Retour de l’inflation ou fin de la déflation ?

Publié le 29 octobre 2021 à 16h20

Philippe Brossard    Temps de lecture 4 minutes

L’inflation américaine dépasse 5 %, celle de la zone euro approche les 4 % en octobre. Est-ce le début d’une nouvelle phase de l’évolution des prix, succédant à trente-cinq ans de « grande modération », selon l’expression inventée par Ben Bernanke ? Quelles sont les origines de cette inflation récente ? Et va-t-on renouer avec une inflation plus forte et tendanciellement en accélération ?

L’origine de la poussée actuelle des prix en Europe et aux Etats-Unis est triple. Tout d’abord, elle tient à un facteur conjoncturel : la sous-estimation de la part des entreprises de la vigueur de la reprise économique en 2021, entraînant des pénuries sans doute transitoires. Viennent ensuite des facteurs plus durables et structurels : la mise en œuvre plus rapide que prévu de la transition énergétique par les producteurs, en avance sur les consommateurs, et aussi, dans une mesure plus difficile à cerner, les premiers effets d’une démondialisation, notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

La hausse de l’énergie contribue aujourd’hui pour presque 1,5 point à l’accélération de l’inflation et reflète tant le retard conjoncturel de l’offre, en particulier pour les prix pétroliers, que des facteurs plus structurels liés à la transition énergétique pour le gaz et le charbon. Pour éviter la guerre des prix que les producteurs s’étaient livrée en 2020, l’offre pétrolière a été pilotée lentement à la hausse par l’Opep et la Russie depuis le début de l’année. Peut-être trop lentement, mais loin d’une logique d’organisation de la pénurie. La demande de pétrole n’a pas rebondi aussi vite que le PIB mondial, et se trouvait en septembre encore environ 4 % en dessous de la consommation de fin 2019 (101 millions de barils/jour), alors que le PIB mondial a dépassé son niveau d’avant-crise dès le mois de juin 2021 : la prudence de l’Opep + n’est pas illogique et le cartel pourrait remettre 4 millions de barils/jour sur le marché si le déséquilibre offre-demande persistait. En ce qui concerne le gaz et le charbon, en revanche, il semble plus difficile d’augmenter l’offre : la production de charbon est pilotée à la baisse par la Chine et les Etats-Unis, plus sincèrement engagés dans la transition énergétique qu’on ne l’avait cru, soit par des politiques publiques de planification (Chine), soit par la pression des marchés et du mouvement d’investissement responsable. Le gaz est dans l’immédiat le meilleur substitut au charbon pour réduire les émissions de CO2. La demande de gaz est redoublée par le développement des énergies renouvelables, qui sont intermittentes et exigent un complément rapidement mobilisable : gaz, ou pire, pétrole, voire charbon. La pénurie de gaz en Grande-Bretagne semble ainsi liée à la faiblesse de l’énergie éolienne cet été, entraînant un recours accru au gaz et une réduction prématurée des stocks.

Au-delà des effets directs et indirects de l’énergie, la hausse de l’inflation sous-jacente aux Etats-Unis (4 %) et au Royaume-Uni (2,9 %) reflète d’autres pénuries : composants électroniques pour l’automobile, matériaux de construction, main-d’œuvre dans la restauration ou le transport routier. Dans ces goulots d’étranglement se mêlent encore le structurel et le conjoncturel : un mauvais ajustement conjoncturel de l’offre : les entreprises ont sous-estimé la demande future et les approvisionnements nécessaires ; les premiers effets peut-être de la « démondialisation », du retour à une production nationale, et de la réduction de l’immigration lancés par l’ère Trump et le Brexit.

Mais l’évolution des prix en 2022 restera dominée par les facteurs conjoncturels, et la surprise pourrait venir de leur fort ralentissement au second semestre : par effet de base, l’inflation rebaissera sans doute vers 2 % aux Etats-Unis, voire 1 % si les prix du pétrole se détendent vers 65-70 dollars le baril, niveau sans doute plus proche du point d’équilibre offre-demande. Pour la zone euro, l’inflation sous-jacente n’est qu’à 1,9 % aujourd’hui, et même seulement à 1,5 % si on tient compte de l’effet de la hausse de la TVA allemande en janvier. On est loin du dérapage… Le mouvement récent est presque une heureuse surprise : la sortie du risque de déflation. La combinaison des premiers effets (prix) de la transition énergétique et des soutiens budgétaires et monétaires éloigne le risque du scénario « à la japonaise », et rend plus crédible les prévisions de moyen terme de la BCE d’une inflation durablement installée à 2 %.

Philippe Brossard Chef économiste ,  AG2R

Philippe Brossard est le chef économiste d'AG2R La Mondiale.

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