Compte Nickel : le potentiel de la pure banque de dépôts

Publié le 14 avril 2017 à 16h55

François Meunier

Ainsi BNP Paribas rachète Compte Nickel, qui est un très joli succès dans le monde de la banque de dépôts, ciblée sur les bas revenus. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 500 000 clients aujourd’hui, pour une start-up de trois ans d’existence.

Le succès de Compte Nickel met le doigt – et bravo aux fondateurs pour l’intuition qu’ils ont eue – sur le service désastreux que les banques traditionnelles rendaient à la fraction de la clientèle qui a des fins de mois difficiles. Elle n’était vue que comme clientèle à problème, qu’on ne pouvait rentabiliser – pour répéter le mot cynique d’un banquier – qu’en lui soutirant le maximum d’argent à l’occasion des inévitables découverts bancaires qui vont avec la précarité. Le succès du Compte Nickel illustre que cette clientèle attend surtout l’accès au système de paiements avec garde-fou contre le découvert. Cela a été la clé du succès. L’autre trait de génie a été de croire dans le réseau des buralistes, avides d’autres sources de revenu, bien réparti sur le territoire et lieu de passage obligé pour beaucoup.

Il y a un fort levier de rentabilité dans le modèle économique du Compte Nickel lié à l’importance de la base de clients. Témoin, un pays qui a de longue date un compte Nickel efficace et rendant un service très apprécié des gens : le Chili, avec son Compte RUT. De quoi s’agit-il ? Tout résident chilien peut ouvrir un compte à vue, de pur dépôt, sur simple remise du numéro de sa carte d’identité, appelé au Chili le RUT. Le numéro du compte est le numéro RUT. Le Banco de l’Estado, une banque publique au large réseau d’agences, accueille ces comptes, et d’autres banques suivent. C’est exactement le Compte Nickel avec deux différences : beaucoup plus grand, puisqu’on compte aujourd’hui 9 millions de détenteurs, soit plus de la moitié de la population ; et vraiment beaucoup moins cher, largement par l’effet de taille.

Qu’on en juge. Il n’y a pas de commission de tenue de compte. Beaucoup de transactions sont gratuites, et, comme on peut le voir sur le site du Banco de Estado, il n’en coûte pas plus de 300 pesos (0,40 euro) pour faire des virements de compte à compte. S’agissant du Compte Nickel, toujours par lecture de son site, il en coûte 20 € pour l’inscription, 20 € de gestion annuelle, 2 % de commission de transaction, et entre 50 cts et un euro pour tout retrait de cash. Le Compte Nickel a une jolie marge de progrès.

Tout cela résulte de la révolution du numérique pour le système des paiements : des transactions réduites à des flux d’électrons dont le coût physique tend rapidement vers zéro ; où, de plus, le contrôle sur l’alimentation du compte se fait dans l’instant, de sorte que les découverts et donc le risque de crédit disparaissent quasiment. Cela peut marquer l’avènement d’un modèle bancaire de pur débit. La banque a traditionnellement fonctionné comme une plateforme «biface», pour emprunter la terminologie des start-up numériques : emprunteurs et créanciers se renforcent les uns les autres, sachant que le coût de gestion des comptes est compensé par la rémunération sur les placements des dépôts, et que le fonctionnement du compte courant donne une information sur la qualité de crédit du client. On peut très bien assister aujourd’hui, sous les coups de la fintech, à un démembrement des deux fonctions.

Une question de structure industrielle se posera à cet égard. S’il est prouvé que le Compte Nickel est capable d’accroître sa base de clients (il en espère 2 millions pour 2020), la rentabilité devrait rapidement grimper. De sorte que la concurrence, à la suite de BNPP, va aborder ce segment du métier bancaire. Il n’est pas sûr alors que la rentabilité reste au rendez-vous : les coûts de commercialisation pour la captation de clients vont s’accroître, ce qui est comme souvent un jeu à somme nulle.

Enfin, il faut noter ce phénomène propre à l’économie numérique : la tendance à la concentration est rapide. Les succès des plateformes numériques poussent au rachat par les plus gros (qui bénéficient déjà des effets d’échelle) ou par des acteurs traditionnels qui ne veulent pas être distancés, ici BNPP qui a raflé Compte Nickel avec un prix copieux (plus de 200 M€, dit-on) sous le nez de Arkéa Crédit Mutuel qui pourtant en assurait le service de paiement et développe une stratégie numérique ambitieuse. En matière de fintech, on n’a pas encore vu de nouvel entrant capable aujourd’hui de menacer les acteurs en place, ou simplement de se tailler, de façon autonome, une part de marché stable.

François Meunier Co-président du comité éditorial ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est co-président du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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