Trois idées fausses mais répandues concernant les pays de l’OCDE

Publié le 2 décembre 2016 à 17h09

Patrick Artus

Le débat de politique économique concernant les pays de l’OCDE est aujourd’hui le plus souvent fondé sur trois idées, qui sont communément acceptées. La première est le fait qu’il y a excès d’épargne privée dans les pays de l’OCDE ; la deuxième est l’insuffisance de l’investissement des entreprises ; la troisième est la nécessité d’accroître les investissements publics.

L’analyse économique la plus fréquente est alors fondée sur le postulat que ces trois idées sont correctes. Dans cette hypothèse, pour éviter le risque de déflation lié à l‘excès d’épargne privée, il faut mener des politiques expansionnistes : une politique monétaire expansionniste pour stimuler l’investissement des entreprises avec des taux d’intérêt très bas ; une politique budgétaire expansionniste permettant d’accroître les investissements publics. La tendance récente, soutenue par le FMI et l’OCDE, consiste à moins utiliser la politique monétaire devenue moins efficace tellement elle a été mise à contribution, et davantage la politique budgétaire. Evidemment, si effectivement il y a excès d’épargne privée dans les pays de l’OCDE, il est nécessaire de mettre en place des déficits publics pour le corriger.

Mais, malheureusement, les trois idées consensuelles qui sous-tendent ces raisonnements sont fausses. Commençons par le taux d’épargne privé dans les pays de l’OCDE. Quand on l’examine, on voit qu’il a effectivement beaucoup monté depuis la crise des subprimes en 2008-2009 (de 23 à plus de 26 % du PIB), mais que depuis 2012, il baisse et il est revenu aujourd’hui à son niveau d’avant la crise : il n’y a plus en 2016 d’excès d’épargne privée dans les pays de l’OCDE. Cette correction de l’excès d’épargne privée vient surtout du retour à son niveau d’avant-crise du taux d’épargne des ménages. Quand on regarde la balance courante des pays de l’OCDE, pris dans leur ensemble, on voit d’ailleurs qu’elle est à peu près équilibrée. Si on regarde l’ensemble de la planète, on voit encore un excès d’épargne privée en Chine et dans les autres pays émergents, mais ce n’est pas le cas dans les pays de l’OCDE.

On peut maintenant regarder la question de l’insuffisance supposée de l’investissement des entreprises. Il est curieux que cette idée de la faiblesse anormale de l’investissement des entreprises soit communément admise. Il faut en effet tenir compte de deux évolutions structurelles. D’une part, l’économie de l’OCDE se déplace rapidement vers les modèles d’économie des services : depuis dix ans, ce sont seulement les services et pas l’industrie qui expliquent la croissance des pays de l’OCDE, et, on le sait, les services ont besoin de beaucoup moins de capital et d’investissement que l’industrie.

D’autre part, l’affaiblissement des gains de productivité, et en conséquence de la croissance potentielle des pays de l’OCDE (3 % au début des années 2000 ; 1,5 % aujourd’hui), implique que l’investissement nécessaire est plus faible : le taux d’investissement varie normalement avec la croissance de long terme anticipé.

Dans cet environnement (déformation de l’économie vers une économie de services, faiblesse de la croissance de long terme), le taux d’investissement des entreprises des pays de l’OCDE observé aujourd’hui est en réalité anormalement élevé et pas anormalement faible : le taux d’investissement est légèrement supérieur à son niveau le plus élevé d’avant-crise, au début de 2008, alors que la croissance potentielle a été divisée par 2.

Regardons enfin la question du besoin d’investissement public. Il est frappant de voir qu’il n’y a aucune corrélation, quand on regarde les pays de l’OCDE, entre la croissance observée de 2002 à 2016 et le niveau des investissements publics (en pourcentage du PIB). Cela résulte probablement de ce que l’investissement public est un ensemble très hétérogène : investissement en infrastructures, en bâtiments, en énergie, en Nouvelles Technologies, et de ce que seulement certains investissements publics très spécifiques (infrastructures technologiques…) ont un effet positif sur la productivité. Mais il faut accepter qu’il n’y a aucun effet automatique des investissements publics sur la croissance.

Si on part de la réalité observée et pas d’un consensus erroné, il faut réfléchir à la politique économique des pays de l’OCDE dans un contexte très différent de celui qui est usuellement utilisé : il n’y a pas d’excès d’épargne privée, il n’y a pas d’insuffisance d’investissement des entreprises, accroître l’investissement public de manière indifférenciée n’augmente pas la croissance.

On s’aperçoit alors que le problème le plus sérieux est celui de la faiblesse des gains de productivité et de la croissance potentielle, qui résulte de la hausse du poids des services dans l’économie, de l’insuffisance de la modernisation du capital, c’est-à-dire d’un problème de qualité et non de quantité de l’investissement des entreprises.

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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