La gouvernance : une fonction à part entière !

Publié le 18 mars 2022 à 16h29

Jean-Florent Rérolle

En consacrant pas moins de 123 pages à son récent guide des comités d’audit des sociétés cotées, l’Institut français des administrateurs confirme la place centrale de cet organe dans la gouvernance d’entreprise et surtout l’ampleur des tâches qui lui sont déléguées par le conseil d’administration : examen des comptes de la société, suivi du processus d’élaboration de l’information financière, de l’efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques, indépendance des commissaires aux comptes, audit interne, politique financière et fiscale, budget prévisionnel, revue de l’information extra-financière, validation des performances des dirigeants pour la fixation de leur rémunération. Bref, peu de domaines échappent à cet organe qui, en moyenne, comporte quatre à cinq administrateurs et ne se réunit que six fois par an !

S’il est tout à fait compréhensible que le conseil s’organise pour confier à ceux de ses membres les plus qualifiés des tâches aussi techniques, il faut être conscient des effets pervers de cette situation. Quels que soient l’engagement et la compétence des administrateurs concernés, l’efficacité du suivi et du contrôle est menacée par un risque évident d’embolisation. Les moyens d’investigation et d’information dont ils disposent sont avant tout contrôlés par la direction générale, ce qui n’est pas propice à la contradiction. Une attention excessive portée à la dimension financière et comptable peut occulter d’autres aspects de nature stratégique ou opérationnelle parfois plus critiques pour l’avenir de la société. Enfin, l’existence d’un conseil à deux vitesses incite les administrateurs non membres du comité à se reposer sur leurs collègues mieux informés, ce qui met en danger la collégialité des débats et donc la qualité des décisions du conseil.

L’enjeu de la gouvernance est donc aujourd’hui le fonctionnement du conseil d’administration et de ses comités ainsi que les moyens matériels et humains mis à la disposition des administrateurs pour assumer pleinement leurs responsabilités. Le conseil doit être la pièce centrale du dispositif. Compte tenu de son rôle d’orientation stratégique, de contrôle du management et d’arbitre entre parties prenantes aux intérêts divergents, les décisions les plus stratégiques ne peuvent qu’être collectives. Cela suppose une véritable indépendance cognitive. Or ses travaux sont le plus souvent encadrés ou contrôlés par le management. L’information est préparée et structurée par la direction générale. Même sélectionnés par le comité d’audit, les commissaires aux comptes ont des relations plus étroites avec le management dont dépend leur renouvellement. Fort logiquement, le secrétaire du conseil, qui est un salarié de l’entreprise, ne fournit pas au conseil des informations qui pourraient venir contredire la position du management. Il ne l’aide pas non plus à développer des options alternatives. L’information donnée aux administrateurs est donc biaisée.

La solution ? Elle consiste à transférer de manière claire au conseil les fonctions de gouvernance (secrétariat général, audit interne, frais de fonctionnement du conseil, expertises externes, CAC). Ce transfert pourrait s’effectuer suivant diverses modalités techniques simples, comme une délégation de pouvoir ou la création d’une filiale permettant de donner au conseil une véritable personnalité morale. Pour produire tous les effets escomptés, ce dispositif devrait s’accompagner d’une dissociation des fonctions de président et de directeur général et d’une composition des conseils donnant plus de place aux généralistes qu’aux spécialistes afin que les positions exprimées soient à la fois diverses, nombreuses et indépendantes. Le rôle des comités, et singulièrement celui chargé de l’audit, doit être de compléter systématiquement les informations produites par le management par une information externe, d’identifier les risques et de mettre en évidence des options différentes de celles de la direction générale. Le conseil a moins besoin de recommandations de la part de ses comités que d’une information riche qui lui permette de débattre pleinement. Cette organisation clarifiée pourrait enfin être présentée aux actionnaires chaque année et faire l’objet d’un vote sur une résolution ad hoc consultative de gouvernance.

L’engagement actionnarial et l’efficacité managériale sortiraient renforcés de la reconnaissance d’une véritable fonction de gouvernance sous la responsabilité directe du conseil.

Jean-Florent Rérolle Maître de conférences à Sciences Po et membre du comité éditorial de Vox-Fi ,  DFCG

Jean-Florent Rérolle est maître de conférences à Sciences Po et membre du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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