Notation ESG : quel impact sur les prévisions des analystes

Publié le 13 juillet 2023 à 16h46

Carole Gresse    Temps de lecture 4 minutes

L’acronyme ESG – environmental, social, and governance – est apparu pour la première fois, en 2004, dans un rapport intitulé « Who Cares Wins ? », édité par l’IFC (International Finance Corporation), une organisation du groupe de la Banque mondiale consacrée au secteur privé. Depuis lors, la volonté d’intégrer les facteurs ESG dans les décisions d’investissement n’a cessé de se développer au niveau mondial, que ce soit de la part des autorités ou de la part des investisseurs institutionnels. En 2006, la bourse de New York met en place les principes pour l’investissement responsable. En Europe, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), mise en application depuis le 5 janvier 2023, renforce les règles d’information environnementale et sociale des grandes entreprises et élargit leur champ d’application par rapport à la directive sur le reporting non financier de 2014, pour concerner près de 11 700 sociétés aujourd’hui. Parallèlement, la prise en compte des facteurs ESG dans les choix d’investissement s’est considérablement répandue. Selon Bloomberg Intelligence, l’investissement responsable total dans le monde pourrait dépasser les 41 milliards de dollars d’actifs sous gestion en 2022. D’après la 14e édition du rapport sur les tendances de l’investissement responsable de la US SIF Foundation, le montant d’actifs sous gestion classés comme investissements responsables a connu une forte augmentation aux Etats-Unis depuis la fin des années 2000, et a plus que doublé de 2020 à 2022, en passant de 3 à 7,6 milliards de dollars de 2020 à 2022. Ces chiffres sont cependant très dépendants des méthodologies utilisées pour évaluer la performance ESG des entreprises. Les mesures les plus utilisées en la matière sont les scores des agences spécialisées, telles que Sustainalytics, MSCI, ou ESG Refinitiv, par exemple. Le monde académique s’est donc interrogé sur l’impact économique de cette notation, et notamment sur l’impact de cette notation sur la qualité de prévision des analystes financiers.

Pourquoi une telle question ? A ce sujet, deux points de vue s’opposent dans la littérature académique. D’un côté, la publication de scores ESG constitue une information supplémentaire à la disposition des analystes. En cela, elle pourrait contribuer à améliorer la qualité de leurs prévisions. D’un autre côté, le manque de standardisation et de transparence des critères de notation ESG, souvent décrié, pourrait produire l’effet inverse. L’hétérogénéité et la surabondance de ces nouvelles données pourraient nuire à la qualité des prévisions et des recommandations en ajoutant de la complexité aux données à interpréter, et ce d’autant plus en cas de divergence de scores entre agences.

Un courant de recherche académique encore bourgeonnant apporte des preuves empiriques en faveur de ces deux points de vue. Plusieurs études mettent en évidence un lien négatif entre la publication de données ESG et la justesse des prévisions des analystes, et cet effet défavorable apparaît plus fort pour les industries les plus polluantes, ou lorsque les scores sont particulièrement faibles. Ces études mettent en cause la faible lisibilité et la difficulté d’interprétation des données ESG. En outre, certains auteurs attribuent cet effet défavorable au pouvoir discrétionnaire des dirigeants d’entreprises, qui sélectionneraient les données qu’ils publient pour faire de l’affichage vert. A l’inverse, d’autres travaux récents mettent en lumière une corrélation positive entre les scores ESG et la qualité des prévisions des analystes. Notamment, un papier de recherche de Derrien, Krueger, Landier et Yao (2022), disponible sur ssrn.com, parvient à cette conclusion en examinant les conséquences attendues d’annonces ESG négatives. Ils observent qu’à la suite de ces mauvaises nouvelles, les analystes révisent significativement leurs prévisions à la baisse à court et à long terme, et ce à juste titre. A posteriori, les prévisions ainsi révisées s’avèrent plus justes. En outre, selon les auteurs, ces révisions à la baisse s’expliquent par des anticipations de baisse de chiffre d’affaires conséquemment aux mauvaises nouvelles ESG. En conclusion, si le débat reste ouvert, il ressort d’ores et déjà de cette littérature que l’information sur la performance ESG des entreprises a un impact sélectif sur l’activité des analystes, avec un impact plus clair dans le cas d’informations à caractère négatif, et que des progrès d’harmonisation, de transparence et de fiabilité sont encore nécessaires pour assurer l’utilité collective des scores ESG.

Carole Gresse Professeur ,  Université Paris Dauphine-PSL

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