de l’article 106 du PLF pour 2014, lequel tendait à faire supporter par les entreprises la charge de la preuve qu’elles avaient été justement indemnisées en cas de transfert de fonctions ou de risques vers une entreprise liée. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une présomption irréfragable comme c’est le cas dans le dispositif anti-hybride cité plus haut, le Conseil semble avoir été plus sensible aux imperfections rédactionnelles. Le caractère apparemment moins technique de ce dispositif l’aurait-il rendu plus sensible au caractère imprécis des notions de «responsabilités ou de risques» ?

Incidemment, ces deux textes se gardent de traiter différemment les opérations internes et les opérations internationales, sans doute par crainte d’une critique fondée sur l’atteinte au droit communautaire ; précaution largement cosmétique car la probabilité qu’ils aient à s’appliquer à des opérations purement internes est proche de zéro.

Le Conseil constitutionnel ne se borne pas à veiller à ce que la loi soit claire et intelligible ; il veille également à ce que le dispositif adopté soit cohérent avec les objectifs qui lui sont assignés. C’est pour ce motif qu’il censure deux pénalités, toutes deux fixées à 0,5 % du chiffre d’affaires : l’une concernait la documentation en matière de prix de transfert, l’autre l’obligation de communication des comptes consolidés et de la comptabilité analytique. Ce que critique le Conseil, c’est que le critère de calcul de la peine est «sans lien avec les infractions réprimées», ce qui aboutit au «caractère manifestement hors de proportion» de la sanction avec la gravité du non-respect de l’obligation qu’elle tend à sanctionner.

En synthèse, on retiendra que si le législateur peut adopter des textes destinés à restreindre les possibilités d’optimisation fiscale, encore faut-il que la loi soit suffisamment précise dans la définition des opérations visées et ne laisse pas trop de marge d’appréciation à l’administration. Il faut en outre une adéquation suffisante entre l’objectif poursuivi et le dispositif retenu. Enfin, si la présomption d’optimisation fiscale conduit à prohiber certains choix pour des opérations entre parties non liées, cette présomption ne doit pas être irréfragable. Si un tel cadre permet probablement de prémunir les contribuables, entreprises ou particuliers, contre un amalgame entre fraude et optimisation, il est loin de mettre un terme à la prolifération des mesures destinées à combattre cette optimisation. Reste à faire comprendre au législateur que le principal vecteur de la fraude n’est pas l’optimisation mais la complexité des textes, y compris ceux qui prétendent combattre l’optimisation.


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