L’euro, un contrat à durée indéterminée…

Publié le 19 juin 2015 à 16h02    Mis à jour le 19 juin 2015 à 18h13

Hans-Helmut Kotz

Pour gérer le bien public, Platon, dans sa Politeia, (La République) défendait une vision éclairée de la politique. Estimant que les philosophes, par leur dialectique rigoureuse, finissent par susciter l’unanimité, il en concluait que les dirigeants idéaux devaient être des «philosophes-rois» et qu’ainsi tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes (pour paraphraser cette fois un philosophe français). Malheureusement, ce n’est pas comme cela que l’Europe fonctionne de nos jours.

Le traitement du problème grec en est une bonne illustration. Les économistes n’arrivent pas à s’accorder sur le diagnostic, et encore moins sur les remèdes. Néanmoins, ils sont de plus en plus nombreux à défendre une position de «ras-le-bol». Selon eux, la Grèce a été soutenue depuis suffisamment longtemps, d’autant qu’on ne voit pas comment les perspectives pourraient s’améliorer, au vu de la réticence du pays à appliquer les bonnes réformes. Si les Grecs – ou plutôt leur gouvernement – n’arrivent pas à vivre selon leurs moyens, il n’est pas acceptable pour le contribuable nord-européen de payer la note, indéfiniment. La seule manière de retrouver l’équilibre est d’assainir le budget public, de générer des produits exportables, et de favoriser la compétitivité en baissant substantiellement les coûts de production. Pour cela, il faut donc des réformes structurelles.

Or le gouvernement grec n’en veut pas, et la population dans sa majorité non plus, même si tous deux expriment parallèlement leur volonté de rester dans l’Union économique et monétaire (UEM). De deux choses l’une, répond le nord de l’Europe (mais aussi l’Espagne et le Portugal) : soit les Grecs se réforment, soit ils quittent l’Europe.

On peut noter au passage qu’il n’est pas tout à fait correct de dire que les Grecs n’ont rien fait. Ils ont réduit de 25 % les emplois dans le secteur public, fait passer le déficit de 15 % du PIB en 2009 à 1,5 % cette année, baissé et reformé les retraites. Mais cette politique d’assainissement n’a pas eu le succès escompté, au point que les économistes du FMI ont fini par se demander si elle n’était pas trop ambitieuse. Mais selon la «réponse unique» défendue en Europe, tous les problèmes de la Grèce sont structurels, et, en conséquence, les solutions doivent l’être aussi.

Ce propos ne fait toutefois pas l’unanimité. D’un côté, il y a ceux, notamment la gauche de la gauche dans plusieurs pays européens (mais aussi de plus en plus d’économistes, pas seulement américains), qui préconisent pour la Grèce le choix d’une réintroduction de la souveraineté monétaire. Certes, le pays sera probablement plongé dans de graves difficultés (banqueroute du système financier, inflation énorme importée par la dévaluation…). Mais après quelques années, les choses s’arrangeront, ce qui vaut mieux qu’une dépression interminable. A l’autre extrémité de l’échiquier politique, on entend aussi que la sortie de la Grèce de l’euro vaudrait mieux pour le reste de l’UEM car elle donnerait une leçon aux pays qui s’écartent du droit chemin.

A l’inverse, il y a ceux qui redoutent une tragédie européenne. Le Grexit démontrerait indubitablement que l’UEM n’est pas un contrat à durée indéterminée et que l’euro n’est pas pérenne. Même si on peut argumenter que la Grèce est un cas à part, des crises ne sont en effet pas à exclure dans le futur. Toutes les petites économies, caractérisées par des marchés étroits, seront vulnérables. Comme potentiellement aussi les grandes nations membres qui ne suivent pas les bonnes règles de conduite.

La sortie de la Grèce constituerait pour les pays européens un recul décisif – avec le risque d’un retour vers un système de change fixe. Une construction précaire, par définition, comme on le sait depuis la crise du Système monétaire européen de 1992. Depuis, les économistes ont compris comment de telles crises apparaissent et se propagent inexorablement dès lors qu’il n’y a pas un prêteur en dernier ressort. Des paniques bancaires sont alors à craindre. En tant que sous-souverains, les membres d’une union monétaire n’ont pas les moyens de gérer de tels problèmes de liquidité. Ils en paieront le prix, correspondant au spread de leurs emprunts par rapport à celui de l’économie dominante – avec des conséquences négatives sur leur potentiel de croissance.

Socrate, le professeur de Platon, était beaucoup plus réaliste que son étudiant. Il avait pour principe de poser des questions instructives et appelant des réponses précises. De même, les Etats membres de l’UEM doivent à présent se demander où ils veulent aller. Dans ses Mémoires, Jean Monnet affirmait que «l’Europe sera[it] la somme des solutions apportées à ses propres crises». Le Grexit ne serait pas une solution, mais une marche arrière.

Hans-Helmut Kotz Center for European Studies ,  Harvard University

Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University

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