L’Europe... en marche ?

Publié le 10 novembre 2017 à 10h59

Hans-Helmut Kotz

Dans deux discours importants – l’un à Athènes le 9 septembre dernier, l’autre à la Sorbonne le 27 septembre – le Président Macron a esquissé ses plans pour l’Europe, et plus précisément pour la zone euro. Son objectif est d’établir une zone euro prospère et protectrice de ses citoyens. Pour mener à bien ce projet, il a dressé à la Sorbonne une longue liste de propositions de réformes, incluant une convergence des règles sociales et économiques de l’Allemagne et de la France à l’horizon de 2024, un budget européen, géré par un ministre des Finances de la zone euro, l’harmonisation des impôts sur les entreprises...

Cette vision est évidemment ambitieuse. Cela ne signifie pas qu’elle soit irréalisable. Ces propositions sont peut-être même nécessaires pour garantir un fonctionnement acceptable de la zone euro. Mais  elles necessitent plus de précisions, et aussi de prendre en compte l’avis des partenaires – notamment celui allemand.

Prenons l’exemple du budget européen. Actuellement, pour l’Union des 28, il représente 1 % du PIB. A titre de comparaison, le budget fédéral des Etats-Unis est aux alentours de 20 %. Si elles étaient mises en œuvre, les propositions d’Emmanuel Macron nécessiteraient au minimum un triplement, même un quadruplement de son montant. On imagine les difficultés pour y parvenir, compte tenu des batailles pour savoir comment compenser la sortie de la Grande-Bretagne, qui n’affecte au budget européen que 0,3 % de son PIB !

Certes, il y a déjà eu d’autres propositions allant dans le sens d’un budget fédéral européen (de la part du Trésor français, du Conseil d’analyse économique, du ministre de l’Economie et des Finances italien…).

Malheureusement, ces idées ne font guère recette dans les pays du Nord (et de l’Est). En Allemagne, par exemple, le conseil des experts économiques, le pendant du CAE français, prône un concept de «l’unité dans la diversité». En matière de politique budgétaire et économique, aucune mutualisation de responsabilité ne lui semble acceptable, l’électorat des pays membres n’étant pas favorable à une délégation de souveraineté au niveau européen pour les décisions concernant les dépenses publiques et les impôts. Pour empêcher que la responsabilité des états soit diluée en cas de difficultés, il faut aussi rétablir le principe de «no bail-out».

L’approche n’est pas très éloignée de celle présentée par Wolfgang Schäuble dans une note lors d’une réunion des ministres des Finances à Luxembourg, seulement quelques jours après le discours d’Emmanuel Macron. Intitulée «Sur le chemin pour une union de stabilité», elle commence par ces mots : «Responsabilité budgétaire et contrôle doivent aller ensemble». En conséquence, mettre en place des financements de secours pour les pays en difficulté n’est pas nécessaire. Il suffit de s’appuyer sur le Mécanisme européen de stabilité (MES) et de le transformer en FMI, avec pour mission de surveiller les risques des pays membres. Ces derniers n’ont qu’à se doter chacun de leurs propres stabilisateurs automatiques. Plus besoin, donc, de l’intervention de l’Europe.

Même si cette approche est perçue comme trop sévère, il n’est pas du tout évident que la position allemande devienne plus accommodante. Dans le nouveau gouvernement, Emmanuel Macron a perdu un allié en la personne des sociaux-démocrates allemands, plutôt europhiles. Les libéraux réclament, entre autres, un mécanisme automatique de restructuration de la dette des Etats souverains, mettant les créanciers, et pas les contribuables, en première ligne, des sanctions automatiques en cas d’infractions des règles budgétaires... et, finalement, la fin du Mécanisme européen de stabilité.

Certes, il est très peu probable que cette position devienne celle adoptée par la coalition «Jamaïque» (noire, jaune, verte). En revanche, ces propos des libéraux allemands délimitent la marge de manœuvre d’Angela Merkel. L’idée selon laquelle celui qui décide doit assumer ses actions est en effet partagée, au-delà de la FDP, par beaucoup d’économistes et de commentateurs. C’est un principe cher non seulement aux ordo-libéraux allemands, mais aussi aux économistes qui insistent sur la notion d’aléa moral.

Au vu de ces divergences, le challenge est énorme. D’autant que, comme le souligne le rapport du Trésor francais, un budget européen beaucoup plus important «nécessite en parallèle un pas en avant dans l’intégration politique, afin d’assurer la légitimité démocratique des nouvelles prérogatives confiées au niveau européen».

Il n’est pas évident que les Français soient prêts à voter pour davantage de fédéralisme européen, pas plus d’ailleurs que les Allemands. Au moins un point commun…

Hans-Helmut Kotz Center for European Studies ,  Harvard University

Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University

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