Où est passée la courbe de Phillips ?

Publié le 13 juillet 2017 à 16h43

Jean-Paul Betbeze, Deloitte

La (célèbre) courbe de Phillips a-t-elle disparu ? Elle était pourtant fameuse et très utile. Elle établi(ssai)t un lien entre taux de chômage et taux de croissance du salaire, bien proche de l’inflation. Elle occupe(ait) ainsi une place centrale dans l’arsenal des banquiers… centraux, mais aussi des politiques, hommes d’entreprise, syndicats, médias – bref de tous. Idéalement, il s’agi(ssa)it d’obtenir le taux de chômage le plus bas possible, compatible avec une hausse des salaires qui ne déclenche ni l’inflation, ni la baisse des profits. C’est (c’était ?) ce dosage social, politique et financier, auquel la «pente de la courbe de Phillips» nous avait habitués depuis la seconde guerre mondiale.

Hélas ! Elle ne cesse de descendre et de s’aplatir.

De descendre : ainsi, aux Etats-Unis, pour un taux de chômage de 4,3 %, on «avait» 6 % d’inflation dans les années 1971-1982, 3 % dans les années 1983-2011 et 1,5 % aujourd’hui.

De s’aplatir : en passant de 8 % à 4,5 % de taux de chômage, le taux d’inflation montait de 5 % à 8 % dans les années 1971-1982, de 2 % à 3 % dans les années 1983-2011 et 1 % à 1,5 % aujourd’hui. Plus de chômage, plus de hausse des salaires !

Bien sûr, c’est excessif. On dira que la courbe de Phillips est plate (au mieux), cassée, voire dépassée – ce qui pose un problème de politique économique. On trouve cette configuration en Allemagne, où le plein-emploi fait à peine monter les salaires réels et pire au Royaume-Uni, où il s’accompagne de leur baisse !

Les raisons abondent pour expliquer cette évolution. C’est d’abord le poids de la crise de 2008 qui pèse dans les esprits. C’est la révolution technologique, qui fait disparaître les emplois répétitifs ou moyennement qualifiés, pèse sur les réseaux de distribution (banque, assurance, vêtements, etc.) et sur les esprits. Robots, chatbots et autres intelligences artificielles sont partout. Les salaires énormes de la finance sont devenus plus rares. Les quadras et quinquas revendiquent moins, soucieux de conserver leur emploi. En même temps, ces disruptions technologiques sont aussi géographiques, l’Inde et ses ingénieurs venant «travailler» dans les banques du G5. Il y a ainsi une bipolarisation de l’emploi vers les activités de services avec (pour l’heure) peu de technicité ou vers des activités plus techniques. Le centre des (anciennes) qualifications s’affaisse. En outre, de jeunes ingénieurs montent leur entreprise, en attendant la fortune quand ils seront rachetés (s’ils le sont).

Mais les hausses de salaire n’ont pas disparu pour autant, même si elles mettent plus de temps qu’auparavant à se manifester. Le fait que l’activité est peu dynamique depuis des années, avec une demande longtemps atone, a conduit les entreprises à moins investir et donc à intérioriser une croissance potentielle plus réduite. Dans ces conditions, la hausse de la demande en cours conduit à des recherches d’emploi difficiles. Donc les salaires augmentent – si les entreprises décident d’y répondre. Et ceci est la nouveauté : au Japon, des entreprises décident de ne pas embaucher au-delà de leurs effectifs, des magasins réduisent leurs horaires d’ouverture. C’est encore plus le cas aux Etats-Unis.

Surtout, quand l’inflation salariale pointe son nez, elle suscite désormais des réactions très violentes des marchés financiers. Ainsi Mario Draghi a été surpris de l’orage financier qu’il a déclenché ce 27 juin à Sintra, avec cette déclaration : «Avec la poursuite du redressement économique (…), la Banque centrale peut accompagner la reprise en ajustant les paramètres de ses instruments de politique monétaire – non en vue de durcir son orientation, mais de la maintenir globalement inchangée.» Ces mots voulaient évidemment dire que, puisque les choses allaient mieux, la Banque centrale européenne allait revoir un peu son dispositif, tout en le gardant accommodant. Mais les marchés ont compris que, puisque les choses allaient mieux, l’inflation à 2 % était à la porte, donc la réduction de la politique accommodante de la BCE. Le rendement à 10 ans de la dette française s’inscrit à 0,98 % le 7 juillet, contre 0,53 %, le 23 juin. «La Banque centrale européenne devra ajuster sa politique monétaire avec prudence, souplesse et transparence pour éviter de provoquer des désordres sur les marchés financiers», a depuis lors déclaré Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE. On aura compris qu’il n’est pas très content (de son chef ?). La courbe de Phillips s’est réveillée dans les têtes des marchés, pas dans les chiffres !

Jean-Paul Betbeze, Deloitte

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