Politiques économiques : on a l’impression d’être revenus 20 ans en arrière

Publié le 23 mars 2018 à 12h17    Mis à jour le 23 mars 2018 à 14h52

Patrick Artus

Les politiques économiques mises en place aujourd’hui aux Etats-Unis et dans la zone euro nous donnent l’impression que tout ce qui avait été appris au sujet des politiques économiques, et des erreurs à ne pas commettre en les mettant en place, a été oublié. Au cours du temps, les gouvernements avaient appris à ne pas utiliser des politiques budgétaires expansionnistes lorsque le problème concerne l’offre et non la demande ; les banques centrales avaient appris à être préemptives, c’est-à-dire à réagir précocement aux déséquilibres pour éviter qu’ils ne s’amplifient ; aussi à éviter les irréversibles, les situations qui empêchent le retour en arrière. Comme nous allons le voir, tous ces progrès dans la mise en œuvre des politiques économiques semblent avoir été oubliés.

Commençons par les politiques budgétaires. L’administration Trump a choisi de mener une politique budgétaire stimulante alors que les Etats-Unis sont au voisinage du plein-emploi ; la relance budgétaire du gouvernement Abe au Japon a lieu alors que le taux de chômage du Japon est au plus bas ; dans la zone euro, hors Allemagne, la politique budgétaire reste expansionniste alors que les difficultés de recrutement des entreprises deviennent très importantes.

Les gouvernements mettent peut-être en application la «théorie de la surchauffe» : pousser la demande de biens et services au plein-emploi conduirait à des évolutions favorables, par exemple le retour sur le marché du travail de personnes qui en étaient sorties, la recherche d’amélioration de la productivité du travail par les entreprises. Mais, plus probablement, les relances budgétaires au plein-emploi conduiront à peu d’effets positifs sur l’activité, à la dégradation du commerce extérieur, déjà visible aux Etats-Unis, à une dette publique supplémentaire inutile, au risque de hausse des taux d’intérêt.

L’expérience des années 1970-1980, durant lesquelles les gouvernements des pays de l’OCDE avaient réagi aux chocs pétroliers par les déficits publics, aurait quand même dû enseigner qu’une politique budgétaire expansionniste est dangereuse lorsque le problème est un problème d’offre et non un problème de demande.

Regardons maintenant les politiques monétaires. Depuis le début des années 1980, les banques centrales avaient appris à être préemptives : à réagir aux risques de déséquilibre (inflation, mais aussi normalement excès d’endettement, hausses excessives des prix des actifs) précocement, préventivement, de manière à arrêter ces déséquilibres avant qu’ils ne se développent, qu’ils deviennent difficiles à contrôler.

Ceci conduisait à des politiques monétaires qui devenaient plus restrictives à partir de quelques années d’expansion, bien avant le retour au plein-emploi. Or, on voit aujourd’hui une pratique tout à fait différente des banques centrales. Elles attendent que les économies soient au plein-emploi, à la fin des périodes d’expansion, pour commencer à normaliser les politiques monétaires : le caractère préemptif des politiques monétaires a disparu, certes probablement pas vis-à-vis de l’inflation qui reste faible mais vis-à-vis de tous les déséquilibres financiers (prix des actifs…).

Les banques centrales avaient aussi appris à ne pas créer d’irréversibilité, à pouvoir revenir à une politique monétaire neutre ou restrictive en cas de besoin. Or, il est clair aujourd’hui qu’au moins deux irréversibilités sont apparues liées aux politiques monétaires. D’une part, après une très longue période de taux d’intérêt à long terme très bas, la remontée des taux d’intérêt aurait des effets très négatifs aussi bien sur les emprunteurs que sur les prêteurs. Ces derniers ont des portefeuilles obligataires dont le taux d’intérêt moyen a eu le temps de devenir très bas ; une hausse des taux d’intérêt au-dessus de ce taux d’intérêt moyen ferait apparaître des moins-values en capital très importantes pour les détenteurs d’obligations.

D’autre part, la liquidité (la monnaie de banque centrale) qui a été créée par les banques centrales depuis 10 ans ne pourrait être détruite que sur une très longue période de temps. Plus probablement, le stock de liquidité va rester très élevé, or c’est le stock de liquidité qui a l’influence la plus importante sur les taux d’intérêt et sur les prix des actifs financiers et immobiliers. Les pays de l’OCDE vont donc devoir vivre avec un stock de monnaie de banque centrale anormalement élevé en permanence.

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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