La prudence des Banques centrales devient risquée

Publié le 7 juillet 2017 à 11h41    Mis à jour le 7 juillet 2017 à 17h18

Patrick Artus

Nous nous intéressons à la stratégie de politique monétaire menée par la Réserve fédérale aux Etats-Unis, la Banque d’Angleterre au Royaume-Uni, la BCE dans la zone euro. Ces trois Banques centrales ont en commun de n’avoir voulu prendre aucun risque avec la croissance, donc d’avoir maintenu une politique monétaire très expansionniste jusqu’à la fin du cycle d’expansion. Cette prudence pendant l’expansion se transforme en prise sérieuse de risque lorsque la période d’expansion arrive à son terme, puisqu’il faut alors que la Banque centrale passe à une politique monétaire plus restrictive, normalise sa politique monétaire, alors que l’économie s’affaiblit. Ce report perpétuel du moment où la normalisation de la politique monétaire est entamée conduit finalement à une prise de risque très importante pour la Banque centrale.

La Réserve fédérale va normaliser (partiellement) sa politique monétaire en 2017-2018, avec des hausses du taux d’intérêt des Fed Funds et le début de la réduction de la taille de son bilan. Mais les Etats-Unis sont au plein emploi depuis le milieu de l’année 2016, et, aujourd’hui, malgré la croissance plus rapide des salaires qui résulte du plein emploi, montrent de nombreux signes d’affaiblissement de la croissance : création d’emplois plus faible (ce qui est normal au plein emploi), recul important de la profitabilité des entreprises qui devrait conduire au freinage de l’investissement, stagnation des commandes de biens durables, recul de la construction résidentielle, freinage violent des financements des entreprises…

Malgré cet ensemble de signaux annonçant une croissance plus faible, la Réserve fédérale est obligée de normaliser sa politique monétaire : si elle ne le fait pas, elle ne pourra dans le futur ni baisser ses taux d’intérêt (s’ils n’ont pas été préalablement remontés), ni utiliser efficacement à nouveau le Quantitative Easing (si l’excès de liquidité n’a pas été d’abord éliminé par la réduction de la taille du bilan de la Banque centrale), et la politique monétaire ne pourra plus dans le futur être utilisée de manière contracyclique aux Etats-Unis. Mais passer à une politique monétaire restrictive alors que l’économie s’affaiblit visiblement est évidemment dangereux.

Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre a maintenu son taux d’intérêt directeur à 50 points de base et a continué à accroître la taille de son bilan à partir de 2012 alors que la croissance était forte, à un rythme compris entre 2 et 3 % par an, parce que l’inflation restait faible (avec la baisse du prix du pétrole). Après le référendum sur le Brexit, la Banque d’Angleterre a baissé son taux directeur et a repris de forts achats de dette publique, ce qui a renforcé la dépréciation de la livre sterling.

Aujourd’hui, l’inflation devient forte au Royaume-Uni, en raison de l’inflation importée et l’économie ralentit très nettement, avec, d’une part, la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation importée et, d’autre part, la perte d’investissement des entreprises due à l’annonce du Brexit.

Pourtant, aujourd’hui, la Banque d’Angleterre pense à remonter ses taux d’intérêt, puisque l’inflation va devenir supérieure à 3 %, au pire moment puisque même avec des taux d’intérêt très bas la croissance est très ralentie.

Dans la zone euro, les taux d’intérêt directeurs de la BCE sont négatifs aujourd’hui et le Quantitative Easing continue alors que la croissance est redevenue assez forte (probablement supérieure à 2 % en 2017) et que le chômage descend rapidement. Au rythme actuel de croissance de la zone euro, le taux de chômage devrait rejoindre le taux de chômage structurel (celui que la progression de la demande ne permet pas de réduire et qui dépend des caractéristiques structurelles : compétences de la population active, fonctionnement du marché du travail, fiscalité – de l’économie) à la fin de 2018. A partir de cette date, comme on le voit aux Etats-Unis, les salaires devraient accélérer dans la zone euro et la croissance ralentir, pour revenir au niveau faible de la croissance potentielle (la croissance réalisable une fois que le chômage d’origine cyclique a disparu), au mieux 1 % par an, ce faible niveau étant dû à la faiblesse des gains de productivité.

Mais, c’est à ce moment, lorsque la croissance sera redevenue faible, et avec la menace d’un ralentissement plus prononcé, que la BCE normalisera sa politique monétaire, avec probablement la sortie du Quantitative Easing au plus tôt à la fin de 2018 et le début de la remontée des taux d’intérêt à court terme au plus tôt en 2019.

Les trois exemples qui précèdent – des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la zone euro –montrent que l’excès de prudence des Banques centrales est une erreur majeure de stratégie pour les politiques monétaires. Les Banques centrales n’osent pas normaliser leur politique monétaire, remonter leurs taux d’intérêt directeurs, pendant toute la période d’expansion, de peur de compromettre cette expansion. Puis, quand elles doivent enfin normaliser les politiques monétaires soit parce qu’il faut leur redonner des marges de manœuvre, soit parce que l’inflation revient, l’économie est déjà en train de s’affaiblir, et la normalisation des politiques monétaires menace de conduire à un véritable recul de l’activité.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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