Seulement trois configurations de sortie pour le quantitative easing

Publié le 15 mai 2015 à 15h10    Mis à jour le 22 mai 2015 à 18h47

Patrick Artus

Le quantitative easing mis en place par la BCE dans la zone euro va probablement durer jusqu’à sa fin annoncée, au dernier trimestre 2016. En effet, avec le niveau élevé du chômage dans la zone euro, il est très peu probable que l’inflation salariale réapparaisse ; avec le niveau bas du prix du pétrole, probablement pour plusieurs années en raison de l’excès d’offre de pétrole, il n’y a pas d’inflation importée. Seule une remontée rapide de l’inflation pourrait impliquer un arrêt précoce du quantitative easing.

Que va-t-il alors se passer la fin de 2016 et au début de 2017 ? Quelles sont les configurations possibles de sortie d’un quantitative easing ?

La première possibilité est qu’il n’y ait pas de sortie, qu’une fois qu’une Banque centrale a démarré le quantitative easing, ou du moins une politique monétaire ultra-expansionniste avec des taux d’intérêt quasi nuls, elle ne puisse pas passer à une autre politique. Le problème est celui des taux d’endettement, publics et privés. S’ils sont très élevés, la remontée des taux d’intérêt a des effets catastrophiques à la fois sur les emprunteurs et sur les prêteurs : les emprunteurs sont confrontés à la hausse brutale du service de la dette, les prêteurs à de fortes pertes en capital.

La question centrale est donc de savoir si la période de quantitative easing est mise à profit pour réduire les taux d’endettement, grâce aux taux d’intérêt très bas, ou au contraire conduit à une nouvelle hausse des taux d’endettement puisque le coût de l’endettement est très faible.

Le Japon est un exemple clair d’un pays où la Banque centrale ne peut pas sortir de la politique de taux d’intérêt très faibles : l’encours d’obligations détenu par les banques et le niveau d’endettement public sont si élevés qu’une hausse des taux d’intérêt rendrait insolvables à la fois les banques japonaises (avec les pertes en capital) et l’Etat japonais (avec la hausse des intérêts sur la dette).

Qu’en est-il dans la zone euro ? Le taux d’endettement privé a un peu baissé depuis 2008, mais le taux d’endettement public a beaucoup augmenté et le taux d’endettement total a augmenté : une remontée des taux d’intérêt serait très douloureuse pour les Etats et pour les investisseurs institutionnels de la zone euro.

La seconde possibilité est qu’il y ait sortie du quantitative easing mais sans dommage pour l’économie ou pour les investisseurs parce que la croissance économique est repartie pour une raison qui n’est pas liée à la politique monétaire. Quand le quantitative easing est arrêté, la croissance continue, et les investisseurs peuvent compenser les pertes qu’ils font sur les obligations par des gains sur les actions. C’est clairement ce qui s’est passé aux Etats-Unis en 2013-2014 : l’annonce de l’arrêt du quantitative easing n’a pas ralenti la croissance puisque celle-ci venait de la progression des investissements des entreprises, de l’expansion de l’industrie, liées à la forte compétitivité-coût des Etats-Unis et non à l’expansion monétaire. Le ralentissement des Etats-Unis au début de 2015 vient de la chute des investissements dans le secteur de l’énergie avec la baisse du prix du pétrole, pas de l’arrêt du quantitative easing.

Quelle est ici la situation de la zone euro ? On ne voit pas de redressement de l’investissement des entreprises ; la reprise de la croissance en 2015 est liée à la baisse du prix du pétrole et à la dépréciation de l’euro, pas à un facteur structurel, et ne résisterait sans doute pas à la fin du quantitative easing.

La troisième et dernière possibilité est que la Banque centrale sorte du quantitative easing et que ceci crée d’importants désordres dans l’économie du pays, dans la situation des intermédiaires financiers. Pourquoi la Banque centrale déciderait-elle de sortir du quantitative easing dans ces conditions ? Il y a plusieurs possibilités.

Soit elle ne veut pas conserver des taux d’intérêt quasi nuls trop longtemps. Elle sait que, si les investisseurs ou les banques achètent pendant une longue période de temps des obligations avec des taux d’intérêt très faibles, ce qui commence à être le cas en Europe, la remontée des taux d’intérêt fera apparaître des pertes considérables dans les comptes de ces investisseurs. Pour éviter de ne jamais pouvoir sortir du quantitative easing, la Banque centrale sort même si cela est coûteux pour l’économie et pour les investisseurs ou les banques.

Soit les statuts de la Banque centrale la forcent à arrêter le quantitative easing. Cela concerne très probablement la BCE : si l’inflation redevient proche de l’objectif d’inflation, quelle qu’en soit la raison, la BCE devra sortir du quantitative easing puisqu’elle ne pourra pas justifier de le poursuivre, même si le choc négatif sur l’économie de la zone euro et sur les investisseurs est important.

Qu’attendre alors dans la zone euro ?

On ne voit pas aujourd’hui de reprise solide de la croissance, autre que celle qui résulte de la baisse du prix du pétrole et de la dépréciation de l’euro, l’investissement stagne, les gains de productivité, et donc la croissance potentielle, sont très faibles. La seconde possibilité (sortie du quantitative easing parce que l’économie repart pour de bonnes raisons) semble donc exclue dans la zone euro.

L’endettement total de la zone euro est de plus en plus élevé, ce qui pousse à prolonger le quantitative easing, mais par ailleurs, la BCE ne peut pas le faire si l’inflation retourne vers son niveau normal (proche de 2%).

Ceci nous donne donc probablement la clé des évolutions futures de la politique monétaire de la BCE : si l’inflation reste faible à la fin de 2016, le quantitative easing sera prolongé ; si déjà les prix du pétrole ont remonté, si l’inflation revient vers l’objectif de la BCE, alors il devra être arrêté, et il faut attendre un fort freinage de l’économie et de graves difficultés à la fois pour les emprunteurs et les investisseurs.

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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