Allemagne: des petits partis devenus grands

Publié le 17 octobre 2021 à 19h54

Hans-Helmut Kotz    Temps de lecture 5 minutes

Depuis au moins le début de ce siècle, on constate une restructuration des systèmes politiques en Europe. En Italie, ce processus a même commencé avant puisqu’il remonte au début des années 1990, avec Mani pulite : 30 ans plus tard, ce mouvement a abouti à une situation où deux partis populistes dominent la scène, les vieux partis traditionnels étant relégués à la marge. En France, la déconstruction du système politique date pour sa part de 2017, les vieux partis traditionnels se retrouvant à leur tour marginalisés.

Jusqu’alors, l’Allemagne était en retard. Il est vrai qu’à à Berlin, on pouvait former un gouvernement avec deux partis. Rien à voir avec la cohabitation à la française, il s’agissait d’un gouvernement avec un vrai programme commun (sans jeu de mots !), qui était mis en œuvre plus ou moins fidèlement. Cette époque des GroKos, c’est-à-dire des grandes coalitions entre les deux principaux partis, les conservateurs d’Angela Merkel et le SPD de Sigmar Gabriel puis d’Olaf Scholz, est révolue.

Après les élections de fin septembre, les grands partis ne le sont plus (SPD : 25,7 % ; CDU : 24,1 %) tandis que les petits, eux, ont grandi (les Verts : 14,8 % ; les Libéraux : 11,5 %). Sur les bords, on trouve l’extrême droite avec l’AFD (10,3 %), et la gauche (4,9 %). Désormais, ce sont les petits des milieux – de centre droit et centre gauche – qui donnent le ton. Le FDP (jaune) et les Grüne (vert, évidemment) ont commencé par examiner ce qu’ils avaient en commun ainsi que les sujets de désaccord, lesquels, on le verra plus loin, ne sont pas sans importance pour l’Europe. Après quoi, ils ont dialogué avec la CDU (noire) et le SPD (rouge). Le 6 octobre, les deux ont proposé des négociations approfondies avec le SPD, dans le but d’établir un programme de gouvernement, une coalition « feu de signalisation » (rouge-jaune-vert) au lieu de Jamaïque (noire-vert-jaune).

Pour ces petits partis, cette stratégie présente deux avantages. D’abord, du point de vue de la mécanique du pouvoir, mettre leurs intérêts en commun permet de maximiser leur poids. Dans les coalitions antérieures, qui associaient un vrai grand et un petit garantissant la majorité parlementaire, ce dernier était souvent placé dans une situation difficile. Pour reprendre la formule aimable de l’ancien chancelier Schröder, c’était une relation de chef à subordonné.

Le deuxième avantage, c’est que la distance qui sépare les deux petits partis est plus grande que celle qui les sépare du grand. Et c’est ici que l’Europe est concernée. Prenons ainsi la politique budgétaire, au niveau national comme européen. Dans leurs programmes, les Libéraux insistent sur un budget européen « sans dette ni impôts ». Le pacte de stabilité et de croissance devait être rétabli (Maastricht 2.0), pour limiter les déficits et la dette, comme prévu par les critères de Maastricht. De plus, le FDP envisage d’établir un mécanisme pour permettre des procédures d’insolvabilité des Etats membres ainsi que l’application de la règle de « no-bail out ». Le MES doit être reformé pour agir comme un fonds monétaire européen (FME). Et pour épater les Français, à l’intitulé du ministère de l’Economie et de l’énergie, les Libéraux veulent ajouter : du libre-échange. Enfin, les règles budgétaires européennes doivent être respectées comme celle du frein à l’endettement (« Schuldenbremse ») l’est en Allemagne.

Pour les Verts, en revanche, les investissements en infrastructures publiques doivent être financés par des déficits. Dès lors, ils veulent exclure ces dépenses de l’évaluation de la règle de dette, une règle d’or budgétaire verte. En ce qui concerne l’Europe, eux militent pour la création d’une politique budgétaire européenne originale, à part entière. Ils veulent aussi établir un « fonds d’investissement soutenable » qui permettrait de jouer, en cas de crise, un rôle stabilisateur et, de plus, d’investir dans des biens publics européens : « climat, recherche, infrastructure digitale, etc. ». Les Verts proposent aussi de changer le MES en FME – mais avec un mandat totalement différent de celui proposé par le FDP : il s’agit cette fois de financer les Etats membres en difficulté avec des crédits de court terme non assortis de conditions, pour éviter la spéculation sur les marchés. En résumé, les programmes européens lancés pour gérer la crise de Covid-19 ne doivent pas être perçus comme des réponses d’urgence, exceptionnelles pour les Verts, qui veulent au contraire les maintenir et les élargir.

Jusqu’à présent, aucune mention n’est faite du programme des deux grands, et sur ce qu’ils ont en commun avec ceux des petits. Mais peu importe, puisque ces derniers mènent la danse. Les rôles de chef et de subordonné se sont inversés.

Pour l’Europe – et la France – en tout cas, la « coalition traffic light » (feu de signalisation) représentera un défi. Si le FDP obtient, comme il le réclame, le ministère des Finances, cela constituera pour celles-ci, compte tenu de l’austérité de son programme, un vrai changement.

