L'analyse de Patrick Hubert

Droit de la concurrence et M&A : l’autre piège

Publié le 10 mai 2019 à 14h47

Patrick Hubert

Tout le monde connaît les grands risques courus par les opérations de concentration : le refus de l’autorisation ou, plus fréquemment, l’obligation de revendre en quelques mois des actifs. Peu de personnes portent attention à un autre risque : celui d’acheter une cible engagée dans une entente secrète avec ses concurrents, ce que l’on appelle un cartel. Souvent, le vendeur lui-même n’est pas informé de ce que fait le management de l’entité vendue : il n’a donc rien à révéler. Les due diligences usuelles non plus. Et la cible, qui n’a rien dit à son précédent propriétaire, ne parlera pas davantage au nouveau. Il y a fort à parier qu’elle continuera ses pratiques.

Un jour, malheureusement, une visite inopinée d’enquêteurs révélera la vérité, et il faudra faire face à trois conséquences.

D’abord, une très forte amende va frapper la société qui avait été acquise en toute naïveté, mais aussi son nouveau propriétaire (pour la période postérieure à l’acquisition). Comme le plafond de la sanction dépend de la taille du groupe, l’amende peut facilement atteindre 150 % du chiffre d’affaires de la cible si le cartel a duré dix ans et concerne toutes ses activités.

Par ailleurs, il apparaîtra que les prix qui déterminaient les profits étaient artificiellement élevés : une fois le cartel terminé, la réalité s’avérera moins rose.

Enfin, les clients peuvent décider de demander l’indemnisation du préjudice subi du fait de prix trop élevés.

Dans ces conditions, le business plan qui avait justifié l’acquisition ne sera vite qu’un lointain souvenir. Et les garanties obtenues du vendeur, plafonnées et à durée limitée, ont peu de chances de compenser les pertes. Ces choses-là arrivent, plus souvent qu’on ne le pense.

Comment se prémunir contre ce risque ?

Avant l’acquisition, il existe une panoplie d’outils, trop négligés : évaluer la propension de l’industrie en question à se cartelliser (le risque est élevé si le secteur n’a jamais été sanctionné auparavant) ; vérifier si la cible est dotée d’un programme sérieux de conformité au droit de la concurrence ; faire signer au management une attestation au sujet de ses relations avec ses concurrents. En cas de fort soupçon, un audit pré-acquisition approfondi, quoique délicat à réaliser, est envisageable ; des garanties renforcées sont au minimum souhaitables.

Après l’acquisition, l’acquéreur a intérêt à mettre en place un programme de conformité énergique et, au moindre doute, à auditer sa nouvelle acquisition. Si un cartel est découvert, il sera possible d’échapper à toute sanction en déposant une demande de clémence.

Patrick Hubert

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