Depuis au moins le début de ce siècle, on constate une restructuration des systèmes politiques en Europe. En Italie, ce processus a même commencé avant puisqu’il remonte au début des années 1990, avec Mani pulite : 30 ans plus tard, ce mouvement a abouti à une situation où deux partis populistes dominent la scène, les vieux partis traditionnels étant relégués à la marge. En France, la déconstruction du système politique date pour sa part de 2017, les vieux partis traditionnels se retrouvant à leur tour marginalisés.

Jusqu’alors, l’Allemagne était en retard. Il est vrai qu’à à Berlin, on pouvait former un gouvernement avec deux partis. Rien à voir avec la cohabitation à la française, il s’agissait d’un gouvernement avec un vrai programme commun (sans jeu de mots !), qui était mis en œuvre plus ou moins fidèlement. Cette époque des GroKos, c’est-à-dire des grandes coalitions entre les deux principaux partis, les conservateurs d’Angela Merkel et le SPD de Sigmar Gabriel puis d’Olaf Scholz, est révolue.

Après les élections de fin septembre, les grands partis ne le sont plus (SPD : 25,7 % ; CDU : 24,1 %) tandis que les petits, eux, ont grandi (les Verts : 14,8 % ; les Libéraux : 11,5 %). Sur les bords, on trouve l’extrême droite avec l’AFD (10,3 %), et la gauche (4,9 %). Désormais, ce sont les petits des milieux – de centre droit et centre gauche – qui donnent le ton. Le FDP (jaune) et les Grüne (vert, évidemment) ont commencé par examiner ce qu’ils avaient en commun ainsi que les sujets de désaccord, lesquels, on le verra plus loin, ne sont pas sans importance pour l’Europe. Après quoi, ils ont dialogué avec la CDU (noire) et le SPD (rouge). Le 6 octobre, les deux ont proposé des négociations approfondies avec le SPD, dans le but d’établir un programme de gouvernement, une coalition « feu de signalisation » (rouge-jaune-vert) au lieu de Jamaïque (noire-vert-jaune).

Pour ces petits partis, cette stratégie présente deux avantages. D’abord, du point de vue de la mécanique du pouvoir, mettre leurs intérêts en commun permet de maximiser leur poids. Dans les coalitions antérieures, qui associaient un vrai grand et un petit garantissant la majorité parlementaire, ce dernier était souvent placé dans une situation difficile. Pour reprendre la formule aimable de l’ancien chancelier Schröder, c’était une relation de chef à subordonné.

Le deuxième avantage, c’est que la distance qui sépare les deux petits partis est plus grande que celle qui les sépare du grand. Et c’est ici que l’Europe est concernée. Prenons ainsi la politique budgétaire, au niveau national comme européen. Dans leurs programmes, les Libéraux insistent sur un budget européen « sans dette ni impôts ». Le pacte de stabilité et de croissance devait être rétabli (Maastricht 2.0), pour limiter les déficits et la dette, comme prévu par les critères de Maastricht. De plus, le FDP envisage d’établir un mécanisme pour permettre des procédures d’insolvabilité des Etats membres ainsi que l’application de la règle de « no-bail out ». Le MES doit être reformé pour agir comme un fonds monétaire européen (FME). Et pour épater les Français, à l’intitulé du ministère de l’Economie et de l’énergie, les Libéraux veulent ajouter : du libre-échange. Enfin, les règles budgétaires européennes doivent être respectées comme celle du frein à l’endettement (« Schuldenbremse ») l’est en Allemagne.

Pour les Verts, en revanche, les investissements en infrastructures publiques doivent être financés par des déficits. Dès lors, ils veulent exclure ces dépenses de l’évaluation de la règle de dette, une règle d’or budgétaire verte. En ce qui concerne l’Europe, eux militent pour la création d’une politique budgétaire européenne originale, à part entière. Ils veulent aussi établir un « fonds d’investissement soutenable » qui permettrait de jouer, en cas de crise, un rôle stabilisateur et, de plus, d’investir dans des biens publics européens : « climat, recherche, infrastructure digitale, etc. ». Les Verts proposent aussi de changer le MES en FME – mais avec un mandat totalement différent de celui proposé par le FDP : il s’agit cette fois de financer les Etats membres en difficulté avec des crédits de court terme non assortis de conditions, pour éviter la spéculation sur les marchés. En résumé, les programmes européens lancés pour gérer la crise de Covid-19 ne doivent pas être perçus comme des réponses d’urgence, exceptionnelles pour les Verts, qui veulent au contraire les maintenir et les élargir.

Jusqu’à présent, aucune mention n’est faite du programme des deux grands, et sur ce qu’ils ont en commun avec ceux des petits. Mais peu importe, puisque ces derniers mènent la danse. Les rôles de chef et de subordonné se sont inversés.

Pour l’Europe – et la France – en tout cas, la « coalition traffic light » (feu de signalisation) représentera un défi. Si le FDP obtient, comme il le réclame, le ministère des Finances, cela constituera pour celles-ci, compte tenu de l’austérité de son programme, un vrai changement.

Hans-Helmut Kotz Center for European Studies ,  Harvard University

Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University

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